• C’est au moment précis où commence l’émission de Radio Aligre dont l’ami Loïc Boyer est l’invité pour y parler de ses activités d’éditeur de livres pour enfants (collection Cligne Cligne chez Didier Jeunesse) que j’entre chez Book-Off, rue du Faubourg Saint-Antoine, avec un lourd sac de livres à revendre à bas prix. Lui venu d’Orléans, moi de Rouen, sommes à quelques centaines de mètres l’un de l’autre mais nous ne nous verrons pas, son emploi du temps ne le permettant pas. Le mien n’a qu’une rubrique, celle consacrée au glandouillage.

    Sorti de la bouquinerie, je prends le bus jusqu’au Quartier Latin. J’y déjeune rue de la Harpe à l’Oie qui Fume d’un habituel menu à dix euros près d’un groupe d’auteurs et éditeurs de romans policiers dont les notes de frais doivent être limitées. Plutôt que parler de livres, ils parlent de télé, du Commissaire Moulin, « Qu’est-ce qu’il devient Yves Renier, doit être vieux maintenant. »

    Je vais fouiller dans les bacs de trottoir de Gibert Joseph et Boulinier. Chez ce dernier un livre à vingt centimes pourrait m’intéresser. Il n’a pas d’étiquette de prix. Je le signale à l’un des vendeurs. Ce dernier ne doit pas avoir le droit de prendre une initiative car il va montrer l’ouvrage au gérant. « Trois euros », dit celui-ci, toujours aussi mal aimable. Il peut se le garder. Une autre fois, je décollerai l’une des étiquettes rouges « vingt centimes » et la mettrai sur le livre démuni.

    Je retraverse la Seine et pour rentabiliser ma carte d’adhérent du Centre Pompidou monte tout en haut voir l’exposition Henri Cartier-Bresson. Nulle attente à l’entrée mais pas mal de monde à l’intérieur et que des tirages originaux, c’est-à-dire des photos petites, format page de revue, carte postale ou même grand timbre poste.

    La peste soit de ce souci d’authenticité, je n’aime la photo d’exposition qu’en grand format, peu m’importe que ce ne soit pas l'originale. Je ne fais que parcourir à grand pas l’ensemble des salles surchauffées, sitôt entré, déjà ressorti.

    Redescendu, je vais boire un café à La Mezzanine, trouvant parmi les serveuses une ancienne élève des Beaux-Arts de Rouen. Cinq ans d’études pour devenir serveuse ? Oui, mais dans un lieu culturel d’importance.

    *

    Devant une agence Manpower près de l’Opéra, des drapeaux et des manifestants à chasuble de la Cégété. Je refuse leur tract. La veille, la Cégété de Fessenheim a qualifié les activistes de Greenpeace grimpés sur l’un des réacteurs de la plus dangereuse des centrales nucléaires françaises, de terroristes.

    *

    Le soir venu, je mérite une assiette de frites Chez Léon. Au mur, une affiche de la Galerie Saint-Germain, boulevard du même nom, vante une exposition de Marius Zabinski « the last cubist master ». Il était temps que ça se termine en effet.

    *

    Dans le train du retour, je lis le Journal d’un touriste de Jerome K. Jerome (Arléa), ouvrage distrayant. Tiré de ce livre, ceci : Je fus agréablement déçu.

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  • Je me replonge dans le Refus d’obtempérer de Roland Bacri, recueil de poèmes publié aux Editions Jean-Jacques Pauvert en mil neuf cent cinquante-neuf, illustré de « choses de lampe » de Siné, afin d’en tirer quelques pépites et puis de le ranger dans ma bibliothèque :

    J’ai loué le Seigneur

    Au plus offrant.

    -

    -Pendant que tu envoies

    Tes messages

    Honorable ami

    Ta fiancée très sage

    S’envoie un coolie.

    -

    Quand je l’ai rencontrée

    Aux tout-commencements

    Elle s’appelait Eve

    Nous vivions côte à côte.

    -

    L’homme est un sujet

    Qui s’accorde

    Avec la tribu.

    -

    L’homme a grand besoin

    D’un rappel à l’horde.

    -

    Le vieux parquet

    Craquait

    Laissant échapper

    Des plinthes.

    -

    J’aime à me lever

    Débonnaire

    A me rouler sur une adolescente

    De lit.

    *

    C’est qu’on en croise de beau monde dans les poèmes de Roland Bacri : un rabbin des bois, Méphisto Coppi, Monsieur Jardin qui fait de la rose sans le savoir, des sordides secours, un berceur de coffre-fort, un artisan du moindre effort, des prépositions malhonnêtes, des condamnés de drap commun, des filles de joie dans une mauvaise passe, des partisans laisser d’adresse, des encagés volontaires, les noubas de Montélimar et l’alléchante des siècles, pour n’en citer qu’une partie.

    *

    Roland Bacri est né à Bab El-Oued le premier avril mil neuf cent vingt-six. Il est toujours vivant mais a déjà son épitaphe :

    Ici gît suis. Ici gît reste.

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  • Dimanche peu avant seize heures, je suis assis à une excellente place en corbeille à l’Opéra de Rouen pour le Don Pasquale de Donizetti mis en scène par Andrea Cigni et dirigé par Luciano Acocella, lequel bénéficie sur le livret programme d’une page entière sur deux colonnes pour sa musico biographie complète (comme une sorte de dédommagement à la fin de son contrat).Tandis que les musicien(ne)s s’échauffent dans la fosse sont diffusées de sirupeuses chansonnettes italiennes qui semblent prolonger l’émission consacrée au festival de San Remo que j’écoutais sur France Culture juste avant de venir. Sur scène, la porte d’un immense coffre-fort donne à penser que l’œuvre de Donizetti est quelque peu actualisée, ce qui forcément inquiète une dame dans la loge derrière moi « avec ces mises en scène modernes, on ne sait jamais. »

    Elle est vite rassurée, rien de révolutionnaire, simplement un glissement vers une époque incertaine pas trop éloignée de la nôtre, ce glissement permettant de passer d’un premier degré qui eût été lourd à un deuxième qui donne place à l’humour et à l’ironie. Le livret est simpliste (comme il se doit pour un opéra qu’il soit bouffe ou non), la musique pompeuse (comme il se doit aussi) et j’y prends plaisir.

    Au premier entracte, certains, venus de Paris, considèrent le soleil à l’extérieur et l’un :

    -C’est ballot, on aurait pu aller à Cabourg.

    Une d’ici lui indique que ce soleil n’est apparu que vers quatorze heures. Je prends un café car nous ne sommes pas au bout des démêlés du vieux Don Pasquale avec sa jeune épouse qu’aime son neveu (il y a une machination là derrière, trop compliquée à expliquer).

    J’aime encore plus les deuxième et troisième actes, où intervient le chœur accentus. Oui, tout m’enchante, la musique, les solistes, le chœur, les décors, les costumes, l’esthétique à la Pierre et Gilles et la mise en scène. Je repars de là satisfait, traversant le parvis de la Cathédrale dans une volée de cloches. Il est dix-neuf heures.

    Le lendemain matin, je croise l’une de mes connaissances qui a vu ce Don Pasquale vendredi soir. Il a détesté, me dit-il avec une véhémence telle que dans un premier temps je crois qu’il plaisante, n’a vraiment rien aimé, ni la musique, ni le livret, ni les décors, ni la mise en scène, l’exemple même du spectacle de province selon lui.

    Il m’avoue ensuite qu’il a eu une mauvaise semaine (quelques jours de vacances à Bordeaux lui feraient du bien).

    *

    « C’est ballot », l’une des expressions de ces dernières années qui m’exaspère au plus haut point.

    *

    Ce dimanche, pour cause de pic de pollution, le Vélib’ est gratuit. « J'ai effectivement fait du vélo au hasard, c'était vraiment agréable. » m’écrit celle qui vit à Paris. C'était vraiment dur d'en trouver un, m’explique-t-elle, car plein d'égoïstes quand ils s'arrêtaient quelque part, au lieu de le remettre sur une borne, l'attachaient avec un anti-vol pour en conserver l’usage exclusif.

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  • Samedi en début d’après-midi, dans un air dégagé de la pollution visible par un petit vent frais, je prends ma voiture pour aller à Val-de-Reuil où le groupe local d’Amnesty International fait sa vente annuelle de livres. Le Préfet de Seine-Maritime impose des vitesses diminuées de vingt kilomètres heure, ce que personne ne respecte. Un appel de phares peu avant l’arrivée m’incite à ralentir. Il ne s’agit pas d’un contrôle mais d’un accident. Deux voitures abîmées sont hissées sur la plate-forme de dépanneuses.

    Bien en avance, je me gare près du lycée Marc-Bloch, à l’heure où en sort le Maire Marc-Antoine Jamet, fabusien de luxe. Arrivent quelques habitué(e)s de ce genre de vente et sortent à leur tour le vieux député à tête de moine de boîte à fromage et un ancien copain d’école qui fait partie de la même mouvance et que je ne fréquenterais donc pour rien au monde (il porte sous le bras un livre prélevé sur le stock d’Amnesty avant l’ouverture au public).

    A quatorze heures le monde s’engouffre dans les salles du lycée où sont disposés les vingt mille livres promis. Je me dirige vers les poches, les seuls à être à prix vraiment intéressant, puis regarde un peu ailleurs mais trop d’ouvrages sont négligeables, traînant là d’année en année, ou pour quelques-uns qui pourraient me plaire, plus chers que je les trouverais ailleurs. Innovation deux mille quatorze, un membre d’Amnesty évoque au micro, d’une voix d’ecclésiastique, le cas d’un torturé d’Asie, cela dans l’indifférence.

    Il y a rapidement trop de monde pour l’espace réduit dont on dispose entre les tables. Comme on est chez les pauvres, certaines familles viennent au complet, père, mère, multiples enfants, bébé en poussette de la fille aînée déjà mariée et encore enceinte, et derrière la grand-mère qui n’avance pas. Un autre encombrement est causé par une femme qui pousse le fauteuil de sa fille handicapée adulte. Le malheur donne des droits, je sens à son noir regard de mère éprouvée que je n’ai pas intérêt à lui demander de se pousser. Je n’ai bientôt plus qu’une envie, sortir d’ici.

    *

    Si j’habitais encore à Védéherre, avec quel plaisir je voterais Michaël Amsalem, l’adversaire de l’actuel Maire.

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  • Six heures vingt, ce vendredi matin lorsque je descends avec ma valise l’élégant escalier de pierre de l’hôtel du Parc. Je trouve le patron affalé dans l’un des hideux fauteuils de la salle de petit-déjeuner, à qui je dis bonjour et au revoir, et  vais jusqu’à l’arrêt Jardin Public du tram Cé. Trois minutes après, celui-ci me mène par les quais à la gare Saint-Jean. J’y prends un café viennoiseries chez Mac Do.

    Tandis que j’attends l’affichage de la voie de mon Tégévé, un jeune homme me propose d’acheter L’Express dont le supplément Bordeaux a été fait par son école de commerce, Lui-même, me dit-il avec un air radieux, a interrogé le sportif au nom basque en photo sur la couverture.

    -Désolé, lui dis-je, je ne suis pas de Bordeaux et je ne m’intéresse pas au rugby.

    -C’est un footballeur, me répond-il consterné.

    Deux Tégévés partent pour Paris à cinq minutes d’intervalle, l’un direct et l’autre avec arrêts à Angoulême et à Poitiers. Je suis dans le second en seconde classe. Un grand nombre d’étudiant(e)s dentistes grimpent au hasard dans les deux, ne sachant dans lequel sont leurs places. Leur voyage dans la capitale semble avoir été improvisé. J’en ai trois derrière moi, quatre devant. A ma droite, c’est un étudiant en cuisine qui descend à Angoulême.

    Difficile de croire que ces apprenti(e)s dentistes ont fait tant d’années d’étude et donnent des conseils d’hygiène buccale à leurs patient(e)s : ils parlent de séries télé ou de jeux vidéo et passent leur temps à aller au bar d’où ils reviennent avec des sodas et des bonbons.

    Heureusement à Poitiers s’installe à ma droite une étudiante asiatique qui entreprend de lire Rimbaud. Elle y renonce bientôt vu le bruit ambiant. Je discute d’Arthur avec elle, venue de Taiwan étudier le français à Poitiers par amour de la culture française. Elle va à la Sorbonne pour un examen et m’explique qu’elle aime Paris et Poitiers parce que contrairement aux villes du Japon qu’elle connaît, tout n’est pas propre et les gens ne sont pas tous polis. On parle aussi de ses chaussettes à gros pois rouges qui, lui dis-je, me font penser à Yayoi Kusama. Elle connaît bien cette artiste, à Taiwan elle s’occupait de l’organisation d’expositions et de médiation culturelle. Nous nous quittons dans le métro (gratuit pour cause de pic de pollution), elle prenant le Treize et moi le Douze.

    A Saint-Lazare, j’ai le temps de sortir de la gare avant mon second train et suis sidéré par l’atmosphère opaque sur la ville, l’équivalent de ce qu’on appelait le smog à Londres autrefois. Les passant(e)s semblent gris et accablés. Je pique-nique sur un banc place de Budapest puis bois un café à deux euros quatre-vingt-dix à L’Atlantique.

    J’arrive à Rouen au milieu de l’après-midi. La pollution y semble encore pire. Du train on ne voit même pas les hauteurs de Bonsecours.

    *

    L’une des apprenti(e)s dentistes, cherchant sur son téléphone quoi faire à Paris :

    -Ah, il y a le Salon de l’Erotisme, on pourrait y aller, ça réveillerait peut-être Kevin.

    *

    Autre occupation des apprenti(e)s dentistes, parler boutique : leur première séparation de racines, leurs difficiles extractions de molaires, leurs patients les plus chiants :

    -Je prends leur Carte Vitale, je regarde leur mutuelle et à chaque fois : Mgen.

    Autrement dit : les enseignants. Ce qui n’est pas pour m’étonner.

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  • Aucune trace de l’équipe du film de télévision ce jeudi matin à l’hôtel mais l’employée me porte quand même mon dernier petit-déjeuner dans la chambre que je quitte un peu plus tard sous un soleil déjà radieux avec l’intention d’aller voir un village nommé Lormont sous le pont d’Aquitaine.

    Le tram Bé dans lequel je suis monté ne m’emmène qu’au pont Chaban-Delmas. J’attends le suivant qui va plus loin et m’aperçois alors que Lormont c’est de l’autre côté de la Garonne. Je demande à une dame assise s’il est possible de prendre le pont d’Aquitaine à pied. Elle me regarde éberluée, jamais personne n’a fait ça à sa connaissance, il est tellement grand. Quand je lui dis que c’est pour aller à Lormont, elle m’indique le bus Sept. Effectivement, il passe le pont de Chaban et tourne à gauche. Je descends à Lormont Bas, là où se trouvent quelques commerces et l’église du village, mastoc. J’en fais des photos ainsi que du pont d’Aquitaine, sorte de Tancarville en moins beau, qui écrase les maisons.

    Je reviens par le même bus jusqu’au pont Chaban-Delmas que j’emprunte à pied. Il ressemble au pont Flaubert de Rouen mais en plus malin : quand il se lève c’est d’un seul bloc. Je regagne le quartier des Chartrons par les quais et prends un café près du Centre de Congrès de la Cité Mondiale, l’un des rares bâtiments d’architecture moderne de la ville. Des garçons à cravate sont en pause. L’un envisage de changer de voie, d’aller « élever des chèvres dans le Larzac » où il n’y a pourtant que des brebis.

    Je réserve ensuite une table à l’Olivier des Chartrons où l’on m’appelle désormais Monsieur Michel. À midi, j’y suis en terrasse et en chemise, agréable adresse dont le menu change chaque jour et est à base de produits frais. Le service est assuré par un père et son fils aidé d’un troisième homme que j’imagine venu d’Australie ou de Nouvelle-Zélande. Aujourd’hui, c’est carpaccio de bœuf au pistou, pavé de morue et son aïoli avec des pommes frites et fondant au chocolat, tout cela accompagné de bordeaux supérieur. Près de moi mangent père, mère et fils, celui-ci venu dans cette ville pour passer un entretien. La mère lit Nymphéas noirs de Michel Bussi, l’écrivain rouennais bientôt aussi célèbre que Musso et Levy. Elle trouve ça bien parce qu’il a eu cinq prix littéraires.

    -C’était la dernière fois, dis-je au restaurateur fils en payant.

    -Vous rentrez où, Monsieur Michel ?

    -Rouen.

    -Mes condoléances.

    En allant m’alléger à l’hôtel, je constate que la télévision est arrivée, quelques camions techniques et une voiture de luxe équipée de caméras pour la filmer en déplacement. Des hommes sont en train de la lustrer et l’un se fait engueuler car il doit avoir quelque chose de gras sur lui, il fait des taches. Sur la porte d’un des camions, une affiche dit que le jour où on ne se sent pas à la hauteur, il faut se souvenir que le grand chêne a lui aussi commencé comme un gland.

    Pour mon dernier après-midi ici, je ressors lire au bord de la Garonne. Comme chaque jour de cette fin d’hiver estivale, beaucoup de monde s’agite ou glandouille sur les quais et les pelouses dans une atmosphère de « vivons heureux avant la fin du monde ou du moins avant la troisième guerre mondiale ». Je termine vers dix-sept heures ma relecture des Chroniques de Varsovie de Kazimierz Brandys.

    *

    Heureusement qu’il a fait beau pour ma semaine à Bordeaux, je pense que sinon j’aurais trouvé le temps long, contrairement à ce qui s’était passé lors de mes escapades en solitaire à Lyon, Strasbourg, Marseille et Nantes.

    *

    Une dernière nuit rue de la Verrerie, vieille ruelle pavée sans commerces, cachée au bout du quartier des Chartrons, dans le petit Hôtel du Parc signalé par un simple panneau lumineux « hôtel » dès que la nuit est tombée.

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  • Bordeaux est dans le brouillard ce mercredi matin, c’est l’occasion de visiter son Musée des Beaux-Arts que l’on m’avait dit fermé et qui est ouvert. Ici, beaucoup confondent le Musée des Beaux-Arts, le Musée d’Art Contemporain et la Galerie des Beaux-Arts, cette dernière servant aux expositions temporaires et étant fermée pour travaux. La culture ne semble pas être la priorité de la ville. Ce que me confirme Sud Ouest que je lis au Café Français, à moins ajoute perfidement le journaliste de considérer les fêtes du vin et les fêtes du fleuve comme des évènements culturels. Les divers candidats à l’élection municipale disent qu’ils feront mieux à l’avenir, dont le Poutou du Hennepéha que j’imagine peu devenir Maire.

    Au Café Français, le noir breuvage est au prix parisien et quand on demande un verre d’eau, il est de la taille d’un dé à coudre. La Mairie est à côté et le Musée des Beaux-Arts dans deux ailes d’icelle, séparées.

    J’y suis à l’ouverture. L’entrée est gratuite. Les œuvres sont en nombre assez réduit et pas de premier plan. On trouve plusieurs Odilon Redon, né à Bordeaux, André Lhote, né à Bordeaux, et André Marquet, né à Bordeaux. Oskar Kokoschka est passé par là et a peint une Eglise Notre-Dame de Bordeaux. Le plus intéressant pour moi est Rolla de ce pompier de Gervex, un tableau dont je ne connaissais que des reproductions et que je n’imaginais pas ici, montrant une femme nue alanguie sur son lit dans une puissante lumière cependant que son amant près de la fenêtre lui jette un regard sombre. Ce Jacques Rolla va se suicider après cette dernière rencontre avec sa maitresse. C’est inspiré d’un poème de Musset. Ce grand tableau est un dépôt du Musée d’Orsay, qui est bien généreux. Il a fait scandale en mil huit cent soixante-dix-huit.

    Sorti du Musée, le soleil revenu, je déjeune une nouvelle fois en terrasse à L’Olivier des Chartrons, sur le quai du même nom, à côté d’ouvriers qui ont un problème de commande d’embouts, puis passe une bonne partie de l’après-midi à lire au bord de la Garonne les Chroniques de Varsovie de Kazimierz Brandys.

    Dans la rue de l’hôtel, il est interdit de stationner en raison du téléfilm avec Patrick Chesnais. Le soir venu, un riverain énervé envoie valser le panneau avant de déplacer sa voiture. C’est la première fois que je vois un autochtone se livrer à un mouvement d’humeur.

    *

    Ce mercredi, le bateau de la Cub navigue. Si la dame d’hier repasse, elle va penser que je lui ai dit n’importe quoi alors que ce douze mars est le jour de la reprise.

    *

    Deux filles sur le quai :

    -Y a pas une Bernadette à Lourdes ?

    -Ben oui, c’est la meuf qu’a vu la Vierge.

    *

    Un homme à un autre : « Je mange tranquille avec la mère de mes enfants, c’est une copine maintenant. »

    « Mes enfants », hardi possessif, dire plutôt : « Les enfants dont je suis le père ».

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  • Impossible d’aller à Saint-Emilion en car comme je l’avais envisagé, je me rabats ce mardi sur Pessac atteignable en tramouais, lequel vers neuf heures du matin est empli d’étudiant(e)s qui descendent presque tou(te)s à Montaigne Montesquieu. Je poursuis avec quelques autres jusqu’au terminus. Sur la place du village c’est le marché, égayé par un accordéoniste. Je photographie l’église mastoc, ce que voyant un homme à la peau noire et à gros sac à dos bleu assis sur un banc se lève. Il me demande de le prendre avec son appareil (bien meilleur que le mien) car il est en vacances et voudrait quelques images de lui. L’église il s’en fiche, juste lui sur l’image. J’obtempère et il va se rasseoir.

    En face de l’église et aussi imposant, c’est le complexe culturel, incluant un cinéma, baptisé comme il se doit du nom de l’enfant du pays : Jean Eustache. Une affichette indique que si depuis son ouverture quiconque pouvait entrer librement dans le hall et les toilettes, c’est terminé suite à des dégradations répétées, seul(e)s le peuvent désormais celles et ceux qui ont un ticket de cinéma. Les films à l’affiche ne donnent pas envie d’en acheter un.

    On fait vite le tour de Pessac. Un tramouais est là qui doit partir dans dix minutes. J’y grimpe mais un message signale un accident sur la ligne et un départ reporté on ne sait quand. La conductrice m’indique le bus Quatre comme solution de remplacement. L’arrêt est au centre du village devant le tabac. Je traverse donc à nouveau le marché. Le touriste à la photo est toujours sur son banc.

    Ce bus arrive assez vite et j’y ai place assise d’où j’observe le paysage : vignes protégées par de hautes grilles pointues, supermarchés, pompes à essence, funérarium ouvert sept jours sur sept vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Arrivé dans Bordeaux, je repère la Cathédrale et descends, la visite rapidement (elle est quelconque) et vais voir qui c’est sur la place la grande statue qui marche vers la Mairie. Il s’agit évidemment de Chaban-Delmas, pas très ressemblant.

    Devant la Mairie de Juppé se tiennent deux policiers municipaux débonnaires. Je leur demande comment rejoindre les quais. C’est tout simple : suivre les rails du tramouais. Je préfère passer par les petites rues parallèles et me retrouve une nouvelle fois à la terrasse Chez Yuri où je bois un café en étudiant mon vieux Guide du Routard qui me suggère d’aller déjeuner Chez Fidel, aussi nommé Au Bon Accueil, quai de la Monnaie .

    Je crains le restaurant disparu, mais non, Fidel est toujours là et bien accueillant. Pour treize euros cinquante, je déjeune de tranches de boudin noir froid, de rognons de bœuf pommes vapeur et d’une crème brûlée, le vin est inclus. Les couteaux sont portugais et terriblement effilés. La clientèle est habituée et populaire. Pour lui plaire, la télé diffuse une niaiserie animée par Nagui.

    Après avoir passé un bon moment de l’après-midi à lire au bord de la Garonne, je me rends au CAPC Musée d’Art Contemporain, sis à deux rues de mon hôtel dans un ancien entrepôt de produits coloniaux, immense bâtiment de pierre revu par les architectes Jean Pistre et Denis Valode et la designeuse Andrée Putman. L’entrée en est libre car une partie seulement est visitable actuellement.

    Au deuxième étage, ce sont les diverses œuvres sans cartel de l’exposition Procession écrite et mise en scène par Julie Maroh, auteure de la bédé Le bleu est une couleur chaude et Maya Mihindou, illustratrice. Il est question d’identité et de genre, notions qui me laissent froid. De plus, il fait sombre et je vois mal dans ces conditions.

    Au premier, c’est une exposition d’architecture consacrée au Japonais Junya Ishigami, auteur de minuscules projets fragiles réalisés ou irréalisables qu’on ne peut approcher qu’après avoir ôté sa veste pour éviter les courants d’air. C’est zen, donc loin de moi mais je m’y intéresse néanmoins, d’autant que c’est très éclairé par des néons.

    *

    Je n’aime pas avoir à préciser que l’un à la peau noire alors que je ne signale pas quand elle est blanche (quatre-vingt-dix-neuf pour cent des cas). Parfois je suis obligé de le faire pour que ce que je raconte ait du sens. Un touriste blanc qui m’aurait demandé de le photographier à Pessac, cela n’aurait eu aucun intérêt.

    *

    Une femme et sa fille sur le bord de la Garonne. La première me demande où est l’embarcadère du bateau de la Cub. La Cub, c’est la Communauté Urbaine de Bordeaux. Le bateau, une sorte de vaporetto. Je lui réponds qu’il ne doit pas fonctionner en ce moment.

    -Vous êtes d’ici ? me dit-elle, dubitative.

    -Non mais ça fait quatre jours que je suis assis là et s’il circulait je l’aurais vu passer.

    *

    Cette masse d’eau terreuse ne sert pas à grand chance. Une promène-touristes le ouiquennede et les autres jours, rarement, un petit bateau privé.

    *

    Il n’en fut pas toujours ainsi. Une plaque sur le quai indique l’endroit où est parti le premier bateau chargé d’esclaves et présente les excuses de la ville de Bordeaux.

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  • Deux tables d’une personne dressées dans la salle du petit-déjeuner ce lundi matin, l’hôtel n’est guère occupé. La serveuse m’informe que jeudi elle me le portera dans la chambre car cette salle sera louée par une équipe de cinéma.

    Sorti dans la rue, j’en apprends plus par une affichette sur les pare-brises. De cinéma point, il s’agit d’un téléfilm avec Patrick Chesnais. France Télévisions s’excuse des désagréments.

    Je longe à nouveau la Garonne pour atteindre le Pont de Pierre et aller voir de quoi il retourne de l’autre côté du fleuve. S’y trouvent un grand cinéma dans l’ancienne gare d’Orléans, des immeubles de bureaux, des résidences étudiantes, des commerces quelconques et un affichage municipal vantant une conférence de Michel Cymes, médecin de télévision, sur le bien vieillir. Le seul intérêt de ce côté est de voir avec du recul le côté privilégié de la ville.

    Je repasse le pont sous la chaleur montante, bois un café Chez Yuri puis, aguiché par Le Guide du Routard, décide d’aller déjeuner place du Marché des Chartrons. J’hésite entre La Guimbarde des Chartrons et sa formule buffet d’entrées à volonté, plat du jour, dessert, vin et café, et La Treille Muscate et son pot-au-feu de canard (magret, confis, foie gras, légume). Las, ils n’existent plus ni l’un ni l’autre. Le premier est remplacé par Le Rêve qui ne me fait pas rêver et le second par Le Comptoir qui d’après ce que je vois sur l’ardoise porte bien son nom.

    Voilà ce qui arrive lorsqu’on voyage en deux mille quatorze avec un guide de deux mille cinq. Il y eut sûrement de bons restaurants autour de cette place. Aujourd’hui, ce ne sont qu’attrape-touristes. Dépité, je retourne sur les quais et opte pour la terrasse ensoleillée et le menu du jour de L’Olivier des Chartrons, à l’arrêt du tramouais où le caténaire est replié pour laisser place à une alimentation électrique mystérieuse, point de câbles dans l’hyper centre. Point d’olivier non plus ici mais le service est agréable.

    Bientôt s’installent près de moi trois hommes d’affaires qui posent la veste et causent clients et refinanceurs, deux femmes dont l’une est suffisamment naïve pour se réjouir que sa fille soit bientôt stagiaire à La Charente Libre et deux garçons en couple dont l’un se plaint d’une laryngite :

    -J’ai pas envie de le voir, y va me gâcher ma soirée.

    -Nan, mais annule chéri.

    J’ai choisi les piguillos farcis au chèvre, la souris d’agneau braisée frites salade, le tiramisu, avec un demi de bordeaux supérieur, et pars de là content pour aller lire au bord de l’eau.

    Dans l’après-midi, je décide d’aller voir le Musée des Beaux-Arts. La plupart de celles et ceux que j’interroge sont incapables de m’en indiquer le chemin. Quand j’y arrive enfin, c’est pour me trouver face à un mur d’Algeco. Un ouvrier m’annonce que c’est fermé.

    Rentré à l’hôtel, j’écoute par la fenêtre ouverte les riverains se demander où ils gareront leurs voitures, jeudi et vendredi, à cause de ce film.

    *

    Vieillir est déjà assez pénible, si en plus il faut le faire bien.

    *

    Une dame à qui je demande si c’est tout droit le Musée des Beaux-Arts : « Vous avez dû remarquer qu’ici rien n’est droit ». C’est vrai, à commencer par la Garonne dont la courbe oblige à bien du chemin inutile.

    *

    Flaubert dit dans une lettre que la vue d’une famille bourgeoise de Croisset en promenade dominicale l’a rendu malade de dégoût pour la journée. (Kazimierz Brandys, Carnets de Varsovie). J’imagine Gustave à Bordeaux un dimanche de ce siècle.

    *

    Sur un mur du quai Louis Dix-Huit : « A la mémoire d’Aristides de Sousa Mendes, Consul du Portugal à Bordeaux en 1940. Il sauva 30 000 réfugiés dont 10 000 juifs fuyant l’envahisseur nazi en leur délivrant des visas d’entrée au Portugal, désobéissant ainsi aux ordres de ses supérieurs hiérarchiques, n’écoutant que la voix de sa conscience au mépris de sa carrière. »

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  • La patronne me l’avait bien dit, pas de petit-déjeuner à l’hôtel en ce jour dominical, plus qu’à partir à la recherche d’une boulangerie et d’un café ouverts. Mazette, ce n’est pas une mince affaire. Les boulangeries semblent ne pas exister et les cafés sont fermés. Après une longue marche, je trouve enfin, près du quartier Saint-Michel, sorte de petit Belsunce local.

    L’avantage, c’est que je suis à côté du Grand Déballage, un marché aux puces dont les vendeuses et vendeurs se réjouissent du beau temps assuré. On y trouve des bouquinistes à bonne marchandise chère mais aussi une sympathique vendeuse de livres et de vêtements. Les uns et les autres sont à un euro. Ce sont quelques livres que j’achète.

    Après un café en terrasse sur les quais Chez Yuri où l’on parle arménien, je pars à la recherche d’un lieu pour me restaurer. Le Guide du Routard ne m’est d’aucune utilité. On n’y trouve quasiment que des restaurants fermés le dimanche ou bien ouverts du lundi au samedi. J’erre à nouveau entre la place de la Bourse et celle du Parlement et, rue du Puits Descujols, découvre une crêperie à volonté nommée L’Atelier. Le décor et le mobilier en sont branchés, comme disaient certains autrefois, et ce n’est pas la vieille Maryvonne qui fera les crêpes mais un jeune homme à l’allure de cleubeur. La serveuse tente de me faire renoncer à mon choix, vous savez les galettes sont copieuses et parfois on n’a plus faim après la première, ce n’est pas forcément une bonne affaire. Je tiens bon et lui prouve qu’outre la salée du chef, je peux aussi manger trois sucrées (caramel beurre salé, Tatin, calvados). Avec le pichet de cidre, cela fait moins de vingt euros. L’écoute de la radio Chérie, programme jazzy du dimanche, est offerte et ce n’est que lorsque je sors qu’arrivent les familles.

    Après m’être allégé à l’hôtel dont la chambre n’est pas faite (c’est dimanche), je vais faire ce que fait le Bordelais quand il ne travaille pas : marcher sans but sur le bord de la Garonne puis se poser sur le muret pour regarder les milliers d'autres marcher sans but le long de la Garonne. Au bout d’un moment, on peut trouver ça assez stupide et n’être plus aussi sûr de voter Juppé aux municipales.

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    Pas encore trouvé un café où me sentir bien pour lire, tant de trucs à tapas, il est vrai que c’est le sud, Bordeaux.

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    A l’Office de Tourisme, me renseignant sur où je pourrais aller autour de Bordeaux. « Surtout pas la mer, me dit la jolie stagiaire, toutes les plages sont interdites à la suite des tempêtes, il n’y a rien à faire là-bas. »

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    Une fille dans la rue, parlant à une autre fille : « J’avais les boules majuscules. »

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    Trois jours que je suis là et c’est seulement ce dimanche soir que je croise deux policiers à vélo, pas vu une seule voiture de police, ni de policiers à pied. Combien c’est différent à Rouen, où la Police est partout et tout le temps.

    Pas de vigiles non plus aux entrées de la grosse fête foraine de la place des Quinconces dénommée la Foire aux Plaisirs.

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