• Deux semaines sans mercredi à Paris, pour la raison que durant ces vacances dites de Pâques et donc sans spectacle à l’Opéra, je m’étais laissé la possibilité de partir quelque part je ne sais où avec ma petite voiture. Le temps désolant m’en a dissuadé. Il s’ensuit que les jours sont longs.

    J’en raccourcis certains en passant deux ou trois heures au café de l’Ubi à lire et à mettre en forme mes notes dans un cadre attrayant et une ambiance à la fois paisible et studieuse.

    Un petit paradis parfois troublé par l’arrivée de poussettes pleines d’enfants, les artistes se reproduisent aussi. Ce n’est pas tant le bruit généré qui me dérange, c’est qu’ici comme ailleurs, dès qu’apparaît un moutard, par un effet totalitaire il n’est plus question que de lui.

    L’enfant là, tout est à son service, les occupations de chacun(e), l’organisation du lieu et surtout la conversation. Celles et ceux qui discutaient de sujets plus ou moins intellectuels ont soudain deux trois ou quatre ans d’âge mental, à l’image des parents dudit dont la vie est entièrement menée par les désirs de leur descendant (quand ils ne peuvent l’envoyer jouer ailleurs).

    Lorsque l’enfant paraît, je prends mon chapeau et je m’en vais, écrivait Paul Léautaud dans son Journal littéraire. Je fais souvent comme lui, bien que n’ayant pas de chapeau.

    *

    « Enfants dans le métro, se lever pour eux », tel est désormais le message sous-entendu par les parents d’enfants de moins de dix ans que je croise à Paris, les mercredis où j’y suis, quand ils annoncent à la cantonade que leur petit chéri est fatigué d’avoir beaucoup marché.

    En un autre temps, révolu, il était d’usage qu’enfant assis dans le bus ou la salle d’attente du médecin, on offrît sa place aux « grandes personnes ».

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  • Max Jacob n’a jamais eu d’appartement, passant de chambre en chambre, souvent à l’hôtel, en Bretagne ou à Paris. Au temps de la Deuxième Guerre Mondiale, il réside à Saint-Benoît-sur-Loire, près d’Orléans, où il loue une chambre chez des particuliers après avoir un temps habité à l’abbaye. Il vit de sa peinture, est encore un peu en contact avec le milieu littéraire. Il pense que les nazis n’oseront s’en prendre à lui, protégé qu’il est par la population du village :

    Il paraît qu’en tant que juif de race je dois me présenter à la sous-préfecture dont je dépends pour me faire inscrire sur un registre spécial à cet affecté. (à François de Montalivet, le quatre octobre mil neuf cent quarante)

    Bien entendu, je ne puis vous refuser une préface, bien que je ne sois pas partisan de ces présentations. L’auteur a l’air d’avoir demandé l’autorisation à son préfacier ou de n’avoir pas confiance en lui. Je crois comprendre que vous voulez faire imprimer vos vers ! Cela va vous coûter bien cher et pourquoi ? (…) Espérez-vous le vendre ? O illusion !!! (à Maurice Gouchault, le dix-neuf novembre mil neuf cent quarante)

    On dépossède partout les juifs. Un fermier de Mme P… avait 48 000 F en banque. Un docteur juif avait d’autres sommes : les Allemands les ont prises sans autre procédure. Mon frère ruiné avait une petite boutique rue Legendre : les Allemands ont déclaré la vente nulle ! Le pauvre est sur le pavé de Paris ! (à François de Montalivet, le dix juin mil neuf cent quarante et un)

    J’ai déjà reçu la visite de la Gestapo (« J’ai ta peau ») ; je pense qu’on se décidera à me fusiller en masses : question du martyre et qui n’est pas si mal. Belle fin ! –On a emmené mon beau-frère à Compiègne, vieillard infirme qui a fait 14-18 comme son père, 70. (à Jean-Robert Debray, le trente et un décembre mil neuf cent quarante et un)

    Je lis le Journal de Jules Renard, œuvre surprenante. Je voudrais aussi lire Kierkegaard et maître Eckhart. Hélas ! Je n’y comprends rien. (à Hélène de Callias, le sept mai mil neuf cent quarante-deux)

    Ne mets plus « Jacob » sur les enveloppes de lettres, mets « M. Max », cela suffit à la Poste d’ici (à Jean Colle, le dix-sept mai mil neuf cent quarante-trois)

    Je crois que ce petit mot de moi est nécessaire et utile, mais je n’ai pas le cœur d’écrire depuis l’arrestation de ma sœur, je ne vis plus. (à André Salmon, le dix-sept janvier mil neuf cent quarante-quatre)

    Max Jacob se démène pour tenter de sauver cette sœur, la plus jeune de la famille, en vain. La dernière lettre publiée dans Les Amitiés & les Amours (L’Arganier), date du vingt-deux février mil neuf cent quarante-quatre, envoyée à Jean Colle :

    Je déplore avec toi la perte de tes études et de tes tableaux… moi j’ai perdu tous mes inédits confiés à un monsieur, lequel a disparu sans que sa femme ni personne ne sache où il est.

    Deux jours plus tard, Max Jacob est arrêté et conduit via la Gestapo d’Orléans au camp d’internement et de transit de Drancy où il meurt d’épuisement le cinq mars à l’âge de soixante-sept ans.

    *

    Les dernières lignes signées Max Jacob furent écrites dans le train :

    Nous serons à Drancy dans quelques heures. C'est tout ce que j'ai à dire. Sacha (Guitry) quand on lui a parlé de ma sœur a dit : "Si c'était lui, je pourrais quelque chose". Eh bien, c'est moi.

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  • Sur le conseil d’une lectrice qui trouve que je suis excité les soirs de spectacle à l’Opéra de Rouen et que ça me fait écrire des choses que je ne devrais pas (« je souhaite vous informer de la tenue d'une vente aux enchères érotique près de la place St Marc le 27 avril prochain en espérant que vous y trouverez des objets pour vous calmer avant les concerts »), j’entre ce dimanche à quatorze heures trente dans l’Hôtel des Ventes de la Seine, au quarante de la rue Victor-Hugo où était antérieurement un brocanteur.

    Guillaume Cheroyan, commissaire priseur, y disperse la collection d’un seul homme, où l’on trouve plusieurs jeux de cartes avec lesquels on ne peut pas s’amuser tout seul, un réveil et des statuettes de Manara, des pin up de Berthet, des cartes postales de Serpieri, plusieurs lots de livres sur Marilyn Monroe, des calendriers Pirelli, des livres illustrés par Aslan dont certains de la Bibliothèque Rose (là où se niche le vice), des livres des Editions des Nymphes Perverses, Péchés de jeunesse, Le diable sous les jupes, des volumes des Editions du Styx série Fruits Verts Les oies blanches, La première fois, En cueillant la noisette, trente-deux numéros du Journal d’une chic fille, un gant de toilette illustré d’une pin up d’Aslan, une paire de poignées de portes de maison close de forme phallique, des gouaches de femmes nues de Michel Gourdon, la collection complète de Lui, deux eaux-fortes Sexe féminin d’Henri Maccheroni éditées par la Galerie Duchoze à Rouen, les quinze volumes de l’Encyclopédie de la bande dessinée érotique des Editions Rombaldi, deux statuettes de moine et de nonne à soutane amovible datant du dix-neuvième siècle, des lots de livres où se cachent deux David Hamilton et un Irina Ionesco, les Poésies érotiques de Pierre Louÿs prétendument éditées à Chihuahua au Mexique en mil neuf cent quarante-cinq.

    Nous ne sommes qu’une quinzaine sur place, hommes d’un certain âge seuls ou en couple, marchands, collectionneurs ou curieux (mon informatrice n’a pas cru bon d’être présente), mais l’officiant annonce que soixante-quatorze internautes suivent également la vente « Le live c’est parfait pour ceux qui veulent rester discrets, il n’y a pas que des hommes qui achètent ».

    Ce sont surtout ces acheteuses et acheteurs à distance qui emportent les lots que nous présente le jeune Arthur. Un manutentionnaire âgé et deux secrétaires femmes parfois rejointes par un autre homme également manutentionnaire sont aussi à la manœuvre. Ce dernier se voit reprocher l’absence du lot cent neuf. Il le cherche fébrilement tandis qu’on passe à la suite. Dans la salle, les lots de photos ont du succès, achetés cher alors qu’on trouve mieux et gratuit via Internet « Cinquante-cinq à l’homme à casquette dans le fond ».

    - Je n’ai pas encore fait d’adjudication à soixante-neuf euros, regrette le commissaire priseur.

    Certains lots sont retirés faute d’acheteur au prix demandé. C’est le cas des quinze volumes de l’Encyclopédie de la bande dessinée érotique proposée à cent vingt euros pour laquelle je me suis retenu de faire une offre.

    -Le lot cent neuf, on l’a photographié donc on l’avait, constate le commissaire qui mime le geste du voleur.

    Un orage de grêle se déclenche brutalement. Les grêlons tambourinent sur la verrière. On n’entend plus rien mais la vente se poursuit. Le calme revenu, un acheteur au téléphone emporte le lot contenant les deux Hamilton. Il sera déçu quand il découvrira qu’on ne lui a pas dit que ces volumes ont perdu leur jaquette. De moins en moins d’ordres arrivent via Internet. Malgré les efforts du jeune Arthur, les deux eaux-fortes de Maccheroni, d’une totale obscénité (« le roi de la vulve », commente le commissaire) n’intéressent personne.

    -Ils préfèrent les albums de photos, c’est plus discret, explique notre officiant à ses secrétaires.

    Il est plus de dix-huit heures. On arrive au bout des lots. Les deux poignées de porte en forme de bite sont adjugées à huit cent soixante euros.

    -La vacation est terminée, annonce l’homme au micro.

    Les acheteurs vont signer leur chèque. Je rentre sans rien, passant devant l’église Saint-Maclou au moment où les pompiers y arrivent. Encore une fois, une gargouille de l’édifice récemment restauré s’est écrasée sur le pavé.

    *

    Quant à être calme, je l’étais à l’Opéra de Rouen le soir incriminé, mais il semble que certains m’aient lu de travers. Ce sont eux qui auraient dû venir à cette vente (après avoir laissé leurs instruments de musique au vestiaire).

    *

    Dimanche matin, au vide grenier de la Calende sinistré par le mauvais temps.

    Un homme : « C’est combien la petite chaise là-bas ?

    La vendeuse : « La petite chaise ? Elle est vendue. Mais si ça continue, quand la dame elle reviendra, j’vais lui rendre ses dix euros, et puis la revendre plus cher parce qu’on n’arrête pas de me la demander. »

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  • Ce samedi matin, par la fenêtre, j’aperçois un jouet d’enfant fille sur le pavé mouillé de la venelle, meuble à bijoux rose aux tiroirs ouverts, colliers et diadèmes de princesse répandus. Lorsque je sors, un voisin artisan est en train de le ramasser, se plaignant que les gens salissent tout. Je ne sais ce qu’il va en faire.

    Affrontant la pluie, je porte à la main un lourd sac de livres à donner aux organisatrices de la vente de livres d’occasion de Terre des Hommes. Cela fait, je m’offre un nouveau tour des vingt mille livres. La concurrence sérieuse n’est représentée que par le bouquiniste proche de la Cathédrale. Une jeune femme m’aborde qui se dit journaliste à Paris Normandie. Elle veut savoir ce que je cherche.

    -Je suis comme Picasso, lui dis-je, je ne cherche pas je trouve.

    Elle en reste baba et se rabat sur une dame prénommée Colette qui cherche des livres de mystère, des trucs d’Atlantide, et des romans de Michel de Grèce. Ces goûts sont assurément adaptés au lectorat du journal. La dite journaliste suit Colette de table en table, l’invitant à confesser ses habitudes de lecture. Combien de fois par semaine ? Et dans quelles positions ?

    Arrive un photographe à bonnet et barbe travaillant pour le même journal ou l’un de la presse gratuite. Il me demande s’il peut me photographier. Je lui cite la phrase fétiche de Bartleby.

    *

    D’Alfred Döblin : « C’est seulement dans les États libéraux modernes, ceux qui se sont voués au commerce, à la banque et à l’industrie, au capital et à l’armée, que pouvait s’implanter cette parole de mépris : « L’art est libre », c’est-à-dire complètement inoffensif, ces messieurs-dames peuvent bien écrire ce qu’ils veulent ; nous relions cela en cuir, y jetons un œil ou l’accrochons au mur, nous fumons là-dessous nos cigarettes […].

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  • Une pluie de tous les diables, il n’en faut pas plus pour que je sois, c’est une première, le premier à attendre l’ouverture des portes de la Halle aux Toiles où la section rouennaise de Terre des Hommes propose ses livres d’occasion ce vendredi et les deux jours qui suivent. Il est dix heures moins le quart. Bientôt arrive une femme qui me passerait presque devant au prétexte que des livres, elle, elle en apporte. Puis, derrière nous, la file se forme vers laquelle je n’ai pas besoin de me tourner pour savoir qui en est.

    Un peu avant l’heure, une femme de l’association de charité ouvre et c’est l’habituelle ruée des professionnels vers les rayons Histoire et Régionalisme. Je furète ailleurs, pas emballé par ce que je vois, ni par les prix pratiqués (le poche est à un euro, le grand format entre deux et quatre) mais finissant par dénicher quelques pépites, aidé par certains bouquinistes les délaissant au profit du tout venant qu’aime leur clientèle. L’un des sacs de celui de la rue Thouret déborde d’Harlan Coben.

    Malgré ma promesse de ne plus m’encombrer de livres, je ne peux nier que dans mon sac, au bout d’une heure et demie, il y en a trop. L’une des dames fait mentalement le total de ce que je dois et l’oublie avant que j’aie le temps de payer. La fatigue, me dit-elle, c’est épuisant de mettre en place tous ces livres.

    *

    Parmi mon trop : Hammerstein ou l’intransigeance (Une histoire allemande) de Hans Magnus Enzensberger (Gallimard), l’histoire du chef d’état-major général de la Reichswehr opposé à Hitler, et De la séduction des anges, les poèmes et textes érotiques de Bertolt Brecht (L’Arche).

    *

    Sarko, le fat sot, qui se balade en calèche à New York tandis que Marie-Ségolène, la pure hautaine, se prend pour la reine de l’écologie, comme un retour bouffon à l’année deux mille sept.

    *

    Titre d’une pièce que je n’écrirai pas : « Le songe d’une nudité ».

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  • Max Jacob aime les garçons. C’est donc logiquement à des jeunes gens que s’adressent pas mal de ses missives, où je trouve anecdotes à mon goût :

    Chez la princesse Edmond de Polignac il y avait Anna de Noailles. Elle a l’air d’une écuyère de cirque sur un cheval. Elle a des tas de chiffons qu’elle soulève pour montrer ses jambes et plus haut et dit : « Je suis la beauté, la grâce et le génie ! ». C’est un torrent apocalyptique. Cocteau n’a jamais imité qu’elle : ils sont Sosies. Mêmes mains de prestidigitateur, même regard, même sourire, mêmes gestes, mêmes opinions, même conversation, mêmes éternelles maladies. C’est effrayant !!  (à François de Gouy et Russel Greeley, en avril mil neuf cent trente-deux)

    Il y a à Paris des maisons « nudistes » très honnêtes ; chez les de Callias on se déshabille au vestibule comme on enlèverait son pardosse. Des dames racontent cela et se vantent de l’avoir fait. Cela laisse rêveur. (à René Dulson, le vingt-quatre mars mil neuf cent trente-trois)

    Une note infrapaginale explique que les de Callias étaient deux sœurs : Suzanne romancière et Hélène compositrice (cette dernière correspondante de Max). Elles habitaient au quatre-vingt-dix-huit rue de Vaugirard  et sont mortes dans les années soixante.

    J’attends l’homme à la thèse. Boursiac de Toulouse fait une thèse de doctorat sur moi et vient m’interviewer tous les jours. Après ma biographie dictée en 50 pages, il a exigé l’analyse de mon caractère puis la genèse de chaque livre (il y en a 35), la genèse de mon style, de mes manières, de ma peinture. Bref, c’est moi qui écris la thèse. (à René Dulsou, le jeudi six avril mil neuf cent trente-trois)

    Le Louët me parle d’un vieux poète de 76 ans, que j’ai toujours considéré comme un crétin fini, Victor-Emile Bachelet. Il le considère comme un cabaliste extrêmement fort. Et pour forcer mon admiration, il me répète son éloge de moi : « Max Jacob est un intuitif ! » Le mot intuitif est une espèce d’injure, il signifie : « Le peu de mérite qu’il a, ce n’est pas de sa faute. » (à René Delsou, le dimanche quatre février mil neuf cent trente-quatre)

    Dans la même lettre ce zeugme : Je prie toujours pour ton père et pour toi, afin que tu penses à tes examens de droit et de conscience.

    Ainsi que cet avis sur la politique d’alors : La chambre montre ce qu’elle est : inférieure au niveau contemporain, indigne de Paris, de la France moderne, stupide, féroce, idiote. On a balancé Chiappe exprès pour pouvoir terrifier Paris : les voleurs deviennent des assassins quand on les trouble dans leurs cambriolages.

    L’âge avançant, les jeunes gens s’éloignent. Ses lettres s’adressent de plus en plus à des confrères :

    Mes amis sont tous des parnassiens à la noix de coco ; si les plus intelligents mettent du sentiment comme les jeunes filles qui faisaient du piano, ce n’est qu’un condiment. Personne ne s’écroule en gémissant. Et le mot d’Apollinaire (ah oui ! celui-là, oui !) à Radiguet qui venait le voir à 17 ans : « A votre âge Rimbaud était déjà mort ! » est un mot extrêmement  profond. (à Joë Bousquet, le poète paralysé de Carcassonne,  le treize juillet mil neuf cent trente-six)

    Chauchard fondateur des magasins du Louvre dînait seul tous les soirs en habit noir avec son grand cordon et ses plaques. (…) tous les soirs après dîner (il) se faisait apporter le gramophone (…) ; on mettait le disque : c’est un discours d’un ministre de ce temps-là, un discours sur Chauchard. Tous les soirs ! Que n’ai-je un gramophone qui tous les soirs me répèterait. (à Charles-Albert Cingria, le quatorze juin mil neuf cent trente-neuf)

    La Deuxième Guerre Mondiale est là. Cela va mal tourner pour Max Jacob, le juif devenu catholique, mais il n’en est pas encore conscient :

    A l’instant je trouve à la poste votre chère et très aimée écriture et –enfin ! l’atmosphère du front, de la guerre, les vaches et les cochons, chats chiens en liberté, la lessive du curé en train. Oui, c’est la guerre : l’ordinaire amélioré et l’obus occasionnel qui ne fait de mal à personne ! (à François de Montalivet, le vingt-neuf octobre mil neuf cent trente-neuf)

    Note en bas de page : « Max Jacob avait déménagé en octobre. Son loyer mensuel était de 200 F et il disposait d’une petite servante encore écolière (Aimée) moyennant 20 F. »

    *

    Et aussi :

    Germaine Krull est venue photographier mes mains ; elle a l’air d’une grande pomme de terre, d’une noix, d’une aventurière russe emprisonnée, émigrée, d’un garçon de courses. (à René Dulsou, le vingt-deux février mil neuf cent trente-quatre)

    *

    Enfin :

    Mon impression généralisée est que les enfants sont de plus en plus mal élevés. Mal dans tous les coins, en villes et campagnes : les enfants sont affreux, capricieux, méchants et pas redressés. (à Pierre Lagarde, en mil neuf cent trente-six)

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  • -Vous avez connu le restaurant comment ? me demande d’un air surpris le serveur à peine suis-je installé à l’une des tables près de la vitre donnant sur la rue de Lessard, rive gauche de Rouen.

    -Par une publicité au garage Renault un peu plus loin où j’ai mis ma voiture hier.

    Les Délices du Sénégal s’y présente comme « le plus grand restaurant africain de Haute Normandie ». Ce doit être vrai si les autres sont tout petits. Deux salles, dont l’une côté bar, cela fait bien moins grand que beaucoup de restaurants dits français ou japonais ou chinois de la ville et de la région. Comme je suis le seul client, ce n’est pas un problème.

    Ce restaurant n’est ouvert que depuis deux mois. Au mur, un écran géant (si je puis employer ce qualificatif sans craindre de l’énerver) diffuse une chaîne d’info continue heureusement muette pour laisser place à une musique d’ambiance de là-bas. J’opte pour des accras de morue et un poulet yassa. C’est cuisiné au masculin et suffisamment bon. Pour dessert, je demande si je puis avoir la portion de pastels offerte que promet la publicité et apprends que c’est une offre réservée à la vente à emporter. Je m’abstiens de toute remarque désagréable. Avec le quart de vin rouge, ça fera quinze euros.

    On me salue presque trop poliment lorsque je sors. La vitre de la porte d’entrée est remplacée par un panneau de bois.

    *

    Je passe une partie de ce mercredi après-midi au café de l’Ubi à mettre en forme mes notes sur la correspondance de Max Jacob puis à lire le volume deux d’Après l’Histoire de Philippe Muray. Etre occupé à une tâche gratuite au milieu d’autres occupés à des activités similaires me rend très efficace.

    *

    Deux vieilles à cheveux blancs devant la vitrine de la Mam Galerie, considérant l’un des véhicules lunaires de Marc Hamandjian. L’une : « Ça  ferait bien dans mon salon. »

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  • Mon procès avec les assurances commence jeudi ; j’irai sans assurance. écrit Max Jacob à Félix Maillols, le vingt-deux juillet mil neuf cent trente. Ce Félix réside Pension Ty-Mad à Tréboul par Douarnenez, une maison que connaissait bien Max Jacob pour y villégiaturer, qu’il aimait beaucoup et surnommait « Ty mât-des-cocagnes ». Charles-Albert Cingria, autre de ses correspondants, y séjournait également.

    Huit ans plus tard, dans une lettre datée du vingt-six juillet, Max Jacob écrit à Jean-Robert Debray, jeune homme de sa connaissance:

    J’aime Tréboul ! J’y ai passé des mois à l’admirable pension Ty-Mad. Tu iras un jour y goûter une nourriture fraîche et naturelle, qui n’est pas celle des hôtels et tu diras à la patronne que je suis toujours son ami.

    La pension Ty-Mad existe toujours, devenue hôtel. On y domine le large près du cimetière marin où repose (comme on dit) Georges Perros. Un charmant chemin côtier mène au port de Douarnenez. Je l’ai pris de nombreuses fois, seul puis bien accompagné.

    A cet hôtel Ty-Mad, j’ai passé une semaine en solitaire et en demi pension, sans me douter que m’y avaient précédé ces écrivains. C’était à la fin du vingtième siècle, quand le prix de la plus petite chambre était encore abordable. Chaque soir, je dînais face à la mer et dans la chambre avec vue sur rien d’intéressant, j’écrivais mon premier texte long, roman ou récit, intitulé Mélissandre.

    Ce texte a paru en deux mille aux Editions Olympio de François Bourin (uniquement lisible sur Internet en payant) et a disparu rapidement avec la faillite de celles-ci.

    L’ami de Stockholm me demande de temps à autre de mettre en ligne mes textes longs. J’y pense et ne le fais pas. L’écrire m’obligera peut-être à m’en occuper.

    *

    La correspondance de Max Jacob, trouvée pour trois euros chez Book-Off, est publiée par les Editions L’Arganier en trois tomes élégants, sous le titre Les Amitiés & les Amours.

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  • Etre réveillé en pleine nuit par un voisin bruyant, ça m’arrive. Là, c’est l’Archevêque qui à minuit s’autorise à annoncer la résurrection du crucifié à grands coups de cloches de Cathédrale. Ce mauvais exemple est suivi par un autre voisin qui pendant dix minutes met sa musique à fond. Rendormi, c’est une drache claquant sur le toit qui me sort à nouveau du sommeil vers cinq heures. Voilà qui met les vide greniers de Pâques à l’eau, me dis-je.

    Il pleut toute la matinée puis cela s’arrête. Peu désireux de passer ce dimanche enfermé, je prends ma petite voiture et me risque jusqu’à Autheuil-Authouillet dans la vallée d’Eure où l’on a déballé quand même. Je n’ai pas grand espoir d’y trouver de quoi me plaire, et effectivement l’essentiel de la marchandise proposée aurait sa place à la déchetterie. Le village n’est plus le lieu de villégiature pour Parisien(ne)s qu’il était autrefois, du temps de Montand et Signoret, quand la résidence secondaire était le marqueur social obligatoire pour qui avait plein d’argent. Je ne croise aujourd’hui que des pauvres, que ce soit celles et ceux qui vendent ou celles et ceux qui se promènent sans acheter grand-chose. On semble s’ennuyer prodigieusement.

    -Il faudra qu’on aille le voir ce film qui ne passe pas encore à Evreux, dit l’un.

    Sur la route du retour, je fais le crochet de Quévreville-la-Poterie à la frontière entre l’Eure et la Seine-Maritime. Là, le nombre d’exposant(e)s ne dépasse pas la vingtaine. La marchandise est à peine de meilleure qualité. Dans les allées on occupe le temps vide du jour férié. C’était ça ou regarder la télé, selon un quinquagénaire à bedaine qui ne s’étonne pas d’y trouver un autre.

    *

    Un malin : Nicolas Meyer-Rossignol, Chef de Région. Il propose que le mariage des deux Normandie (Basse et Haute) se fasse avec une troisième, la Picardie. Au centre de cette vaste étendue : Rouen, logiquement capitale.

    *

    Un qui a le sens des affaires : le patron du café Roman de Gare. Il garde vos valises à l’heure ou à la journée (cinq euros).

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  • Samedi vers dix-sept heures trente, j’entre au numéro vingt de la rue Alsace-Lorraine, cette artère rouennaise où circulent essentiellement les bus Teor et les ambulances sirènes hurlantes vers le Céhachu. Ce dix-neuf avril deux mille quatorze, on y inaugure Ubi, un lieu artistique mutualisé de six étages en briques solides que vont se partager la Piccola Familia (théâtre), la Mam Galerie (art contemporain), Jabran Production (audiovisuel), l’Ensemble Variances de Thierry Pécou (musique contemporaine), Oscar (employeur culturel), la Compagnie Sylvain Groud (danse), la BBC Compagnie de Bruno Bayeux (théâtre) et le Centre Dramatique National de Haute-Normandie.

    Je me faufile dans la foule et, par l’escalier étroit, atteins les hauteurs du dernier étage où je trouve deux têtes connues de moi dont l’une à chapeau. Ce niveau sera dévolu à l’hébergement d’artistes dits en résidence, un salon, une salle de bains, deux chambres dont l’une sans fenêtre pour celui qui arrivera le dernier. Une échelle de meunier permet d’accéder aux combles qui seront peut-être aménagés un jour. Redescendant, je visite, d’étage en étage, les lieux où sont maintenant installées les administrations des troupes de Thierry Pécou et de Sylvain Groux dont je connais le travail par leurs créations montrées à l’Opéra de Rouen, et celle de la compagnie de Bruno Bayeux avec qui j’ai eu l’occasion de parler quelques fois. Deux hommes montant s’inquiètent de l’argent que ça coûtera de chauffer tout ça l’hiver.

    Il me reste à voir le sous-sol transformé en lieu d’exposition par la volonté de quelques étudiant(e)s des Beaux-Arts et, revenu au rez-de-chaussée que se partagent un café associatif et la galerie d’art de Marie-Andrée Malleville (à l’origine de ce vaste projet mêlant les artistes de domaines divers et le public au privé), j’échange quelques mots avec cette dernière avant d’aller chercher un verre de kir normand à l’orangeade au bar. C’est aussi le vernissage de la première exposition de la Mam Galerie et j’en fais le tour. L’artiste invité est Marc Hamandjian. Sous le titre Le futur a déjà commencé, il montre plusieurs de ses véhicules blancs à écrans multiples destinés à l’exploration lunaire, ainsi que des maquettes de même couleur. Il est question de quitter la terre et bien sûr chacun sait qu’on n’ira nulle part.

    Je retourne au bar pour un autre verre et grignote quelque nourriture offerte. Près de moi une beauzarteuse montre un livre à l’un de ses condisciples en parlant d’un troisième :

    -Il l’a volé à la Japan Expo et puis il me l’a donné, c’est trop mignon.

    Des livres, il y en a ici aussi, près de la porte des vécés qui connaissent un franc succès, un peu de tout, à disposition dans des rayonnages, au risque d’être volés. D’ailleurs, il me semble voir la compagne d’un géant blond en glisser un dans son sac mais c’est peut-être l’effet de mes deux verres de kir au cidre et à l’orangeade. Le silence est demandé afin que des membres de l’Ensemble Variances fassent entendre leur musique. D’abord, à la flûte, une composition de l’absent Pécou qui désarçonne certain(e)s qui se le signifient par des regards échangés. Cela ne s’arrange pas avec Varèse. On peut être spécialiste de l’art dit contemporain et ne rien connaître ou comprendre à la musique dite contemporaine et réciproquement. La proximité nouvelle y remédiera peut-être.

    Un jeune homme prénommé Alexandre, dit Alex, de la Piccola Familia, prend alors la parole pour raconter l’aventure que fut la réalisation matérielle de ce lieu qu’il veut « intelligent, fun, populaire et accessible » puis Marie-Andrée Malleville se charge des remerciements à la centaine de bénévoles qui a effectué les travaux pendant des semaines, au couvreur Verhaeghe qui vient de lui remettre un chèque, à la société R’Net qui a déblayé gratuitement des masses de gravas, à la Sénatrice Morin-Desailly qui a donné de sa réserve parlementaire, à son mari antiquaire pour le prêt des tables et sièges du bar, à la Matmut « qui ne met pas son argent que dans les projets mirobolants ». Elle en oublie et moi aussi.

    Fendant le monde qui continue à arriver, je me dirige vers la sortie, croisant en chemin une connaissance qui me félicite d’être de toutes les mondanités. Près de la porte sont deux jeunes filles auprès de qui il est loisible d’adhérer, moyennent cinq euros pour un an. Ma carte porte le numéro cent huit.

    *

    J’habite à Rouen depuis une quinzaine d’années et c’est la première fois qu’il s’y passe quelque chose de neuf. Peut-être trouverai-je ma place seul avec un livre ou mon ordinateur dans ce café associatif. Si du moins il ne devient pas repaire de bobos comme me le fait craindre l’invitation de Marie-Andrée Malleville à s’y retrouver ce dimanche midi pour un repas « retour du marché ».

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