• En face de ma chambrette de la rue Notre-Dame à Salers se trouve l’Hôtel Restaurant Le Bailliage où, selon toute évidence, j’ai diné avec celle qui habite à Paris un soir de nos premières vacances. Le regarder par la fenêtre, c’est donner vie au titre d’un roman de Maurice Constantin-Weyer Un homme se penche sur son passé. Je ne mange pas le soir, je grignote ; aujourd’hui, une langue de belle-mère, spécialité locale achetée chez Servans, fabricant de gâteaux dont Bourvil appréciait le talent.

    Je suis seul au deuxième étage et dors bien. Au matin, tandis que Salers est dans le brouillard, je profite de la baignoire sabot, puis il me faut sortir dans la mouillasse. Le petit-déjeuner, compris dans le prix de la nuitée, se prend au bar Le Rétro, rue du Beffroi, qui n’a rien de son nom. Le jeune homme aux commandes court chez le boulanger après mon arrivée et me sert le standard de l’hôtellerie, c’est-à-dire bien moins de café que je n’en désirerais.

    Que faire de cette journée qui s’annonce grise avec un peu de mieux dans l’après-midi ? Je choisis de rester dans la proximité de Salers et me rends à Tournemire, l’un des « plus beaux villages de France », dont Le Guide du Routard dit grand bien. A tort, me dis-je quand j’y suis, me souvenant alors y être déjà venu, bien accompagné. Ce village accroché à la montagne est beau vu d’en bas. Sur place, la longue rue pentue n’a rien d’exceptionnelle.

    Je redescends et vais voir à quoi ressemble L’Auberge des Volcans à Saint-Chamant qui figure sur ma liste des chambres d’hôtes bien que ce soit une sorte d’hôtel. Je la trouve au centre du bourg, sur la place qu’elle partage avec la mairie, l’église, deux grandes maisons à vendre mangées par le lierre et l’alimentation générale Chez Monique.

    C’est un petit établissement pittoresque où l’on semble vivre comme dans l’après-guerre mais avec la ouifi (la maison ferme entre quatorze et dix-sept heures). J’y prends chambre pour la nuit au prix de trente-huit euros avec petit-déjeuner et y retiens une place à table pour midi et quart.

    Celle-ci est au bout d’une des deux longues tablées d’ouvriers qui y ont cantine. La patronne s’occupe de la cuisine et du service. Le patron reste derrière le comptoir. La télévision montre un documentaire sur les Touaregs. L’un des ouvriers interpelle le patron :

    -C’est quoi cette télévision de bougnoules, ce midi ?

    Nul ne bronche. Le patron change de chaîne. Voici les infos nationales, un braquage a eu lieu quelque part, une femme au volant de sa voiture déclare qu’on n’aurait jamais pensé voir ça dans nos petits villages et que ça fait peur. Au menu, c’est charcuterie, bourguignon, fromages et gâteau aux fruits rouges. Le vin est à volonté. Les têtes d’électeurs potentiels du Front National se tournent toutes vers la télé pour la météo, du mieux demain puis à nouveau des orages. L’un déclare «  Je vous l’avais bien dit, ça se remettra que le dix août avec le changement de lune ». Juste pour mon retour, me dis-je, si toutefois je ne rentre pas avant.

    *

    L’après-midi, je lis la première année (mil huit cent quatre-vingt-sept) du Journal de Jules Renard, sur un banc de l’« espace public », à Saint-Projet-de-Salers, village de bout de vallée démuni de café.

    *

    Saint-Chamant, son église qui sonne l’heure avec sept minutes de retard. La terrasse de L’Auberge des Volcans : deux tables près d’un bananier en pot sur le parquigne. Mon diabolo menthe le moins cher de l’été deux mille quatorze : un euro trente.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • Les jours se suivent et ne se ressemblent pas, comme dit Madame Michu. Après une nuit potable à la Source du Mont, le Logis de France de Saint-Martin-Valmeroux (j'en snobe le mesquin petit-déjeuner à huit euros), je me rends à Salers dont je n’étais distant que de quelques kilomètres, bénéficiant d’une superbe vue sur la chaine des Puys et un fond de vallée englué dans les nuages dont je fais photo. J’arrive côté parquigne gratuit, remonte pédestrement la rue Notre-Dame où est sise une boulangerie pâtisserie : « Un croissant et un pain au chocolat ». Un peu plus haut, sur la place de l’Eglise, le bar tabac presse L’Ecuyer est ouvert où je commande un grand café. C’est ici que passent les gens du pays, dont Monsieur le Maire pour y acheter La Montagne. Dix degrés, on se plaint du temps et on n’a d’autre occupation que de jouer à des trucs à gratter. La serveuse critique ceux qui roulent comme des fous sur la route de Mauriac, qui auparavant racontait que les gendarmes l’avaient chopée, ailleurs je suppose, à cent dix (« On vous a reconnue, c’est pour ça qu’on vous a pas arrêtée »).

    Je trouve une bonne ouifi à l’Hôtel du Beffroi tenu par une gentille dame, nappe à carreaux et code « vivelesvacances ». Un couple de quinquagénaires y petit-déjeune, tragique illustration de ce qui arrive quand on ne se quitte pas.

    A l’ouverture, j’entre à l’Office de Tourisme où l’on me donne la liste des chambres d’hôtes alentour. J’en repère une dans l’autre partie de la rue Notre-Dame qui propose chambre à trente-neuf euros pour un solitaire, gérée par la boutique Le Sagranier. Une charmante dame me dit que c’est okay, dès qu’elle sera faite.

    Salers est l’un des « plus beaux villages de France » mais il a su résister à la tentation de se vendre aux touristes. A cette heure matutinale, j’en fais le tour sans être gêné par quiconque quand je photographie ses belles demeures en pierre et ses bien connues vaches tintinnabulantes.

    Vers onze heures, je repasse par L’Ecuyer. C’est un bon endroit pour commencer ma relecture du Journal de Jules Renard dont Marinette, sa veuve, a brûlé la moitié avant publication, selon ce que raconte Paul Léautaud dans le sien. J’apprends que j’ai manqué de peu la chute de Bernard, victime d’une crise d’apoplexie dans le bar, on a dû appeler les filles de l’Institution.

    A midi, je prends possession de ma chambrette et, un quart d’heure plus tard, suis de retour à l’Hôtel du Beffroi où j’ai décidé de faire bombance pour me remettre de ma journée d’hier et faire face au temps médiocre. C’est que dans le Cantal on mange mieux qu’en Creuse et Corrèze. J’opte pour le menu à dix-sept euros cinquante : pounti, deux cents grammes de faux filet de salers avec sa truffade, tarte aux myrtilles avec sa boule de vanille ; avec cela une bouteille de cinquante centilitres de Côtes d’Auvergne et pour commencer une gentiane artisanale que je bois à la santé de celles à qui je pense.

    Je sors de là dans un bel état, tout juste capable d’une sieste dont je ne garde aucun souvenir.

    *

    La serveuse de L’Ecuyer, à onze heures : « On se croirait au mois d’octobre. »

    La même, à onze heures et demie : « On se croirait au mois de novembre. »

    *

    Dire qu’il y a des hommes qui à quatre heures de l’après-midi commandent une verveine, tapotant des doigts sur la table, avec femme à thé qui ne les regarde pas, nouvelle illustration de ce qui arrive quand on ne se quitte pas. Autre spectacle de café, ces deux jeunes couples à progéniture en poussettes échangeant leurs expériences dans ce domaine (dans chaque, une tension entre lui et elle).

    *

    La patronne de l’Ecuyer, l’après-midi, à moi-même :

    -Mais comment vous faites, monsieur, pour vous servir de votre ordinateur ? On n’a pas Internet ici !

    -J’écris, madame, je n’ai pas besoin d’Internet, c’est comme une machine à écrire.

    -Ah mais moi, je me sers toujours d’Internet !

    -Dans ce cas, madame, il faut aller ailleurs.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • C’est à Clergoux que je me trouve, apprends-je au petit-déjeuner après une nuit tranquille, seulement troublée par des averses à partir de six heures et quart. L’hôte bourru m’apporte le café puis rejoint la cuisine que sa femme ne quitte pas. Si j’ai besoin de quelque chose, j’appelle. Je ne le fais que pour payer les quarante euros de la nuit et lui demander comment faire pour se rapprocher de Collonges-la-Rouge. C’est pas si compliqué que ça.

    Une formule que je vais entendre plusieurs fois en chemin, me perdant régulièrement, « Y en a des routes ! ». Je finis par arriver à Argentat, belle ville sur la Dordogne, avec les inconvénients de ce genre d’endroits, touristes et pièges à touristes. Comme au réveil il pleuvait et qu’à Clergoux la ouifi ne fonctionnait que dehors, je me mets en recherche d’un café la proposant, en trouve, mais rien ne marche. A l’Office de Tourisme, on l’a mais il faut l’attendre, c’est chacun à son tour. Je pars furieux de ce trou de Corrèze et m’arrête à Meyssac. J’y déjeune au Relais du Quercy en terrasse intérieure d’un menu à douze euros cinquante à la cuisine basique : charcuterie, faux filet frites gratin de courgettes, tarte à différents fruits. A la fin du repas, la serveuse me donne un code valable douze heures et je suis enfin connecté, bien installé dans un salon de l’hôtel. Des cris étranges proviennent parfois de la cuisine, comme si on y égorgeait des enfants.

    -C’est un oiseau ? demande une mère inquiète.

    -Non, répond la serveuse, c’est un perroquet.

    Collonges-la-Rouge n’est qu’à quelques kilomètres, totalement quadrillée de parquignes payants. Evitant le péage, je trouve une place sur l’herbe du côté du cimetière. C’est l’un des « plus beaux villages de France » et ce n’est pas usurpé, entièrement constitué de bâtisses en pierres rouges. La bourgade est donc livrée au tourisme, boutiques adaptées et foule de familles dans les rues piétonnières. Il fait de nouveau très chaud, ce qui permet de voir les filles lécher avec application des glaces.

    Après, cela va de mal en pis car je n’ai pas de carte routière sur cette partie de la Corrèze. Je veux me rapprocher de Mauriac dans le Cantal, quitte la route pour voir une chambre d’hôtes, ne la trouve pas, me retrouve sur la route d’Aurillac.. C’est le micmac. Ne voulant pas traverser cette ville, je tourne vers Salers, tout en cherchant en vain une chambre, faisant des kilomètres pour rien sur des routes adjacentes. Tout à coup l’orage éclate, au plus mauvais moment, alors que je me trouve sur des vicinales qui se transforment en torrents. Après un demi-tour hardi, je récupère une route plus large et m’arrête au premier hôtel : La Source du Mont à Saint-Martin-Valmeroux. La patronne est aimable mais n’a que des chambres à minimum soixante euros à me proposer. Je lui dis que c’est trop pour moi et obtiens d’en avoir une pour cinquante. Peu après arrive un couple de Hollandais avec un bébé, aussi perdus que moi dans l’orage. Ils demandent s’il y a une chambre de libre.

    -Oui bien sûr, c’est quatre-vingts euros.

    *

    Un cafetier de campagne : « La ouifi on l’a, elle est dans la cuisine, c’est privé ».

    *

    Rien de tel qu’une journée comme celle-ci pour se demander ce qu’on fait là, pourquoi être parti, et être tenté de revenir dare-dare.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • Une dernière fois, je suis le seul client des chambres d’hôtes de Toy-Viam dans la nuit de samedi à dimanche, J’y dors bien (c’est le jour que je pense trop). Comme chaque matin, le chien de la maison m’aboie dessus quand je mets le pied dehors et comme chaque matin, l’hôtesse reste debout à me regarder manger, ce qui est un peu crispant. Aussi suis-je bien prêt à aller voir ailleurs après avoir réglé mon quarante-trois fois quatre.

    Il fait beau mais déjà lourd quand je prends la route que mène à Meymac. Juste avant d’y arriver, je bifurque. Une route forestière me conduit à la tour du Mont Bessou, une structure métallique érigée au point culminant du département. Je la gravis. Seul à son sommet, je suis pendant cinq minutes l’homme le plus haut de Corrèze.

    Meymac est un bourg pentu de moyenne importance. Le dimanche matin s’y tient un petit marché sur la place de l’église. Les portes de celle-ci sont ouvertes, ce qui me permet d’entendre l’organiste en exercice depuis la terrasse du Bistrot (nom d’évidence) où je bois un café. Contigüe à cette église est l’abbaye Saint-André devenue Centre d’Art Contemporain. Une exposition y est proposée : Les esthétiques d’un monde désenchanté. Un thème pour me plaire et les noms de Claude Lévêque et David Lachapelle parmi beaucoup qui ne me disent rien suffisent à m’y faire entrer. C’est quatre euros et sur six niveaux. Je vois là beaucoup d’œuvres qui me plaisent, empruntées à différents Frac et aux meilleures galeries parisiennes. Il faudrait tout noter, peintures, photographies, installations, vidéos, mais je me contente de quelques noms : Sarah Jones pour ses photos, le Feather Child de je ne sais plus qui (enfant endormi ou mort en plumes de canard noircies), les Still Life Madonna et Anonymous Politicans de Lachapelle, l’éplucheuse de chaussures de Hesse-Romier, Habiter la viande cuite de Gilles Barbier (Claude Levêque n’est présent que par un drapeau noir marqué d’un « la nuit pendant que vous dormez, je détruis le monde » qui fait sous Ben). A l’avant-dernier étage, une œuvre hyperréaliste retient mon attention, homme et fillette assis par terre devant une vidéo, jusqu’à ce qu’elle se tourne vers moi et que je comprenne qu’il s‘agit d’un père et de sa fille. Je ne suis donc pas le seul visiteur.

    A midi, je déjeune en bord de route calme, face à une imposante maison à vendre dont les fenêtres sont mangées par le lierre, à l’hôtel restaurant Le Meymacois, où nous ne sommes que trois (les deux autres à l’intérieur), d’un menu à seize euros pas mieux qu’ailleurs : salade de crudités, araignée de porc avec frites maison dont la patronne m’a dit grand bien mais qui s‘avère sèche « Ça va monsieur, vous vous régalez ? » « Oui, oui », deux boules de glace pistache rhum raisin.

    Il est temps de songer à se loger. Je prends une route secondaire qui mène à Egletons et découvre à Maussac-Gare un vide grenier à peine plus grand que celui de la veille. Pour cinquante centimes, j’y achète Capillaria ou le pays des femmes de Frigyes Karinthy (l’auteur de Voyage autour de mon crâne), un ouvrage paru en mil neuf cent soixante-seize aux Editions de la Différence dans la collection Chair Pensée avec une préface de Gérard Zwang et des dessins de Stanislao Lepri. En revanche, pas trace de chambres à louer sur cette route, je traverse Egletons, me dirige vers Tulle, oblique au hasard avant d’y être, trouve une pancarte « Chambre d’hôtes ». Par un chemin étroit, j’arrive à la ferme d’un Corrézien bourru.

    Je ne sais ni son nom, ni celui du lieu où je me trouve, mais c’est là que je loge, pour quarante euros, avec une ouifi qui ne fonctionne qu’à l’extérieur et la certitude de n’être dérangé par personne pendant que je termine à l’ombre d’un grand chêne ma relecture du volume trois des Papiers Collés de Georges Perros.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • Je suis une nouvelle fois le seul hébergé à La Genetouse en cette nuit de vendredi à samedi. Au matin, après le petit-déjeuner sans surprise, ma voiture m’emmène jusqu’au hameau voisin nommé La Moratille. S’y tient le plus petit vide grenier que j’aie vu, sept ou huit exposant(e)s dans la cour des maisons. On y vend quelques livres, du tout-venant qui n’est pas pour moi.

    Je descends ensuite à Viam et, sur le conseil de la dame chez qui je dors, réserve une table à l’Auberge du Lac qui m’avait fait mauvaise impression l’autre jour (il paraît qu’on y mange très bien). Avant qu’il en soit l’heure, je reprends la voiture et par un chemin forestier à trous et bosses atteint le barrage de Monceaux-la-Virolle, sur la Vézère, qui donne naissance au lac de Viam, un ouvrage d’art que j’aimerais photographier mais ma carte mémoire est restée dans mon ordinateur. « Regarder, c’est se souvenir » est-il écrit à mon intention sur les panneaux de bord du lac, une citation de Richard Millet. Je franchis le barrage à pied puis reviens sur mes pas.

    Il y a affluence de voitures dans Viam, ce qui s’explique quand, peu avant midi, les cloches de l’église carillonnent en l’honneur d’un nouveau baptisé. Le temps étant incertain, je trouve table à l’intérieur de l’Auberge du Lac dans une salle sombre et sinistre. J’en suis le seul client jusqu’au bout du repas, lequel est très décevant : salade limousine, truite aux cèpes toute sèche essentiellement accompagnée de riz et de haricots, deux minuscules morceaux de fromage, deux petits moelleux secs à la myrtille, cela pour près de vingt euros, vin et apéritif en sus.

    Je file sans prendre de café et vais par des routes où je ne croise aucune voiture jusqu’à Rempnat. J’y découvre une Auberge du Sauvage avec de jolies tables en bois vieillottes sous les arbres où j’aurais mieux fait de déjeuner. A défaut, je commande un café qui malheureusement m’arrive tiède. A la table voisine, deux dames se récrient en voyant dans leur salade un tartare de bœuf. Elles sont végétariennes, un mot qu’elles prononcent en lettres capitales.

    -On va vous l’enlever, leur dit le serveur.

    Il est temps de descendre une dernière fois au Magasin Général de Tarnac. J’y commande mon habituel diabolo menthe quand j’y suis salué par Benjamin. Que des années après le premier passage, il me reconnaisse, m’étonne. Surpris, je le suis encore plus quand il me dit : « Vous habitez à Rouen et vous étiez avec une fille au camping ». « Quelle mémoire ! » lui dis-je. Je l’interroge sur le beau camion de la tournée dans les campagnes. Il l’a toujours, me répond-il.

    -A dans deux, trois ou quatre ans, lui dis-je deux heures plus tard, après lecture de Perros et avant de rentrer à Toy-Viam.

    *

    Qu’il ait fallu attendre le controversé Richard Millet, né à Viam, le vingt-neuf mars mil neuf cent cinquante-trois, pour écrire « Regarder, c’est se souvenir » me surprend un peu.

    *

    Ce samedi, j’ai aussi traversé La Merdoire, lieu-dit, près de Viam.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • Ce vendredi matin, je descends à Tarnac et prends la direction de Peyrelevade avec, sur le siège de la passagère absente, un itinéraire établi par l’hôtesse de la maison où je dors à Toy-Viam (cette nuit, j’étais le seul client, on n’a jamais vu ça pour un mois de juillet). Quand je passe devant le Magasin Général, un camion à grosses fleurs y stationne qui est peut-être celui des tournées d’épicerie dans les campagnes avoisinantes, celui vu par le passé avec celle qui m’accompagnait semblant avoir disparu. La route devient sinueuse et boisée. Je constate, autre disparition peu étonnante mais triste, que n’est plus là le café de mi-chemin entre Tarnac et Peyrelevade. Une vieille dame nous y avait accueilli un matin dans un bar qui ressemblait à une cuisine et avait accepté de nous faire à manger le lendemain midi, rouvrant spécialement pour nous un restaurant fermé. Nous avions eu l’impression de déjeuner chez une vieille tante, un menu à deux entrées puis du lapin à la moutarde, fromage, dessert, vin et café, à un petit prix.

    Un peu avant Peyrelevade, je tourne à gauche, suivant l’indication de l’itinéraire de balade, pour grimper jusqu’à un champ d’éoliennes immobiles d’où j’ai belle vue sur la région, puis redescends dans ce bourg à deux rues parallèles.

    J’y bois un café à la terrasse du bar tabac La Fontaine où se croisent les gens du cru qui se connaissent tous et s’appellent par leur prénom, puis je vais lire Perros assis sur un muret près de ladite fontaine. Le temps est à l’orage. A onze heures et demie, un unique coup de tonnerre fait office de coup de semonce. C’est néanmoins en terrasse que je déjeune au Tilaak, la patronne m’ayant indiqué que l’orage n’éclaterait pas avant une heure, d’un menu ouvrier à treize euros, assez moyen comme les précédents, avec une andouillette et un nougat glacé. Sitôt le café bu, les premières gouttes tombent.

    Je prends le risque de faire un autre bout de la balade aventureuse. Elle me mène au bord du lac de Chammet par un chemin plein d’ornières qui traverse un ancien centre de vacances Electricité de France abandonné au bout de trois ans d’usage et désormais en ruines. Je passe sur l’étroit barrage et poursuis sur une « piste carrossable » pendant un kilomètre et demi, priant pour ne pas tomber en rade dans un lieu aussi reculé, trouve le hameau de Servières, m’y perds, m’y retrouve grâce à une petite rousse en chorte. Pendant tout ce temps, les éclairs et le tonnerre n’ont cessé mais peu d’eau est tombée.

    Arrivé à Tarnac, je m’arrête au café du Magasin où les présent(e)s occupé(e)s à nettoyer après le repas communautaire chantent en chœur Les oiseaux de passage de Brassens et Richepin. Je bois un diabolo menthe en terrasse. La pluie frappe le plastique ondulé qui la recouvre cependant que gronde un lointain tonnerre. Cela n’empêche pas l’autochtone barbu présent chaque jour depuis moult années sur son siège attitré d’y dormir bruyamment, bel exemple de permanence dans un monde qui bouge si vite. Ayant lu ma dose de Perros (j’en suis au troisième volume), je paie l’euro vingt à la jeune épicière, le bar ayant été déserté. Elle me confirme la disparition de l’élégant camion que chargeait et conduisait autrefois Benjamin.

    *

    Vieux couple à La Fontaine :

    Elle : « Elle s’est fait opérer des doigts. On n’est même pas allé lui demander des nouvelles. »

    Lui : « Des nouvelles ? Qué nouvelles ? On ne demande pas de nouvelles pour ce genre d’opération. »

    Partager via Gmail Yahoo!

  • Pour la première fois depuis mon départ, c’est un ciel bleu qui se montre par la fenêtre ce jeudi matin. Après le petit-déjeuner, je prends la route de Viam, village bordé d’un lac. J’y bois un café à l’Auberge du Lac, manquant de m’asseoir sur une chaise au pied cassé la veille mais non retirée de la terrasse. Ce détail et une impression générale négative me font renoncer à y retenir une table pour le déjeuner. Je vais voir le lac. Sa plage minimale est bordée d’un campigne populaire. Sur ces eaux, des canoés de centre de vacances circulent, cornaqués par un moniteur énervé : « Les filles, arrêtez de piailler, si vous êtes venues ici pour faire les connes, c’est pas la peine. ». Sur terre, un autre moniteur exige que des filles et des garçons de treize quatorze ans mettent un chapeau.

    Je poursuis jusqu’à Bugeat où c’est jour de marché, m’installe en terrasse avec vue sur icelui au Café de la Place, le seul du bourg, face à l’église à cloches apparentes et à l’Hôtel de Ville. Le diabolo menthe y est à deux euros dix, un prix exorbitant pour la région. Sur les tables, un flayeur appelle à une Journée du Terroir à Davignac, ce que commente l’un des assis voisins en ces termes : « Y en a partout maintenant des Journées du Terroir. Oh, pauvre ! » Celle-ci promet, entre autres, une lecture offerte aux enfants suivie d’un goûter, un spectacle de l’école de bourrée et une restauration à petit prix.

    Se restaurer, il est l’heure. Je m’installe en terrasse, bétonnée, survolé par des martinets survoltés, Chez l’Gaz, un restaurant dont le menu ouvrier est à quinze euros (salade d’avocat, steak saignant pommes en dés sans doute décongelées, fromages, crème brûlée tiède par endroits et froide ailleurs, un litre de vin rouge dont je bois peu, café, le pain arrivé tiède finira desséché). Ce n’est pas encore cette fois que j’aurai fait un bon repas.

    Par la route détournée, mais refaite à neuf, qui passe près du Goutailloux, je rejoins Tarnac et le café du Magasin Général. Sur le comptoir, La Montagne du jour a pour gros titre : « Un incendie paralyse le trafic des trains ». J’espère que tout le monde a un alibi. Je bois un diabolo menthe en terrasse, seul client, et lis Perros. Il fait lourd. La jeune fille chargée de l’épicerie se plaint d’avoir hier collé plus d’affiches sur la vitrine qu’elle n’a vu entrer d’acheteurs.

    *

    Lecture de circonstance en rentrant à Toy-Viam, le nouvel épisode du feuilleton de Laurent Borredon, journaliste au Monde, ayant débuté le dix juin et qui se poursuit chaque jour, intitulé :Tarnac, une instruction française (Voyage au cœur d’une enquête antiterroriste).

    *

    Si peu de monde sur les routes en Corrèze comme en Creuse, mais c’est déjà trop pour certains d’ici qui regrettent le passé : « C’était le bon temps, tu pouvais t’arrêter en ville et discuter de voiture à voiture. »

    Partager via Gmail Yahoo!

  • La nuit est noire aux Quatre Saisons de Soubrebost, troublée uniquement en son début par le bruit terrifiant de deux avions chasseurs. Ce sont les petits oiseaux qui me réveillent. Au petit-déjeuner qui se prend autour d’une table circulaire à plateau rotatif (pas besoin de demander à autrui de passer la confiture), j’interroge l’hôte anglais sur l’origine des grilles Art Nouveau qui entourent son parc. Il me répond qu’un voisin lui a expliqué que l’ancien propriétaire les a fait venir de Paris mais que les piliers en granit ont été fabriqués ici. C’était après la Deuxième Guerre.

    Un parcours un peu erratique m’emmène à la Rigole du Diable puis au lac de la Vaud-Gelade. Il fait brumeux, pas de quoi envisager la balade à pied. Je poursuis, passe à Saint-Marc-à-Loubaud, Gentioux et arrive à Faux-la-Montagne où je déjeune au café restaurant La Feuillade pour treize euros (charcuterie, jambon braisé fondue creusoise, fromages, crème brûlée, quart de vin rouge, café). C’est le lieu de retrouvailles des ouvriers et des locaux, une salle de café aux sièges et tables disagne où l’on écoute Radio Nostalgie, une salle de restaurant à têtes de sanglier au mur et à mobilier banal. Le café de fin de repas se prend au comptoir. J’y ouvre La Montagne de ce mercredi et découvre une photo couleur de peintres en moules de ma connaissance, prises sur le fait à Royère-de-Vassivière lundi dernier pendant la fête belge. « Il ne manquait plus que le Manneken-Pis », titre l’article (ce qu’appréciera l’une des photographiées qui a horreur des hommes qui font pipi sans se cacher au bord des routes). La photo est ainsi légendée : « Grâce aux talents des peintres de Royère, le musée international de la moule peinte pourrait voir le jour ». L’humour creusois vaut l’humour belge.

    En sortant, je passe devant le salon de thé cyberespace Brin de Zinc où je fus avec celle qui travaille trop dur à Paris. Il n’est pas ouvert. Sur la porte figure une explication : « En raison de notre incompréhension des pratiques locales, nous avons décidé de mettre Brin de Zinc en sommeil ».

    Une pancarte indique Tarnac à neuf kilomètres. C’est par là que je vais, passant de Creuse en Corrèze. Je reconnais parfaitement les lieux, bien que l’église soit entièrement échafaudée et bâchée. Je me gare devant la Mairie, soucieux de trouver des renseignements sur les chambres d’hôtes mais elle est fermée. Sur la porte est affichée une lettre de Madame la Maire à Monsieur le Boulanger à qui elle reproche d’avoir transformé la boulangerie communale en chenil. J’avise une jeune fille habillée en noir à qui je demande si elle connaît une chambre d’hôtes dans les environs. « Je suis Américaine, me dit-elle, va au Magasin, il y a plein de monde là-bas, ils te diront ».

    Effectivement, il y a beaucoup de monde au Magasin Général, des jeunes gens de divers pays y mangent. Toutes les tables intérieures et extérieures sont occupées, certains déjeunent même assis par terre dehors. Je prends un café au comptoir puis trouve une chambre grâce à la documentation que m’a remise lundi l’Office de Tourisme de Royère. Elle est sise à La Genetouse, commune de Toy-Viam (à six kilomètres de Tarnac) et ne sera prête qu’à dix-sept heures, ce pourquoi je retourne au Magasin Général où je suis seul dans la salle pour écrire, embêté par les mouches, les humains étant partis « travailler sur le chantier ».

    *

    Trois ouvriers en discussion à La Feuillade, parlant d’un quatrième, licencié, mais qui a retrouvé un emploi :

    -Cantonnier à Saint-Pardoux, c’est pas une mauvaise place !

    *

    En garant ma voiture immatriculée dans le Soixante-Seize devant le Magasin Général, je permets à la Direction Générale du Renseignement Intérieur de mettre  ma fiche à jour.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • Mardi matin, au petit-déjeuner, l’hôtesse de Martinèche m’explique que l’appellation Plateau de Millevaches est relativement récente et qu’avant cela on parlait ici de Montagne Limousine, c’est d’ailleurs ce que l’on dit encore en occitan. C’est donc dans la Montagne Limousine que je choisis de rester en me déplaçant d’un saut de puce jusqu’au lieu-dit Chignat, toujours dans la commune de Soubrebost (sous les bois en occitan), où m’accueille en chambre d’hôtes, un couple d’Anglais (ayant pour autres clients des Hollandais, des Flamands et des Anglais) dans une belle bâtisse de pierres dont le parc est entouré de grilles de style Art Nouveau. Nous sommes aux Quatre Saisons. Ma chambre est L’Automne (ce qui est conforme à mon âge). Elle est élégamment minuscule avec un lit d’une personne et un prix en conséquence : vingt-cinq euros la nuit.

    J’y pose mes bagages et descends vers Bourganeuf, m’arrêtant en chemin pour aller pédestrement (comme on dit au service des filatures) visiter les gorges du Berger, dénomination présomptueuse pour le cours d’un sympathique ruisseau quelque peu encaissé.

    A Bourganeuf, je me gare sur la place centrale devant l’église et très vite je sens que ce n’est pas là que je déjeunerai. Ce bourg est rude, rugueux même, et invite à s’en éloigner, ce que je fais par la route de Royère-de-Vassivière que je remonte jusqu’au Compeix où je retiens une table dehors au café restaurant ouvert sept jours sur sept. Il est onze heures, j’ai le temps d’aller voir la cascade d’Augerolles par un chemin forestier pentu, elle aussi présomptueusement baptisée, et d’en remonter juste avant midi, épuisé, suant comme un baudet et affamé. Le grand air et la marche à pied, ça creuse (comme on dit dans le pays).

    Une table est mise à l’auberge. C’est la mienne. Je suis le seul client durant un quart d’heure mais ensuite cela arrive de tous côtés, familles du cru et ouvriers du coin. La plupart mangent à l’intérieur. Seuls me tiennent compagnie à l’extérieur un assureur et l’un de ses amis. Le menu est à treize euros cinquante tout compris : feuilletés de jambon champignons, crépinettes de dinde pommes sautées, fromages, glace en cornet, quart de vin rouge et café. Ce n’est pas de la grande cuisine mais qu’importe. Je mets un certain temps à en venir à bout car la patronne est seule au service et il lui faut courir partout à la fois. Je profite donc à loisir de la conversation de l’assureur et de son vis-à-vis qui font le tour des gens des environs :

    L’assureur à propos d’une de leurs connaissances :

    -Il l’a vendu son étang. Et même, on peut dire qu’il l’a bu.

    L’autre, à propos d’un qui arrive au restaurant :

    -Çui là, c’est celui qui s’occupe des clochers des églises, quand la minuterie est en panne. (« Sans blague ! », commente l’assureur)

    L’autre toujours, parlant du café restaurant L’Atelier à Royère-de-Vassivière où j’étais hier :

    -Tu te pointes à neuf heures et c’est pas ouvert. Je leur ai dit : vous êtes plusieurs, vous pouvez faire un roulement. Y z’en ont rien à foutre.

    L’après-midi, je le passe dans le parc de la maison d’hôtes de Chignat à lire Perros et à écrire ceci, cependant que dans le voisinage tournent les tondeuses à gazon et que le ciel se charge de nuages noirs. De temps en temps, des oies cacardent.

    *

    Constatation déprimée d’un assureur creusois déjeunant en terrasse au mois de juillet :

    -Dans nos petits pays, c’est l’hiver qui est long.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • Il pleut fort dans la nuit sur le toit de la maison d’hôtes de Martinèche, mais je dors suffisamment pour être de bon pied à huit heures au petit-déjeuner qui se prend dans la salle commune. Tandis que l’hôte en pyjama fabrique son fromage de chèvre, l’hôtesse me raconte la menace par l’Hadopi d’une amende de quatre cent cinquante euros pour un téléchargement illégal fait par un de leurs hébergés. Je la rassure sur mon compte puis prends la route qui mène à Royère-de-Vassivière où, par une coïncidence bienvenue, l’ami d’Orléans est en vacances avec sa famille et où, en ce jour de fête nationale belge, doit avoir lieu, au café restaurant L’Atelier, à partir de quinze heures, la Fête de la Belgique pour tous.

    Avant de toquer là où je suis attendu, je prends un café à L’Atelier en lisant un peu des Papiers collés de Perros. Au comptoir, bien qu’il ne soit que dix heures, c’est p’tit verre de blanc ou p’tit verre de rouge et pour conversation « Il a plu c’te nuit, ça fait ressortir les limaces ».

    Un peu plus tard, je suis dans l’imposante villa louée où je fais la connaissance des ami(e)s et de leurs filles avec qui l’ami, sa femme et ses filles partent en vacances. Cela fera du monde pour le déjeuner auquel je suis invité et qui aura lieu après que les courses seront faites.

    Je vais en attendant me balader par un chemin de grande randonnée jusqu’à un vaste étang au milieu duquel est construite une cahute en bois atteignable à la rame. Au retour, j’entre chez Proxi et en ressors avec une bouteille de vin d’Auvergne « Un brin d’amour » (ça ne fait pas de mal) puis retourne à L’Atelier. Le diabolo menthe y est à un euro cinquante (prix creusois). Je le bois en terrasse près de motards qui regrettent que le temps soit trop moyen pour envisager un pique-nique dans un endroit bucolique.

    C’est aussi pour cette raison qu’à la villa vers quatorze heures nous déjeunons à l’intérieur, autour d’une immense table et d’une nourriture aussi simple que bonne. L’ambiance est amicale et familiale, ce qui pour moi vaut tous les exotismes.

    *

    Pas plus que ça intéressé par la fête belge où il n’y a guère de monde (exposition de bandes dessinées, peinture sur moules), je décide de rentrer à Martinèche avant la soirée moules frites et film du pays.

    *

    La question du matin à Martinèche : « C’est à qui de traire la chèvre ? »

    Partager via Gmail Yahoo!





    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires