• Dire qu’on habitait au 103, rue de la Convention, Michel et moi… Chacun dans un immeuble, face à face. On avait la même adresse ! (…) le Destin a joué notre sort : « Pile, c’est Michel qui aura du succès. Face, c’est …

    Je préfère ne pas le nommer, même par son prénom, celui qui n’aura pas de succès. Les deux fois que j’ai parlé de lui, je me suis fait insulter par sa garde rapprochée. Ce livre-ci, publié dans une collection de semi poche en deux mille neuf, que j’ai lu il y a quelque temps, porte en titre son quantième. L’auteur, jaloux et envieux, y développe en quatre-vingt-treize pages et bien des perfidies, l’idée que le monde est injuste, c’est lui qui aurait dû avoir la réussite commerciale et la notoriété de son ancien voisin Michel Houellebecq :

    Tu as su synthétiser l’époque : la médiocrité et l’ennui de ce début de siècle, tu les as parfaitement transposés. C’est moi qui n’y ai rien compris. Je n’ai pas pigé que seul ce qui est nul, faible, triste, de mauvais goût, plat, sans vie, dépressif, rabougri, étriqué, ramolli, épuisé, vidé, minable, triomphe. C’est presque indécent d’être tout le contraire.

    Oui ! écrit-il encore On avait besoin d’un écrivain de quarante ans, « rebelle », réac (même un peu « facho »), qui dise son temps dans un style original et scandaleux… Bref : « le nouveau Céline »… Excuse-moi, c’est trop bête : j’ai longtemps cru que c’était moi !

    Afin que nul(le) ne doute de leur proximité, le non nommé nous narre une anecdote bien à même de ridiculiser celui qui a réussi :

    Il ne te manque pas trop notre Monoprix ? Tu en as passé des heures, là, à hésiter entre des poireaux et des navets, ou alors des Knackies… Tu te souviens de cette conversation qu’on avait eue ? Pour toi le paradis c’était un Monoprix et pour moi un bar à putes ! Tout ça parce que dans notre Monop’, il y avait une caissière que tu draguais : une grande Noire en blouse rose. Que de râteaux tu t’es pris, caisse 4 !

    Et conclut :

    J’ai eu tout faux, je n’ai rien compris. J’ai prêché une littérature jubilatoire d’exaltation artistique. J’ai été grotesque. Je n’ai pas su voir. Au lieu de foncer dans mes extases, il fallait rester sur place, stagner dans sa merde et simplement murmurer : « Ça va pas fort. » Ça va pas fort : très bon titre.

    Michel Houellebecq est justement, ce samedi après-midi, le sujet de cinq heures d’émissions sur France Culture, de quoi énerver une nouvelle fois son ancien voisin. Je me souviens que sur cette radio, une autre fois, interrogé sur le livre dont je parle et son auteur, Houellebecq avait répondu : « Oui oui, on était voisins, je le voyais passer avec son petit manteau et son petit cartable, bien propre sur lui, et à chaque fois je me disais : « C’est ça un antisémite ? »

    *

    Mon exemplaire provient de chez Book-Off. Je l’ai payé un euro. Une fille prénommée Sandra l’a lu avant moi et y a laissé des marques au crayon à papier, ainsi que son adresse mail. Je viens de lui écrire lui demandant pourquoi l’avoir revendu, elle me répondra peut-être.

    *

    Autre lecture du moment, Les Demoiselles du Taranne, le journal de l’année mil huit cent quatre-vingt-huit (publié par L’Infini/Gallimard en deux mille sept) de Gabriel Matzneff, aujourd’hui vilipendé par certain(e)s pour aimer les filles jeunes et parfois mineures. Lui aussi a la faiblesse de se plaindre d’être un écrivain pas apprécié à sa juste valeur, regrettant que ses romans ne figurent pas sur les listes des prix littéraires. Je ne les aime pas ses romans, ne trouvant intéressants que ses essais et surtout son Journal :

    Dimanche 8 mai, 19h15. Je quitte à l’instant Annah venue au Taranne à 16 heures. Trois heures de plaisir. Elle s’avère une élève sensuelle et aux progrès rapides. Après lui avoir fait l’amour par toutes les voies possibles j’ai explosé dans sa bouche, et cela a semblé lui plaire beaucoup.

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  • Peu enclin à laisser passer une voiture dans les rues piétonnières rouennaises, je ne bouge pas davantage s’il s’agit d’un vélo. Ainsi en est-il ce vendredi, rue de la Croix-de-Fer, quand j’en entends plusieurs arriver derrière moi. Je suis même prêt à les envoyer bouillir s’ils m’envoient un coup de sonnette. Heureusement qu’ils ne le font pas, il s’agit de trois policiers. Depuis quelques semaines, des patrouilles vélocipédiques sillonnent la vieille ville. Rapides et silencieux, ils traquent le délinquant ou la délinquante.

    Un peu plus tard, je retrouve l’un de ces policiers tandis que je reviens de la bouquinerie Thé Majuscule par le plus court chemin, c’est-à-dire par le travers de la Cathédrale. Sans son vélo, le casque réglementaire sous le bras, à croire que c’est moi qu’il suspecte d’être délinquant, il semble incongru dans l’édifice dont sonnent les cloches.

    Ces pédaleurs en uniforme ne sont pas la seule nouveauté cycliste. L’Office du Tourisme de Rouen organise maintenant des visites en vélo, lesquelles passent évidemment par la ruelle où j’habite, comme si les troupeaux pédestres ne l’encombraient pas assez. Défilant à la queue leu leu (comme on dit) derrière leur guide à micro, tous casqués, munis d’une oreillette, j’ai le temps de dire à chacun qu’il est ridicule.

    *

    D’autres vélos vont disparaître : ceux que louait l’agglomération. Louait à perte, ont fini par comprendre les politicien(ne)s locaux (plus de quatre cents euros par personne et par an). Comme les municipales, pour lesquelles on avait besoin du vote écolo, sont passées, on arrête tout.

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  • De l’orgue au programme du dernier concert d’avant vacances de l’Opéra de Rouen qui se donne donc à l’abbatiale Saint-Ouen où Cavaillé-Coll a œuvré. L’espace du public est divisé en deux : devant, de nombreuses rangées de chaises rouges, derrière, des gradins à coussins rouges. Je choisis de poser mes fesses sur ces derniers. C’est parfait pour la vue globale mais sans doute un peu loin pour bien ouïr l’Orchestre.

    Chaque entrant(e) a la même hésitation. Les gradins se remplissent vite. A ma droite s’installe une sorte de Théodore Monod en chorte. Derrière, un couple de quinquagénaires (dont lui appelé Minou par elle) commente les arrivées :

    -T’as vu, y a Claude de la Randonnée.

    (Un nobliau sans doute)

    -Ah mais il est tout seul, y a pas sa femme.

    (Elle a dû rester à la maison pour regarder le foute)

    D’aucuns n’hésitent pas à venir ici avec à la main le sac jaune des Soldes Suprêmes du Printemps. Minou, qui a de longues jambes met son pied sur mon coussin. Je lui demande de mieux se tenir. Arrivent alors quelques intermittents du spectacle. Ils distribuent des autocollants de soutien à leur lutte (comme on dit). Je prends le jaune à jeu de maux « Sauvons l’art est public ». Minou refuse d’en prendre un, il n’est pas assez informé.

    -On va vous informer, lui répond l’intermittent.

    Effectivement, l’un d’eux prend le micro après que les musicien(ne)s sont installé(e)s et explique le problème. Le son réverbérant oblige à tendre l’oreille. Une partie de l’auditoire applaudit, dont le faux Théodore, mais Minou non.

    Oswald Sallaberger est à la baguette pour le très beau Cantus in memory of Benjamin Britten d’Arvo Pärt puis Michael Schöch, né en quatre-vingt-quinze à Innsbruck, montre ce qu’il sait faire avec un orgue en jouant le premier mouvement de la Symphonie pour orgue numéro six en si mineur de Louis Vierne. L’union se fait grâce au Concerto pour orgue et orchestre de Francis Poulenc. L’orgue dépote. Notre timbalier trouve enfin à qui parler.

    Je fais quelques pas dans l’abbatiale à l’entracte. Le docteur du Hennepéha est fier d’arborer sur sa veste l’autocollant jaune. Je ne sais pas ce que je ferai du mien.

    A la reprise, c’est la Symphonie numéro trois en mi bémol majeur « Héroïque » de Ludwig van Beethoven, pour laquelle je suis peut-être un peu loin et énervé par le bruit d’un soulier de premier rang de gradins raclant sur la pierre. Cette œuvre monumentale suscite beaucoup d’applaudissements qui font revenir le Maestro pour de nouveaux saluts cependant que certains pressés filent par les côtés profitant de la pénombre et se croyant invisibles. Ils se font qualifier par d’autres de personnes sans éducation.

    *

    Le matin même, les intermittents du spectacle s’émouvaient de l’interdiction faite à eux par Nicolas Mayer-Rossignol, le Socialiste Président de l’Opéra de Rouen, d’accrocher une banderole au fronton du bâtiment, ce pour quoi Frédéric Roels, Directeur, avait donné son accord. Que ce bébé Fabius interdise ne m’étonne pas, ce qui me sidère c’est que ces intermittents en pétard aient demandé l’autorisation.

    *

    Nicolas Rouly, autre bébé Fabius, le Socialiste Président du Conseil Général de Seine-Maritime, annonce la fin du festival Automne en Normandie, une suppression qui suit celles, pour des raisons diverses mais toujours de gauche, des Transeuropéennes, du Festival Ramdam, du Festival du Cinéma Nordique.

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  • Après avoir dit la tristesse que lui inspire le sort des chevaux, grand-père Jules en revient à la permission donnée pour le décès de son frère dont il n’évoque pas l’enterrement :

    … c’est chez mes Parents à Ourville-en-Caux que je passais cette permission qui se terminait le 11 Novembre et c’est dans la matinée de ce jour que comme une traînée de poudre la nouvelle se répandit dans la Commune, l’armistice sera signé à 11h, partout ce fut une immense joie…

    J’étais le seul permissionnaire dans le pays (…) les plus aisés payaient le champagne, ce qui me valut de me sentir un peu vaseux le lendemain matin, mais après avoir déjeuné gaiement avec mes parents, je suis parti dans l’après-midi rejoindre mon régiment en Belgique.

    En arrivant à ma batterie qui se trouvait dans la région de Audenarde, je retrouvai mes camarades, tous heureux de voir la guerre finie (…) quelques heures seulement avant la cessation d’un combat, l’un d’eux avait eu un bras arraché.

    La démobilisation n’est pas pour tout de suite, les troupes avancent vers l’Allemagne :

    … le 1er décembre nous défilons à Bruxelles devant le roi Albert 1er, puis après avoir séjourné dans la région de Liège, puis passé à Verviers, nous sommes rentrés en Allemagne, à la première halte de bonne heure le matin, dans un petit village, les habitants venaient curieusement nous regarder, puis ils nous ont offert de leur café, ersatzcafe comme ils disaient (il y a longtemps qu’ils n’en avaient plus de vrai)…

    Le voici donc occupant pendant un moment l’Allemagne à Eschweiler (entre Aix-la-Chapelle/Aachen et Duren) où l’on ne trouve plus ni chiens ni chats, ils ont été mangés, puis il retourne en Belgique à Beyne-Heusey près de Liège où il loge chez l’habitant et prend ses repas avec une douzaine d’autres chez deux institutrices, et là dans son texte grand-père Jules fait une très longue digression au sujet d’un guérisseur qu’il y rencontre et qui jure-t-il fait des miracles, retrouvant le frère disparu de l’un d’eux, rendant la vue et la mobilité à la grand-mère d’un autre. De retour en France, il cantonne à Remiremont, puis à Saint-Amé où il est hébergé par la famille Coolus, enfin à Guebwiller qu’il quitte le quinze août mil neuf cent dix-neuf avec l’ordre de se faire démobiliser à Rouen, quartier Richepanse, ce qu’il fait le dix-neuf ;

    Comme tous ceux qui avaient combattu je touchai, ce que la nation nous donnait en récompense des services rendus, quelques dizaines de francs de pécule et un costume (dit Clemenceau) d’un modèle standard.

    A 27 ans, je me retrouvais donc dans la vie civile, avec une santé un peu altérée, particulièrement les voies digestives, et un peu handicapé par les séquelles de la blessure, m’empêchant de reprendre mon métier de garçon d’hôtel.

    Grand-père Jules est ainsi resté six années à l’armée dont quatre à faire la guerre. Ayant retrouvé sa liberté, il passe le permis pour faire chauffeur d’auto, conduisant d’abord des camions puis des voitures de maître.

    Pour moi comme pour beaucoup, le régiment et la guerre ne furent plus alors qu’un souvenir, conclut-il sobrement.

    *

    Si chauvins de France et chauvins d’Allemagne réussissaient à jeter les deux nations l’une contre l’autre, la guerre s’accompagnerait de violences sauvages qui souilleraient pour des générations la mémoire des hommes. Jean Jaurès dans L’Humanité (douze juin mil neuf cent treize)

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  • Constatant que l’état général de grand-père Jules devient de plus en plus mauvais, un médecin l’envoie dans un bon hôpital (seul moyen pour moi d’éviter que cela ne tourne au tragique).

    C’est aux environs du 1er juillet que j’arrivais à Cannes, dans un hôpital de la Croix Rouge installé dans le Grand Hôtel St Charles, tout y était parfait, les infirmières, presque toute de la bourgeoisie, ou de l’aristocratie, avec comme infirmière major la princesse Josepha de Bourbon, étaient bénévoles et très dévouées…

    Il se remet un peu et obtient une permission de vingt jours qu’il va passer à Ourville-en-Caux (ce fut une grande joie pour mes parents de me voir arriver pas trop estropié).

    Début décembre, je regagnais le dépôt du 129 au Havre, là je fus tout de suite obligé d’abandonner la canne dont je m’aidais encore pour marcher car cela était interdit en ville (par ordre du commandant de la place, qui heureusement ne défendait pas de boiter).

    (…) j’avais reçu une carte du Caporal Catelin, qui commandait mon escouade à l’attaque du fort par laquelle il m’informait qu’il s’en était tiré indemne mais que sur les 210 de notre compagnie ils n’étaient que 11 dans ce cas, les 199 autres étant tués, blessés ou portés disparus.

    Reconnu inapte à l’infanterie, il est reclassé dans l’artillerie et envoyé au dépôt Richepanse à Rouen.

    (…) le jour de Noël 1916, dedans le train qui m’amenait à Rouen, je contemplais avec un peu de mélancolie en passant à la halte d’Allouville-Bellefosse le pays où j’ai passé mes 15 premières années et le clocher de l’église qui me rappelait tant de souvenirs et tout près de laquelle habitait encore ma grand-mère que je ne pouvais même pas aller embrasser.

    De là, bien que boitant encore beaucoup, on l’expédie à Auzeville près de Toulouse puis à Marseille où il est prévu qu’il embarque pour Salonique. Il se fait porter malade. Le major lui dit que dans son état il n’aurait jamais dû quitter le dépôt. Le commandant de la place de Marseille l’hospitalise au Fort Saint-Jean où il reste deux mois puis on l’envoie à Nîmes, toujours boitant, où le vingt décembre mil neuf cent dix-sept, les médecins l’estiment apte à retourner au front. Le voici en Alsace, où dans la neige il participe à de nouveaux combats, puis en Champagne

    … où nous avons retrouvé des quantités de poux à Rollot, secteur de Montdidier.

    Début juillet nos pièces étaient à Montgobert (…) Nous les conducteurs cantonnions à ce moment à Puisieux, région de Villers-Cotterêts, nous couchions à même le sol dans une grange, située au bord d’une rivière, sur laquelle nous voyions le jour nager les rats, ils étaient tellement nombreux qu’ils crevaient de faim. Toute la nuit, ils nous couraient dessus…

    En Septembre, les Allemands commençant à battre retraite, nous partons pour les Flandres, nous mettons en batterie dans la région d’Ypres, Roulers, à Stamkot notamment où nous avons des chevaux tués…

    Nous avions dû dépasser Thilt, et nous trouvions dans la région de Deinzt, quand dans les tous derniers jours d’Octobre, une permission me fut accordée, sur l’avis de décès de mon frère, combattant aussi (classe 1915) mort à l’hôpital à Rouen pendant une permission, victime de la grippe espagnole…

    Avec un camarade nous sommes partis au petit jour après une nuit passée dans la grange d’une ferme abandonnée et où avec un canon à longue portée, l’ennemi nous a bombardés toute la nuit, en partant nous avons constaté que les 14 chevaux (…) attachés à 40 ou 50 mètres de nous étaient tous morts, tués probablement par le même obus.

    Plutôt que de dire ce qu’il éprouve à la mort de ce frère, grand-père Jules évoque alors le triste sort des chevaux :

    Ce n’est pas sans une certaine tristesse que nous constations ainsi la mort de ces pauvres bêtes, nos compagnons de misère, victimes eux aussi de la bêtise et de la méchanceté des hommes, dont les dirigeants ne trouvent d’autres moyens que d’envoyer leurs peuples se faire massacrer dans les guerres.

    C’est la seule critique de la guerre dans son texte. Suit un épisode qui aura lieu plus tard, dans lequel il est aussi question des chevaux :

    Quelques semaines plus tard dans l’Aisne, alors que sous les ordres d’un gradé nous allions en colonne conduire nos chevaux à un abreuvoir, nous suivions un chemin creux où il y avait eu de récents combats, j’aperçus tout à coup à terre une légère fumée, je pensai une seconde à un mégot, puis compris aussitôt qu’il s’agissait d’une grenade qui venait d’être amorcée par le sabot d’un cheval..

    Le cheval de grand-père Jules a l’œil crevé, ses camarades et lui sont indemnes

    … un éclat m’avait frappé à hauteur de la poitrine côté gauche pénétrant dans un portefeuille bourré de nombreux papiers et s’arrêta ayant à peu près tout traversé, sans cet obstacle il aurait sûrement pénétré et dans cette région du cœur cela aurait pu se terminer très mal pour moi.  

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  • Voici Jules Perdrial, mon jeune grand-père, au cœur de ce qu’on appelle la Grande Guerre :

    (…) nous embarquons à la tombée de la nuit dans des camions qui sont très nombreux mais dont les conducteurs nous informent qu’ils seront beaucoup moins nombreux à venir chercher ceux d’entre nous qui auront la chance de s’en tirer indemnes.

    Nous débarquons dans la forêt de Regret (…) et la nuit venue nous partons pour Fleury-devant-Douaumont où nous nous entassons dans des caves, toutes les maisons ayant été démolies et les obus tombant presque continuellement…

    Après 3 ou 4 jours passés ainsi nous avons relevé la nuit les gars qui étaient en 1ère ligne, nous avions tout près devant nous le village de Douaumont, en ruines, pas loin, mais plus près encore les Allemands dans leurs tranchées, nous étions même à un endroit dans la même tranchée, séparés par un espace d’une quinzaine de mètres entre deux petites barricades, que nous avons fait reculer de plusieurs dizaines de mètres par une attaque à la grenade au petit matin, mais cela n’améliora pas notre situation, il y avait des cadavres sur le parapet, et quelques-uns dans notre tranchée…

    Nous ne recevions plus aucune nourriture, les hommes qui devaient nous ravitailler se trouvant généralement tués ou blessés en route, nous ne trouvions que du chocolat dans les musettes des morts mais souffrant déjà d’une soif presque intolérable nous ne pouvions en manger.

    Au bout de quatre jours, grand-père Jules peut regagner l’arrière, de nuit :

    … nous étions presque méconnaissables, amaigris, longue barbe, couverts de boue séchée, mais nous nous trouvions relativement bien heureux d’être sortis de cet enfer.

    Je garde de cette période de repos un pénible souvenir, un homme du régiment l’avait quitté au moment où nous montions en ligne pour aller paraît-il voir sa famille à Paris, il revint ou fut ramené, jugé pour désertion devant l’ennemi, c’était en récidive, il fut condamné à être fusillé, tout le régiment assista à cette exécution.

    Après avoir reçu des renforts, le régiment de grand-père Jules (deux cent dix hommes) repart à Douaumont

    … face au fort toujours occupé par l’ennemi, mais que nous étions chargés de reprendre.

    Ce jour-là, dans la matinée, massés face à l’objectif, nous étions bombardés par l’ennemi mais nous recevions aussi les obus de 400 mm dont notre commandement avait pris soin de nous vanter la puissance et l’efficacité au cours d’un rassemblement qui avait eu lieu les jours précédents, et dont nos artilleurs se servaient pour la 1ère fois, ces obus ne tombaient pas très nombreux mais quand il en tombait un dans notre tranchée plusieurs hommes étaient projetés jusqu’à 6 ou 7 mètres en l’air et généralement tués…

    Un courageux volontaire nommé Vincent se charge d’alerter l’arrière et tout rentre dans l’ordre.

    Arriva l’heure H (aux environs de midi) derrière nos gradés nous sortîmes tous des tranchées pour nous élancer dans la direction du fort, je n’allais pas loin, un obus de petit calibre tomba à 3 ou 4 mètres de moi, je reçus un éclat dans la cheville, pied gauche, je m’assis quelques instants dans un trou d’obus, puis me rendant compte que ma blessure étant chaude je pouvais encore marcher, ce qui n’allait pas se prolonger bien longtemps, je partis vers le poste de secours…

    Quand il y arrive, on lui dit de marcher aussi loin que possible en direction de Verdun, puis le petit meusien (train à voie étroite) l’emmène à Revigny où on lui fait une piqûre antitétanique. Un autre train l’emmène à Sens (Yonne). Un hôpital y est installé dans une église désaffectée.

    … après une opération pour enlever l’éclat, mon pied s’infecta, gonfla, prit une teinte violette, je souffrais beaucoup, ma température s’installa à 38/38.5.

    Un mois passa, puis le médecin qui commençait à craindre la gangrène, tenta une opération au thermocautère, des pointes de feu profondes, sans anesthésie, autant dire la torture, je ne pouvais guère bouger 4 hommes me maintenaient sur mon lit, mais je hurlais à chaque pointe de feu. Le résultat fut que l’infirmière trouva le lendemain matin, une grande flaque de sang dans mon lit, une hémorragie dont je n’avais pas eu connaissance. L’après-midi, je fus de nouveau opéré, sous anesthésie cette fois, le chirurgien m’avait prévenu qu’il allait peut-être être obligé de me couper le pied, j’eus la satisfaction à mon réveil de constater que j’étais encore bipède…

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  • Après le récit de son adolescence, grand-père Jules, quand il avait plus de quatre-vingts ans entreprit de mettre par écrit sa guerre de Quatorze/Dix-Huit, récit dont il offrit une copie à chacun(e) de ses petits-enfants. De ce texte, manuscrit et photocopié, j’ai extrait les moments les plus significatifs, tapotés à deux doigts sur le clavier de mon ordinateur pendant plusieurs après-midi au lieu-dit l’Ubi.

    Quand l’histoire commence, Jules Perdrial est au service militaire. Depuis le premier octobre mil neuf cent treize, il fait ses classes (comme on disait) à l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr-l’Ecole.

    2 Août 1914 l’Allemagne déclare la guerre, l’Ecole est presque aussitôt fermée, avec les autres auxiliaires je suis muté au 27ème Régiment de Dragons à Versailles (…) je suis versé dans le service armé apte à faire campagne, bien que relevant d’une jaunisse, je ne pesais plus que 50 kilos.

    Il choisit la cavalerie car il aime et connaît les chevaux.

    Ceux qui avaient préféré l’Infanterie nous quittèrent et seulement quelques semaines après nous apprîmes qu’ils avaient été envoyés dans un détachement de zouaves et qu’au cours de violents combats presque tous avaient été tués.

    Mes classes terminées, je partis vers le 20 août 1915, dans un petit groupe pour rejoindre à Sacourt (Vosges) un escadron du 27ème Dragons, au repos dans ce secteur, que nous quittâmes pour aller participer à l’attaque du 25 Septembre en Champagne, secteur de Perthes-les-Hurlus, j’y reçus le baptême du feu.

    Ensuite nous allons de place en place, puis nous cantonnons à St Bandry (Oise) d’où nous allons tenir les tranchées dans un secteur calme (…), ce secteur est infesté de gros rats et dans les cagnas (petits abris creusés au flanc des tranchées) où nous couchons, ils viennent nous disputer et arrivent à nous dévorer en partie nos boules de pain, bien que nous les ayons contre nous et quelquefois comme oreiller.

    Début Janvier 1916, la décision ayant été prise antérieurement de supprimer la cavalerie sur le front, nous sommes démontés…

    Le voici dans l’Infanterie à faire ses classes de fantassins (marche, fusil et baïonnette).

    (…) et fin Mars nous sommes rapprochés du front par étapes de 20 à 24 km (toujours chargés du barda réglementaire à savoir : capote, casque, ceinturon avec baïonnette, le sac au dos garni de notre linge +220 cartouches, boite de viande et biscuits de réserve, une paire de chaussures de rechange, le fusil, un bidon plein au départ de 2 litres (eau ou vin), le masque à gaz, la musette dans laquelle notre quart cuillère, fourchette et notre ration de pain, en tout plus de 35 kilos (poids vérifié).

    Arrivés à Compiègne, lui et ses camarades sont invités à monter dans un train de marchandise qui les conduit dans la région de Verdun.

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  • Ce n’est pas l’envie qui me pousse en fin d’après-midi dans les rues de Rouen ce samedi de Fête de la Musique, c’est simplement une tentative d’occuper le temps vidé de sens qui est désormais celui de mes ouiquennedes.

    J’erre au hasard, remontant jusqu’à la rue Cauchoise où, devant un magasin de vinyles, se produit un groupe de musiciens aux oreilles à bouchons. Le chanteur s’exprime en français mais je n’y comprends goutte.

    Par un chemin détourné, je reviens sur mes pas, constatant ici où là que chaque année les sonos deviennent plus imposantes et croisant moult jolies filles en tenue légère dont aucune ne saurait avoir souci de moi.

    Arrivé dans les parages du Super U de la rue de l’Hôpital, je suis en état de comprendre ce qui pousse certains à devenir alcooliques, mais c’est un paquet de bonbons que j’achète avant de rentrer.

    *

    Vers vingt-trois heures, cela glousse encore dans le jardin. Côté rue Saint-Romain se déverse une musique électrique. Dans la venelle passent des hordes hurlantes. Impossible de trouver un endroit pour dormir.

    *

    Aux aurores, dimanche, les bruyantes balayeuses s’activent dans les rues voisines. Ma ruelle échappe au nettoyage, trop étroite : canettes, gobelets, bouteilles de bière, verre cassé, emballages de kebab, forte odeur de pisse. Cela n’empêche pas un touriste matinal d’en faire une aquarelle.

    *

    Dimanche midi, au Son du Cor, des filles et des garçons parlent de leur Fête de la Musique. Une fille :

    -Ma sœur, elle est rentrée avec un mec à quatre heures du matin.

    -Et alors ?

    -Oh, y z’ont rien fait, heureusement, parce qu’on entend tout. Leur conversation, c’était « vas-y, récite-moi l’alphabet pour me montrer que t’es pas bourré ».

    -Elle a quel âge ?

    -Dix-sept ans.

    *

    Déjà qu’il faut se fader les crétins de supporteurs du foute français hurlant du claque-son et de la voix dans les rues, voici qu’en plus dans la nuit de dimanche à lundi, bien qu’en retrait des axes de circulation, je suis réveillé par les crétins de supporteurs d’une ancienne colonie.

    Et encore des semaines à subir cette gangrène mondiale.

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  • La ville de Rouen ayant sabordé sa Médiathèque par la volonté de Valérie Fourneyron, ancienne Maire, ancienne Ministre, mal inspirée par Laurent Le Fabuleux, les petites bibliothèques municipales de quartier manquent de place et parmi les ouvrages qu’elles possèdent en plusieurs exemplaires se séparent chaque année de certains, ce qu’on appelle dans le métier pratiquer le désherbage.

    Ce samedi, les documents retirés de l’inventaire sont mis en vente pour un prix modéré (un euro le livre, deux euros les beaux livres) dans le prospère centre commercial Docks Soixante-Seize (qu’à son ouverture je ne voyais pas passer Noël).

    Sous un soleil déjà chaud, je longe longuement la Seine, le pont Flaubert en ligne de mire, et arrive quinze minutes avant l’heure officielle. Une partie des livres est déjà accessible. Nous ne sommes que trois à en profiter.

    On trouve là, dans l’édition la plus récente, les différents tomes du Dictionnaire des auteurs publié par Laffont/Bompiani dans la collection Bouquins (que je laisse à quelqu’un d’autre), les Quarto Gallimard Nouvelles complètes de Pirandello et Œuvres de Simone Weil, des Thomas Bernhard rares Amras et La Platrière, L’Homme-Jasmin d’Unica Zürn et moult autres bonnes choses. Côté beaux livres, je mets la main sur le Skira L’Art brut et sur le catalogue de l’exposition Edward Burne-Jones au Musée d’Orsay en quatre-vingt-dix-neuf.

    Il y a foule autour des cartons au moment où je me retire, un mélange de venu(e)s pour l’occasion et de venu(e)s pour consommer au centre commercial. L’aimable bibliothécaire à qui je paie m’explique que si, par oubli, un ouvrage n’est pas revêtu du tampon « Retiré inventaire », il est facile de s’assurer qu’il n’est pas volé grâce au code barre unique dont il est muni, lequel reste dans la base de données des bibliothèques.

    Revenir à pied d’un si lointain centre commercial avec au bout de chaque bras un lourd sac de livres est une folie. C’est pourtant ce que je fais, arrivant à la maison épuisé et les mains sciées.

    *

    L’après-midi, passage par la petite vente de livres du Secours Pop, rue de la Pie, afin de donner à cette bonne œuvre une pile d'ouvrages qui m’encombraient.

    *

    A l’Ubi l’autre jour, où dans mon voisinage on discute du mouvement des intermittents, notamment de ses conséquences pour la Piccola Familia (ici logée) qui doit (devait?) jouer la version intégrale (dix-huit heures) d’Henry VI de Shakespeare dans la Cour d’Honneur à Avignon. L’une :

    -C’est une position un peu tiède, pour aménager la chèvre et le chou.

    *

    Cette façon de parler qu’ont certaines : « Ma mère, elle nous avait inscrites dans un centre de loisir, on apprenait à faire de la peintuuure, de la coutuuure. »

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  • Vendredi soir, à l’Opéra de Rouen, c’est carte blanche à Leo Hussain, nommé il y a quelques mois chef principal, dont la prise de fonction officielle aura lieu en septembre prochain. Cela ne fait pas le bonheur de tout le monde dans la maison, il se trouve une placeuse pour se plaindre de ne pouvoir regarder le match de la France contre la Suisse où « on va gagner ». J’ai place au rang Pé de la corbeille, rang extrême n’ayant que deux fauteuils, l’un côté pair, l’autre côté impair où je suis donc sans voisin(e).

    Les musiciens s’accordent puis entre celui que l’on attend, un peu moins jeune que sur sa photo. Une dame fait « Oh », rapport à sa redingote seyante et au nœud papillon blanc sur chemise blanche. Notre nouveau chef lance l’ouverture de Béatrice et Bénédict d’Hector Berlioz qu’il dirige d’une baguette expressive puis il prend le micro pour nous souhaiter la bienvenue, dit en montrant les musicien(ne)s qu’il a passé un très bonne semaine avec « ces personnages », salue ses deux prédécesseurs, indique qu’il a choisi ce soir diverses musiques qui lui tiennent à cœur et évoque la pièce contemporaine japonaise à venir qui n’est pas à comprendre « Aucun compositeur n’a écrit pour que sa musique soit comprise » mais à aimer ou à ne pas aimer.

    Avant cela, il donne la consensuelle suite de Pelléas et Mélisande de Gabriel Fauré. Toshio Hosokawa est né en mil neuf cent cinquante-cinq à Hiroshima. Son Blossoming II, très imagé, ne plaît pas à tout le monde comme en témoigne le propos d’une dame :

    -Faut pas trop qu’on applaudisse, y serait chiche de faire bis.

    Pendant l’entracte, cela papote, notamment les politiciens aux commandes de l’Opéra avec une artiste s’y exprimant régulièrement et venue ce soir encourager un collègue. Autour de moi, on est content du nouveau chef.

    A la reprise, c’est la Symphonie numéro trente-huit de Wolfgang Amadeus Mozart, qui ne me plaît pas tant que ça, et, avant de terminer par l’ouverture des Noces de Figaro, Leo Hussain reprend le micro et montre que lui aussi est atteint par la maladie :

    -Je serai bref, je sais qu’il y a le match. Comme l’Angleterre est rentrée à la maison, je peux dire « Allez les Bleus ».

    Il indique que cette ouverture de Mozart est la première œuvre qu’il a dirigée avec un orchestre professionnel, puis à Salzbourg, puis répétée avec les musicien(ne)s d’ici.

    A l’issue, c’est une sorte de triomphe à la rouennaise. Le nouveau chef a réussi son examen de passage.

    *

    C’est en trottinant que Leo Hussain quitte la scène, Luciano Acocella le faisait dans un état second, Oswald Sallaberger du pas d’un soldat mécanique.

    *

    Il est vingt-deux heures quinze lorsque j’arrive à la maison. Dans le jardin, les voisin(e)s devenu(e)s ami(e)s communient devant l’autel où l’une a posé son téléviseur.

    Plus qu’à aller dormir dans la petite chambre si je ne veux pas entendre, à chaque but français, l'orgasme collectif.

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