• Dimanche matin, ce n’est pas le réveil qui me tire du sommeil à cinq heures mais, trois quarts d’heure plus tôt, un gémissement féminin caractéristique. Je pousse le rideau et regarde ce qu’il en est, découvrant une fille nue et un garçon tout autant la besognant debout contre le mur de la voisine absente, juste au-dessous de la fenêtre de ma chambre, dans le jour naissant.

    C’est surtout lui qui est visible, au crâne rasé et au corps athlétique. Elle n’est pas mal faite non plus, brune aux cheveux ondulés, mais malheureusement je la distingue moins, cachée qu’elle est par la pénombre. Elle jouit bruyamment puis se penche pour le sucer. Ce mouvement déclenche la minuterie de l’entrée. Je les vois mieux, pas surpris de le découvrir bien monté. Quand il a joui dans sa bouche, ils se font un long câlin, puis il ramasse sa robe à carreaux et la lui remet tendrement. Il la tourne alors vers le mur. Elle y prend appui. Il la trousse et la lèche par derrière, lui donne une claque sur la fesse qui résonne étonnamment. Elle gémit sous la langue de son amant puis se retourne et lui remet son ticheurte noir tandis qu’il remonte son pantalon. Le spectacle est terminé. Je laisse retomber le rideau. Bientôt, j’entends la porte signalant leur sortie.

    Comment sont-ils arrivés là ? Sans doute en utilisant la méthode un peu brutale qui permet d’ouvrir la porte cochère sans utiliser la clé, que pratique notamment le propriétaire du troisième étage et qu’il a apprise à ses ouvriers quand il faisait faire des travaux chez lui. C’est peut-être l’un d’entre eux, ayant dit à cette fille : « Je connais un bel endroit pour baiser. »

    Je ne peux me rendormir après ça, qui me donne à cogiter dans plusieurs directions. A cinq heures, je sors du lit puis de la douche et là, il pleut. Les vide greniers sont une nouvelle fois compromis.

    Pas d’Andé pour cause d’ondée, c’est trop loin, c’est trop risqué. J’opte pour Tourville-la-Rivière où j’arrive après avoir passé avec succès l’alcooltest de la gendarmerie au rond-point des Authieux (d’autres ayant moins bien réussi ont également droit au chien renifleur). Il n’est pas encore tombé une goutte dans ce village que côtoie la vaste et hideuse zone commerciale aujourd’hui déserte. Je fais le tour du déballage deux fois, sans succès, repasse par Rouen où il pleut toujours, et, par la Sud Trois, j’atteins l’avenue des Provinces au Grand-Quevilly où il ne pleut plus. Je ne trouve pas davantage de quoi me satisfaire dans toute cette marchandise mouillée.

    *

    Aucun(e) voisin(e) pour profiter avec moi du spectacle matutinal. Tou(te)s endormi(e)s, sauf sans doute la vieille Anglaise (il y avait de la lumière derrière le carton qui lui sert de rideau).

    *

    Nue pas tout à fait la fille collée contre le mur, ayant gardé ses bas blancs.

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  • Ce samedi chaud, des voisins, tous propriétaires, passent la soirée autour d’une table dans le jardin, mangeant buvant et parlant fort. Rassemblés par le hasard de la proximité, ils n’ont pas de véritable conversation. Leurs échanges consistent en une suite ininterrompue de plaisanteries, source de rires bruyants vite énervants, qui m’obligent à aller dormir dans la petite chambre. Je dois me lever tôt.

    Et je le fais, surpris de découvrir un ciel plombé et l’orage menaçant les vides greniers du samedi. Néanmoins, je prends la route d’Alizay, bourgade dont le Maire communiste offre chaque année à ses administrés un concert à la guimauve qui donne une idée de l’image qu’il se fait d’eux (cette année ce sera François Valéry). Je me gare au lieu-dit Les Diguets, passe sous la voie de chemin de fer et fais le tour des exposants installés (un sur deux) sans rien acheter.

    Craignant l’arrivée de la pluie, je file à Val-de-Reuil, ville qui m’est devenue moins sympathique depuis que ses habitant(e)s, après avoir voté massivement pour les deux listes de gauche aux municipales, ont mis en tête aux européennes la fille Le Pen. Innovation bienvenue, le vide grenier se tient cette année dans deux larges rues perpendiculaires proches de celle où j’ai habité durant pas mal d’années. Ici, le déballage est totalement installé et j’y trouve les ramettes de papier que je cherchais depuis un moment ainsi qu’un téléphone à fil.

    J’ai bien fait de ne pas traîner, les premières gouttes tombent sur mon pare-brise à l’entrée de Rouen.

    *

    Elle enterre sa vie de jeune fille déguisée en lapine, ce qui promet pour la suite.

    *

    « Goûte la baguette, elle est du meilleur ouvrier de France, oui, tu vas voir, elle est à mourir et encore, c’est la baguette normale. » (une qui a besoin de savoir que c’est bon pour trouver ça bon).

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  • Je suis de retour à l’Ubi ce vendredi soir, où se tient désormais la Mam Galerie, pour le vernissage de l’exposition d’Emmanuel Lagarrigue quelque chose suit son cours. Y arrive l’homme au chapeau, qui porte celui d’été, preuve qu’il fait beau. Il m’offre un verre de vin blanc et nous devisons tandis qu’à côté on s’affaire aux derniers préparatifs.

    L’installation d’Emmanuel Lagarrigue relevant de l’art conceptuel, on a intérêt à lire les explications avant de visiter, ce que je fais, sachant bientôt que les poutres assemblées faisant sculptures ont des tailles correspondant aux lettres de l’alphabet (de A dix centimètres à Z deux cent soixante centimètres), que les haut-parleurs diffusent le texte intégral chuchoté de Mal vu, mal dit de Samuel Beckett et que le jeu de lumière réagit au code qu’utilisait Benjamin Constant dans son Journal (de Un pour jouissance physique à Dix-Sept pour réconciliation).

    Je me promène un peu dans « cet espace ouvert, acteur d’une pièce mentale que je joue physiquement ». Imperméable comme je le suis à toute rêverie organisée par autrui, je n’en retire pas grand-chose.

    L’homme au chapeau semble déconcerté. Je lui conseille d’imaginer qu’il se promène dans un jardin japonais et cela va un peu mieux.

    Il part plein d’allant vers une longue nuit musicale au Cent Six et je rentre à la maison sans boire davantage, pas question de quitter l’Ubi cuité.

    *

    Au marché du Clos Saint-Marc, vendredi matin, un livre à la couverture rose fluo m’appelle. Je l’obtiens contre un euro. C’est, publié par Le Sagittaire en mil neuf cent soixante-dix-huit, L’amour est un chien de l’enfer de Charles Bukowski. Je l’ouvre au hasard :

    je ne peux écrire

    que ce que j’ai vécu.

    quand le téléphone sonne

    j’aimerais beaucoup

    entendre des mots

    qui me soulageraient.

    c’est pour cela que mon numéro

    est dans l’annuaire.

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  • Le sous-sol de l’Ubi, lieu artistique rouennais mutualisé, rue Alsace-Lorraine, est l’endroit où s’épanouissent des apprentis artistes de toute nature et ce jeudi, en fin d’après-midi, quatre y donnent rendez-vous pour une exposition/performances sur le thème des métamorphoses.

    J’y suis à l’heure dite, buvant un café en attendant que la chose commence avec retard, quand s’assoit à ma table un quinquagénaire qui engage la conversation.

    Il est né en Tunisie, a passé sa jeunesse dans le Var où il s’est bien amusé « au temps des fleurs » et vit maintenant à Notre-Dame-de-Bondeville où il s’ennuie « au temps de pleurs ».

    -C’est à dix kilomètres de Rouen mais il faut quarante minutes pour venir en bus ou en voiture.

    Il est artiste amateur, joueur de guitare et de luth tunisien, et espère rencontrer ici de ses semblables. Il est fort marri quand je lui apprends qu’il n’y a là que des professionnel(le)s.

    Il me demande quel est mon travail. Je suis donc obligé de lui poser la même question. Electricien, me dit-il. Comme j’ai ouï dire que le bâtiment de l’Ubi a des problèmes dans ce domaine, je lui suggère d’aller faire connaître cette compétence auprès de Camille qui sert au bar, ce qu’il fait, mais quand il revient il m’avoue qu’il n’a pas travaillé dans ce domaine depuis vingt ans.

    Durant cette conversation est arrivée une vingtaine de jeunes gens, ami(e)s de celles et ceux qui doivent s’exprimer ce soir. Quand cela finit par commencer, tout le monde descend. L’une des artistes en formation annonce le programme. Il y en aura pour une heure et demie.

    Le premier à s’exprimer est un jeune homme qui fait dans l’electro devant un écran où se métamorphosent des calligraphies. Je fais le tour de l’exposition de dessins accrochés aux murs, qui ne me disent rien, puis écoute la musique un moment. Certain(e)s sont déjà remonté(e)s, une majorité, dont le guitariste amateur. D’autres peu nombreux restent et s’assoient sur le sol. Le garçon musicien semble lancé pour longtemps. Je remonte à mon tour et quitte les lieux constatant qu’une fois encore dans ce genre de manifestation la plupart des présent(e)s préfèrent boire, fumer et discuter sur le trottoir.

    *

    Au Son du Cor où je bois un café à midi, une lycéenne parlant à sa mère au téléphone : « Allo maman, je sèche les cours. (…) Bah, tu fais comme tu veux, soit tu les appelles, soit t’attends qu’ils t’appellent. (…) Bah, tu leur diras que j’ai mal au ventre. (…) Bon, je te laisse parce que j’ai envie de faire pipi. »

    *

    Même endroit, autre table :

    -Ça va bien ?

    -Bah oui, tu vois, une famille épanouie.

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  • Dans la gare de Rouen ce mercredi un peu avant huit heures passe et repasse Alain Rault aka le Playboy Communiste dont les calligraphies murales sont parfois dérobées par des spéculateurs collectionneurs d’art. Hirsute, caché dans sa couverture, il effraie les deux jeunes Japonaises à qui il demande un euro. Une femme d’origine africaine (comme on dit) se déplace pour venir lui donner une pièce. Perdu dans son monde intérieur, il n’en est pas moins capable de se débrouiller du monde moderne comme le montre sa maîtrise du distributeur automatique où il prend un café.

    Je descends voie Trois et grimpe dans le train de huit heures sept pour Paris. Près de moi voyagent une femme, son fils homo et le copain de celui-ci. Ils partent à New York et étudient fébrilement le plan du métro. Up, c’est pour monter. Down, c’est pour descendre.

    Un peu après dix heures, je sors de terre à la station Ledru-Rollin et aperçoit de l’autre côté de la rue celle avec qui j’ai rendez-vous, grâce à qui je suis allé à New York il y a bientôt deux ans. Elle me fait signe de la main mais avant que j’aie eu le temps de lui répondre le garçon à ma gauche l’a déjà fait.

    C’est un ancien de l’Ecole Boulle qu’elle n’avait pas revu depuis la fin de leurs études communes. Elle échange quelques mots avec lui puis nous prenons une boisson chaude au Café du Faubourg. Ce tête-à-tête m’est bénéfique.

    Après un passage chez Book-Off où nous amuse le livre à un euro que personne ne voudra acheter : Changer de destin par François Hollande, mais où je trouve en revanche quelques livre du même prix à mon goût, nous allons déjeuner place d’Aligre en terrasse de La Grille, un restaurant où le menu du jour semble ne jamais changer mais est bien bon et dont le patron est fier des drapeaux qu’il a cousus sur la façade en prévision de la coupe du monde de foute. La fin du marché s’offre en spectacle et l’auvent nous protège de la pluie qui s’intensifie. Salade d’avocat et de saumon fumé, tagine de poulet, le problème vient du dessert unique, le fondant au chocolat que lui interdit l’allergie, pas moyen de le remplacer par autre chose qu’un thé à la menthe.

    Il nous faut nous quitter à la fin du repas. Le travail l’appelle du côté de la Bastille. Depuis le bus Quatre-Vingt-Six, j’ai une dernière image d’elle qui me fait un signe de la main. Elle a fière allure sous son parapluie.

    Je descends à Cluny. La pluie ne cessant, je vais de Gibert en Boulinier puis reprends le bus Vingt-Sept qui me dépose pas loin du Book-Off de l’Opéra où je furète longtemps avant de terminer la journée comme souvent Chez Léon.

    Sur la table près de mon café verre d’eau sont empilés mes livres à un euro du jour parmi lesquels deux sont consacrés à des artistes marginaux cousins du Playboy Communiste : Le Prince de Palagonia de Giovanni Macchia (Quai Voltaire) qui évoque le constructeur de la villa baroque sise à Bagheria « muré dans son rêve de pierres » et Storr (Architecte de l’ailleurs) de Françoise Cloarec (Phébus) consacré au cantonnier de la ville de Paris créateur de soixante-douze dessins « représentant cathédrales lumineuses, bâtiments exotiques et cités utopiques ». Ce dernier ouvrage fut dédicacé à Daniel Greiner le treize novembre deux mille dix à Trouville par l’auteure (entre les pages : une petite carte avec l’adresse, le numéro de téléphone et l’adresse mail de cette dernière).

    *

    Autres livres rapportés de Paris : Le sec et l’humide de Jonathan Littell (L’Arbalète/Gallimard) sur le nazi belge Léon Degrelle, Marie de Régnier de Robert Fleury (Plon), Petits Contes licencieux des Bretons (Terre de Brume Editions), Saul Steinberg (Delpire).

    *

    La dame triste chez Book-Off qui demande un livre sur la dépression au travail.

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  • Ce qui m’a particulièrement réjoui dans le volume deux d’Après l’Histoire de Philippe Muray, est ce qu’il écrit sur les touristes version troupeaux, comme il en passe sans cesse dans la venelle où j’habite, déversé(e)s par bateaux et autocars entiers, cornaqué(e)s par les raconteuses et raconteurs de faux Moyen Age de l’Office de Tourisme de Rouen (l’autre semaine encore, je m’en prenais à l’une qui hurlait sous mes fenêtres).

    Florilège :

    Personne n’est jamais davantage anti-touriste qu’un touriste. Il ne veut voir les choses que comme elles sont quand il n’est pas là. Il ne souhaite jamais photographier ou camescoper un monument que dégagé de sa lèpre déambulante, photographiante et camescopante, donc libéré de lui-même. L’idéal qu’il nourrit est fondé sur une perpétuelle dénégation de sa propre présence, qu’il est le mieux placé pour savoir désolante.

    Les touristes composent l’armée de métier chargée de faire régner par tous les moyens la nouvelle morale festiviste et transfrontalière d’une post-humanité qui a chassé toute violence d’elle-même, au profit de la violence sans fin de sa propre vision du monde, et qui n’a d’autre but que d’aller admirer, à travers la terre entière, des monuments, des reliques ou des choses qui n’auraient jamais existé sans l’ancienne violence, c’est-à-dire sans l’Histoire (…)

    Le touriste, ou voyageocrate, est fondamentalement risquophobe, et ce n’est pas pour rien qu’il a toujours cet air vague, ce regard terreux et cette démarche titubante que l’on voit à tant de petits enfants.

    A l’inverse du pèlerin de La Mecque ou de celui de Lourdes, le touriste est un être infiniment malheureux qui ne rencontre jamais nulle part ce qu’il n’était même pas venu chercher.

    Il existe encore un autre angle sous lequel on peut parler du touriste : c’est le seul individu qui, dans une ville, croit qu’il y a encore quelque chose à voir après le désastre de la fin de l’Histoire. Qu’il se trouve à Madrid, à Hong Kong, à Paris, au Caire, à Shanghaï ou en Polynésie, il est nécessairement environné de naturels qui ne peuvent pas ignorer, eux, que tout est terminé, qu’ils habitent des répliques ridicules, des faux notoires et qu’ils n’en sont, par-dessus le marché, que les résidents très précaires.

    L’organisation de la circulation du troupeau touristique, c’est-à-dire aussi de sa liquidation, de son évacuation la plus rapide possible et de son renouvellement incessant, contient le sens même du totalitarisme touristique et l’épuise. Le désir du touriste s’accomplit  dans cette circulation et s’y assouvit. D’être objet d’une entreprise de flux suffit à son bonheur. Mais cette circulation est également un droit, et l’on peut définir chaque touriste comme un militant impitoyable de la nouvelle fierté ambulatoire. A ce titre, il ne saurait tolérer la moindre entrave à l’exercice de ses prérogatives. Et tout ce qui se met en travers du flux dont il fait partie doit être supprimé sans la moindre hésitation.

    *

    En bonus :

    Il faudra revenir aussi un jour sur ces labyrinthes que l’on dessine un peu partout dans les champs, qui couvrent progressivement les anciennes campagnes, et par le biais desquels le touriste se réconcilie avec le maïs.

    *

    Au détour, j’apprends par Philippe Muray qu’il passait ses vacances d’été dans un village perché proche d’un autre tout rouge où Beckett a vécu pendant l’Occupation. Il ne m’est pas difficile de reconnaître Roussillon.

    Ben oui, Philippe Muray s’épanouissait chaque été dans le Luberon avec beaucoup de ceux qu’il raillait dans ses écritures, y côtoyant notamment le principal promoteur français de la fête généralisée : Jack Lang.

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  • De Philippe Muray, théoricien du festivisme, je peux dire qu’il m’exaspère autant qu’il m’excite l’esprit et qu’au-delà de son discours ce que j’apprécie le plus dans ses écritures, c’est son style. Ainsi en est-il lors de ma lecture du volume deux de son Après l’Histoire publié aux Belles Lettres (Pourquoi commencer par le volume deux ? C’est que je n’ai pas le premier.)

    Cet Après l’histoire (deux) regroupe les textes écrits par Muray pour la Revue des Deux Mondes entre février quatre-vingt-dix-neuf et janvier deux mille, période propice à la fête généralisée.

    Ce que j’en retiens suit, dans un désordre volontaire (j’ai rapproché par ma volonté tel propos de tel autre) :

    Car ce sont tous les élus, jusqu’aux plus bas échelons, et toutes les collectivités locales, et toutes les entreprises, toutes les cités, et jusqu’aux particuliers, qui ne se connaissent plus d’autre objectif que l’accroissement du festivisme ; lequel est une bonne affaire, une manière idéale de satisfaire aux exigences du vivre-ensemble, une excellente façon de s’éclater ou d’être soi-même, et surtout la meilleure solution pour positiver.

    Le festivisme est la réponse de perroquet de notre époque à tout ce qui la dépasse.

    L’existence, ou du moins ce qui en reste à l’ère hyperfestive, n’est plus qu’une accumulation de grains de sable insensés, ou de dérapages fous et qui perturbent tout ; et que seuls les faits divers (comme les romans sur un autre plan) peuvent mettre en lumière. (…) Sur ce chapitre encore, la dictature hyperfestive se révèle l’héritière légitime des systèmes despotiques, et notamment de l’URSS de la grande époque, où les faits divers devaient tout simplement ne pas exister dans la mesure où la révolution avait eu lieu, et où, par conséquent, les sources mêmes du négatif avaient été taries.

    Les fêtes n’ont jamais existées que pour tourner mal ; et quand c’est la société entière qui est devenue fête, c’est elle qu’il faut conduire joyeusement au désastre. 

    Malheur à un monde où prolifèrent ceux qui se sont donné pour mission d’assainir la vie des autres ; et d’éradiquer cette « corruption » dont personne ne semble plus capable d’imaginer qu’elle est indispensable à la vie…

    Et plus cette volonté de perfection s’affirmera universellement, plus les passions régionales, claniques, sectaires, ethniques, racistes, identitaires, se développeront en retour de façon plus délirante. Il n’est d’ailleurs pas invraisemblable que l’extension tragique de ces délires parcellaires, que Freud appelait des « narcissismes de clocher », soit un des atouts du programme indifférenciateur mondial, justifiant que celui-ci intervienne sans relâche, et par le biais d’une police sans cesse mieux armée et plus sophistiquée.

    Sans compter, bien entendu, les crimes dits « pédophiles » ; mais nous savons déjà de quel bois se chauffe toute cette pédophobie obsessionnelle ; et qu’elle ne traduit que le désir de l’ « adulte » (de ce qui reste de l’adulte, autant dire rien) de s’identifier définitivement à l’enfant, et d’avoir en apparence aussi peu de droits (notamment sexuels), ou de devoirs, que lui ; et ainsi d’accéder comme l’enfant au statut exorbitant et dominateur de perpétuelle victime , donc de personne toute-puissante.

    Le ventre fécond de la civilisation qui commence est rempli de décrets punisseurs et persécuteurs qui ne demandent qu’à voir le jour ; et qui le verront. C’est toujours, Nietzsche l’observait, quand les empires s’effondrent que les lois s’y multiplient.

    Jadis, du temps où il y avait des événements, on mettait à mort les porteurs de mauvaises nouvelles. Quand il n’y a plus d’événements, ce sont ceux qui ont eu la folie d’en promettre que l’on châtie : parce qu’ils ont déçu.

    Dans la nuit des temps, c’est-à-dire hier, et quand l’Histoire existait encore quelque peu, les militants ne faisaient pas très bon ménage avec les policiers, au moins jusqu’à la prise du pouvoir (à partir de laquelle ils fusionnaient).

    Ce pays, comme les autres, a besoin de tout sauf d’être remis en marche. Pour aller où, d’ailleurs ?

    *

    Encore trois formules signées Philippe Muray :

    L’âge postdémocratique est un césarisme synonymique ; et un despotisme des clones ; ou un extrêmisme du même. C’est un extrêmêmisme.

    Le voisin est devenu quelqu’un comme tout le monde.

    Il n’existe d’ailleurs plus de hasard là où il ne peut plus y avoir d’ailleurs.

    Cette dernière pourrait donner lieu à une étude savante sur la double utilisation de « d’ailleurs ». Quel est, et d’où vient, ce premier « d’ailleurs » ? Ce sera pour quand je serai davantage intelligent.

    *

    Signalée par Philippe Muray, cette sentence tirée de la correspondance de Flaubert : Fataliste comme un Turc, je crois que tout ce que nous pouvons faire pour le progrès de l’humanité, ou rien, c’est exactement la même chose.

    *

    Et en épigraphe de son livre, la chansonnette de Louis-Ferdinand Céline :

    Mais voici tante Hortense

    et son petit Léo !

    Voici Clémentine et le vaillant Toto !

    faut-il dire à ces potes

    que la fête est finie ?

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  • On a le cœur gai dans les rues de Rouen à l’heure où je les emprunte ce dimanche afin de rejoindre ma voiture qui me mènera dans les vide greniers. N’y errent que des fêtard(e)s alcoolisé(e)s (pléonasme), dont deux filles avec leurs chaussures à la main et un garçon qui les a aux pieds. Ce sont les poètes du petit matin. « Une petite branlette / Avec des chouquettes / Et une cigarette / C’est chouette » chantent-ils en chœur.

    Le premier est à Rouen, rive gauche, quartier de Saint-Julien, trop étendu pour que je puisse le parcourir trois fois. J’en repars bredouille.

    Les suivants sont ruraux, Saint-Aubin Celloville et Les Damps, et minuscules. J’en repars également bredouille.

    Le dernier est dans la banlieue de Val-de-Reuil, à Léry où c’est la fête au village avec manèges assourdissants. J’y trouve Ellis Island, le petit ouvrage de Georges Perec publié chez P.O.L.

    Il me reste à parcourir quarante kilomètres pour rejoindre l’endroit où je suis invité à déjeuner. Arrivé sur place, je constate qu’il n’y a personne, pense que l’on m’a oublié et refais la route dans l’autre sens.

    Le soir venu, un téléphonage m’apprend qu’il s’est agi d’un fâcheux malentendu.

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