• Après avoir manqué celui de Pîtres parce que j’étais à Bordeaux, puis avoir subi deux semaines de disette pour cause d’élections municipales, me voici ce dimanche matin, premier d’avril, en route pour mon premier vide grenier. Délaissant Gaillon, d’où l’an dernier je suis revenu déçu, j’ai choisi Clères, où je ne sais pas aller sans l’aide de la carte routière. Y ai-je seulement remis le pied depuis l’enfance ? En ce temps-là, une fois, la seule sortie familiale de l’année fut pour le parc zoologique qui y prospère.

    C’est en épi devant celui-ci que je me gare, le jour se levant malgré un ciel gris. Une rivière étroite dont je suis le cours m’emmène au centre du bourg. Sous la halle et dans les rues avoisinantes, on déballe en craignant la pluie. Les vendeuses et vendeurs n’ont pas l’air pour la plupart de sortir des maisons bourgeoises mais de venir d’ailleurs proposer leur marchandise parmi laquelle beaucoup de vêtements d’enfant qui même lavés semblent sales.

    Je fais deux fois le tour sans rien trouver qui me soit nécessaire en me promettant de revenir dans ce gros village un jour de semaine. On y voit une fascinante maison à pans de bois ruinée de plusieurs étages dont les murs sont maintenus à l’extérieur par des poutres elles-mêmes sanglées dans des câbles d’acier afin d’éviter l’écroulement de l’ensemble. Dans un ultime souci esthétique, cet exosquelette a été complété par des jardinières de plastique vert dont la végétation est aujourd’hui totalement desséchée. Il y a à Clères un adepte de l’art contemporain qui s’ignore.

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    Pléonasme clérois : « C’est de l’argent gaspillé pour rien ».

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    Au retour, je retrouve ma ruelle plus sale que jamais, détritus de toute nature, merde de chien, pisse d’humain, graffitis et cætera. On ne peut pas accuser Robert, Maire, d’avoir nettoyé la ville pour se faire réélire, des semaines que ne passe plus ici le moindre balayeur.

    Hier matin, un adjoint spécialement chargé du centre ville a été nommé. Il s’agit de Kader Chekhemani, de la Gauche sportive, ancien coureur à pied. Comme il n’a pas d’autre attribution, tout devrait vite changer dans le quartier.

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  • Assis en corbeille, ce samedi soir, deux rangées derrière Robert, Maire réélu du jour même, j’assiste de près au ballet des féliciteurs, congratulateurs et calculateurs. Le réélu joue les modestes. Sa femme sort de chez le coiffeur.

    C’est un concert classiquement classique où se succèdent Mendelssohn, Mozart et Beethoven. L’Orchestre est dirigé par Debora Waldman, née au Brésil, ayant étudié en Israël puis en Argentine, de petite taille mais de grande énergie, vêtue à la masculine comme il est d’usage chez les cheffes (pas demain que je verrai l’une diriger en robe). Côté violons premiers et seconds, on mise aussi sur le féminin, onze musiciennes pour trois musiciens.

    Après l’ouverture des Hébrides de Felix Mendelssohn vient la Sinfonia Concertante pour violon et alto de Wolfgang Amadeus Mozart. Hervé Walczak, chef d’attaque des seconds violons, et Patrick Dussart, alto solo, sont aux avant-postes et reçoivent une bonne dose d’applaudissements à l’issue. En bonus, ils offrent un extrait du Premier Duo pour violon et alto du même Mozart.

     Reste, après l’entracte, la Symphonie numéro huit de Ludwig van Beethoven au cours de laquelle Debora Waldman perd sa baguette mais pas son sang-froid, pour que l’on soit tout à fait content. La cheffe serre plus d’une fois la main de la cheffe d’attaque des premiers violons, l’inhabituelle Tiphaine Gaigne. Celle-ci d’un grand geste du bras invite l’ensemble des musicien(ne)s à saluer une dernière fois et chacun rentre chez soi.

     

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    Une cheffe qui serre vigoureusement la main d’une autre cheffe alors que deux hommes solistes s’embrassent, c’est la loi du genre.

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    Ce concert sera donné quatre fois chez les voisin(e)s de l’Eure, dont une après-midi au Centre de Détention de Val-de-Reuil, endroit qu’autrefois on appelait par son vrai nom : la prison.

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    Pauline Guilmot, journaliste, parle dans le livret programme, à propos de l’ouverture de Mendelssohn, d’un « tapis hyperactif locomotif de cordes ». C’est exactement ça et je suis content de connaître un nouvel adjectif.

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    Ce même samedi, à midi, premier café de l’année en terrasse au Son du Cor, où ma lecture est hélas perturbée. Certaines ont profité de l’hiver pour œuvrer à la reproduction de l’espèce et l’estaminet pourrait être rebaptisé le Son des Gniards.

    Quand ces familles vont déjeuner ailleurs, c’est une tribu de joueurs de boules qui déboule, garçons à chortes et chapeaux ridicules buvant des mauresques et des bières, filles à capes et chortes sur collants noirs jouant les groupies. La bêtise masculine m’indiffère, mais que des filles acceptent si facilement de tenir le rôle de pouffes me déprime toujours.

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  • Lu une première fois au début des années soixante-dix, au moment de sa parution, je viens de relire L’art à bicyclette et la révolution à cheval de Pol Bury (Idées/Gallimard), recueil de divers textes critiques illustrés de dessins d’humour du dix-neuvième siècle. Le sculpteur belge, ami de Topor, s’y entendait à merveille (comme on dit) pour lancer le pavé dans la mare des idées dominantes d’alors. Herbert Marcuse et Alain Jouffroy sont les premiers à en faire les frais.

    Un seul extrait, à propos d’un livre de Jean Galard, lequel deviendra seize ans plus tard directeur des activités culturelles du Louvre :

    Une fois de plus l’ « Art » est mort. Sa mort fait partie des bilans du week-end, mais ne fait pas la « une » des journaux. C’est de la nécrologie intime.

    Il faut pourtant s’attendre, lorsqu’on écrit un livre intitulé : Mort des Beaux-Arts, à ce que les employés du défunt, ou prétendu tel, se demandent  si le corps commence à sentir et s’il est vraiment temps de le mettre dans le cercueil.

    On est en droit de s’inquiéter : portera-t-on le deuil ou se contentera-t-on d’un enterrement clandestin ?

    En exergue, deux citations de Winston S. Churchill, tirées de son livre La peinture, mon passe-temps publié en mil neuf cent quarante-neuf aux Editions de la Paix :

    La peinture est un grand amusement. Les couleurs sont agréables à regarder et il est délicieux d’appuyer sur les tubes pour les en faire sortir. Les assortir, quelque grossièrement que ce soit, avec ce que l’on voit, est fascinant et absorbant au plus haut point. Si vous ne l’avez déjà fait, essayez avant de mourir.

    … on peint un tableau comme on livrerait bataille et essayer de peindre un tableau équivaut à essayer de livrer une bataille. Si faire se peut, la peinture est encore plus attachante que l’art de la guerre pratiqué avec bonheur.

    Sans doute est-ce après avoir lu ce livre que George W. Bush s’est mis à peindre des chiens et des politiciens.

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  • Particulièrement bruyant mon trajet jusqu’à Paris ce mercredi avec dans le train à partir de Mantes une moutarde qui hurle dans les bras de son père « Pourquoi tu pleures, pourquoi tu pleures » et dans le métro un cinglé qui hurle au jihad « J’ai pas de fusil, en France c’est interdit, mais aux Etats-Unis, j’ai le droit, j’ai un fusil, je te tue ».

    Le calme règne au Café du Faubourg où je lis Libération. Les Ecologistes ne veulent pas être au gouvernement Valls et c’est heureux. Après un tour chez Book-Off, je me balade au hasard dans le quartier et arrive au marché d’Aligre dont une partie est consacrée à la brocante et à la bouquinerie, des livres à un euro que je délaisse.

    C’est sur cette place que je déjeune, au restaurant La Grille dont le patron change de chapeau tous les quarts d’heure, passant du sombrero à la casquette de capitaine. La cuisine est d’inspiration méditerranéenne. Au menu à onze quatre-vingt-dix, je choisis le tartare d’avocat à l’huile vierge, le tagine de poulet et le moelleux au chocolat. Près de moi mangent deux hommes dont l’un ressemble au poète Bernard Noël. Il confond la Trois Gé avec la Trois Dé. J’ai vue sur le marché qui va vers sa fin. On y brade les légumes « Un euro, un euro, un euro ». La population locale a belle allure malgré sa pauvreté. On est loin de la léthargie chronique des passants des rues de Rouen. Cela me fait grand bien de respirer un autre air, même pollué. J’accompagne la nourriture fort bonne d’un quart de merlot.

    Peut-être est-ce lui qui est responsable de ma tendance à l’endormissement tandis qu’après un trajet en bus je passe une partie de l’après-midi à lire au Jardin du Luxembourg. Les Mémoires de la marquise de La Tour du Pin sont pourtant passionnants.

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    Rouen, sur la vitrine d’une agence immobilière de la rue de la Jeanne : « Transformer vos impôts en patrimoine : Loi Duflot » (ce qui restera du passage des Ecologistes au gouvernement Ayrault).

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    Jeudi, début d’après-midi, manifestation sur les marches d’un des grands escaliers du Palais de Justice (anciennement Parlement de Normandie) : « Greffiers en colère », « La Justice ne se fera pas sans nous ».

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  • Ce premier avril, le public présent à l’Opéra de Rouen n’a pas peur, il est venu malgré cette mise en garde : « Nous attirons votre attention : les danseurs évoluent nus durant le spectacle ». Le spectacle, c’est Tragédie, une chorégraphie d’Olivier Dubois qui fut créée au Festival d’Avignon en deux mille douze. Un petit malin s’étonne que les placeuses et les placeurs soient habillés. J’ai place au troisième rang de l’orchestre et deux femmes pas trop grandes devant moi.

    Les neuf danseuses (dont une ronde, comme on dit) et les neuf danseurs (dont un métis, comme on dit) sont effectivement nus mais rien de sexuel ni d’érotique dans leur prestation qui passe en une heure et demie, sur une musique puissante de François Caffenne, d’une marche métronomique et frontale à un déplacement erratique et épileptique, en quoi il est facile de voir une allégorie de la condition humaine soumise aux évolutions du monde moderne, une tragédie face à laquelle nous sommes nus.

    À l’issue, les interprètes revêtus rejoints par le chorégraphe ont droit à des applaudissements nourris mais assourdis, la faute à mes oreilles, un peu secouées par les décibels.

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  • Depuis quelques semaines, j’assiste à l’adaptation de La Poste rouennaise au monde moderne et je suppose que c’est la même chose ailleurs. Que ce soit à la Principale de la rue de la Jeanne ou à celle de la Champmeslé, le postier ou le plus souvent la postière n’est plus au guichet mais debout près de la porte et saute sur l’usager (ou le client comme on dit maintenant). S’il s’agit d’un affranchissement, normal, recommandé ou suivi, il est conduit illico presto vers la machine dont l’utilisation devient obligatoire.

    L’usager peut protester « Je ne sais pas m’en servir », rien n’y fait, il a droit à une séance d’initiation en forme d’humiliation publique, chacun pouvant constater qu’il est trop bête pour comprendre tout seul comment ça marche.

    Je fulmine pendant ce temps parce qu’aucune machine n’est libre :

    -Au lieu d’obliger ceux qui n’en ont pas envie, vous feriez mieux de laisser la place à ceux qui ne peuvent plus accéder à ces machines en libre-service parce que les postiers les monopolisent, fais-je remarquer à une postière.

    Si je veux me plaindre, je n’ai qu’à écrire à la Direction Départementale.

    A une autre, plus aimable, je fais remarquer que lorsque tout le monde saura se servir de ces machines, on n’aura plus besoin d’elle et elle ira pointer au Pôle Emploi.

    -Je sais bien, me dit-elle, mais on est obligé de faire ça, ce sont les ordres.

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    Sur une vitre du Palais de Justice, le dessin d’un homme très énervé avec ces mots : « Greffe en colère »

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    Flaubert porte beau en ce moment, place des Carmes, une belle écharpe colorée nouée autour de son cou de statue, tricotée à la main ou fabriquée en Chine, je ne sais.

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    Ce mardi midi, en chemin pour déjeuner avec une mienne nièce pas vue depuis longtemps, je passe devant l’église Saint-Sever. Le curé d’icelle aime les jeux de mots laids. Une banderole y proclame « Car’aime ton prochain ».

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  • Sale nouvelle que l’arrivée de Manuel Valls (celui qui marque les taureaux au fer rouge) à Matignon. Hollande est vraiment le spécialiste des petits calculs politiciens, capable de flatter tout à la fois les électeurs et électrices du F-Haine en choisissant celui qui représente à lui tout seul l’extrême droite du Parti Socialiste, chasseur de Sans Papiers et persécuteur de Roms, tout en ayant en arrière-pensée l’espoir de se débarrasser de ce Valls qui lui fait de l’ombre s’il se plante (et il se plantera).

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    Manuel, n’oublie pas ton rendez-vous du cinq juin à treize heures trente à la dix-septième chambre correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Paris où La Voix des Rroms t’a fait citer pour provocation à la haine raciale.

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