• C’est sous la pluie que je quitte Rouen à sept heures ce dimanche vingt juillet et j’y ai droit de plus en plus fort jusqu’à Nonancourt, puis le ciel se dégage mais pas la circulation automobile, le plus pénible étant la portion d’autoroute Orléans Vierzon emplie de caravanes. Dès que je la quitte pour aller vers Issoudun, plus personne sur la route droite en creux et bosses.

    Issoudun est plus grand que dans mon souvenir mais ses habitants se cachent. J’en trouve néanmoins deux pour m’aider à dénicher un restaurant ouvert le dimanche et arrive ainsi à La Locomotive face à la gare où je ne déjeune pas très bien d’un confit de canard ultra sec. Une vieille femme a invité sept membres de sa famille. Elle leur répète de choisir tout ce qu’ils veulent, ce qui les conduit à se restreindre. Je repars à treize heures, découvrant à la sortie de cette bourgade un étonnant château d’eau coloré. Je prends la direction de La Châtre et passe par des villages déserts dont l’un, Ambrault, accueillait hier soir en concert Elliot Murphy and The Normandy All Stars, puis par Nohant où je ne m’arrête pas, n’ayant pas d’affinité avec George, enfin c’est Guéret, lieu de mes premières vacances d’été, au campigne, j’avais vingt-deux ans, déjà seul.

    Le plein d’essence fait, je poursuis vers Bourganeuf et sitôt passé Pontarion trouve une chambre d’hôtes à trente et un euros petit-déjeuner inclus (prix pour un célibataire) au lieu-dit Martinèche, commune de Soubrebost, chez un couple de mon âge, peut-être croisé autrefois au Larzac, sur leurs voitures des autocollants contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

    Mes bagages déposés dans la belle mansarde avec vue sur les biquettes et la volaille, je m’enquiers auprès de mes hôtes d’un café ouvert le dimanche à Pontarion. Que nenni, mais je peux néanmoins y aller à pied par un joli chemin qui longe la rivière. Ce que je fais, côtoyant des veaux qui me regardent comme l’un des leurs.

    *

    A Martinèche, on peut (ce que je ne fais pas) visiter la maison natale de Martin Nadaud, ouvrier creusois devenu député, en exil sous Napoléon le Troisième.

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  • Le message, sur mon répondeur, jeudi soir, de la propriétaire de l’appartement d’à côté, victime d’un dégât des eaux, est le deuxième. A la suite du premier, envoyé dans l’après-midi, je suis allé voir ses locataires, mes voisins étudiants. La fuite d’origine inconnue en train de ruiner les cloisons sous leur escalier n’étant pas de mon côté mais de celui de l’appartement suivant, j’en étais reparti rassuré.

    Le second message m’explique que l’habitante de l’appartement suivant a coupé son compteur d’eau et que le bruit de la fuite ne cessant point, cela doit venir de chez moi. On me prie de couper à mon tour le compteur « en présence des locataires ». Ni lui ni elle ne sont là quand j’y sonne à vingt et une heures. Je dors mal et dès que j’entends bouger à côté au matin du vendredi je vois les voir.

    En présence du voisin locataire, je coupe mon compteur d’eau, ça continue à fuir chez lui. Je respire. L’autre voisine arrive et même une habitante de plus loin, qui n’a rien à voir avec l’affaire mais aime se mêler de tout. La fuite est avant les compteurs, telle est l’unanime conclusion. Les étudiants appellent le syndic. A midi, un plombier découpeur de cloison résout le problème.

    Je ne manquerai pas de couper l’eau en partant dimanche matin, coupant les ponts provisoirement avec la ville de Rouen, descendant vers le milieu de la France par Evreux Dreux Chartres Orléans, route des vacances, avec dans mes bagages, à relire, le Journal de Jules Renard (Bouquins/Laffont) et les volumes deux et trois des Papiers collés de Georges Perros (L’Imaginaire/Gallimard), le second ayant écrit la notice du premier dans le Dictionnaire des auteurs (Laffont/Bompiani).

    *

    Couper les ponts : « Se mettre dans l’impossibilité de revenir en arrière. ». La reconstruction de Mathilde montre qu’un pont coupé ne l’est pas forcément pour toujours.

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    Retombée de Balcon, la chanteuse dont je n’ai pas dit du bien trouve que j’écris « comme une merde ». En aurais-je dit que j’écrirais divinement.

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  • En ce jeudi de chaleur, vers treize heures, de la terrasse du Son du Cor où je bois un habituel café me parviennent les cris de la dispute d’un jeune couple dans l’immeuble voisin. Que ce soit elle qui crie le plus fort ne prouve pas qu’elle ait tort. Sur le terrain de boules une scène installée rappelle aux passant(e)s que c’est aujourd’hui jour de concert « festif, populaire et gratuit ».

    A dix-huit heures trente, je suis place de la Cathédrale pour ouïr et voir, devant la Brasserie Paul, Eskelina Svanstein, chanteuse suédoise s’exprimant en français et avec sa guitare. Cette cheftaine me rappelle le pire des années soixante-dix, pas étonnant qu’elle soit programmée devant le café le plus bourgeois de Rouen. Elle chante celui qui danse comme un dieu mais dort sur des cartons et le lit d’Emilie dans lequel, audace suprême, elle est entrée. Cette chanson hygiénique me fait vite fuir et comme il est trop tôt pour Yidaki Jug Band devant le Son du Cor, je passe par le Café Perdu devant lequel s’exprime Nono Futur, une contre programmation baptisée le Balcon du Jeudi. Il en est aux balances, pour lesquelles je reste, puis vais voir ce Yidaki Jug Band, un garçon d’Evreux qui fait band à lui tout seul. Chanteur et joueur de lapsteel, guitare et didjeridoo, il ne me retient pas davantage qu’un morceau.

    Je retourne au Balcon et, en attendant que Nono ait fini sa bière, entends discuter son public de rockeurs. Il est question des études des enfants, qui sont ce qu’il y a de plus important, heureusement les leurs ont les félicitations tous les trimestres. Un cloune triste porteur du ticheurte des Dogs revient du bar avec deux bocks. Le répertoire de Nono Futur est toujours le même, bien que ce soir il se soit rebaptisé Nouméa von 88, une fine allusion à Tahiti 80 qui joue aux Terrasses place Saint-Marc à vingt et une heures dix. Il attaque toujours Sarkozy mais n’envoie plus personne se faire enculer. Il serait temps qu’il écrive une chanson bien méchante sur Hollande. Son surmoi doit l’en empêcher.

    Après Nono, au Balcon, c’est La Chute, duo à maigre chanteuse. Je laisse tomber avant la fin de la première chanson et rejoins la place Saint-Marc où il y a foule. Le groupe sur scène, où les lumières sont à fond bien qu’il fasse jour, doit être le parisien We Are Match, « electro-pop tricolore ». Ça ne m’intéresse pas. J’observe la foule en vêtements d’été. Il me semble que jamais filles et garçons (surtout eux) n’ont été plus mal habillés. Beaucoup de ces garçons sont des néo barbus. Nos seulement ils s’embrassent les uns les autres mais maintenant, en plus, ils se congratulent chaudement les yeux dans les yeux. Où ont-ils attrapé ça ? En regardant des séries ? Je cherche la caméra du film dans lequel ils jouent en permanence.

    Bientôt, en ayant marre, je rentre. Un message m’attend sur mon répondeur. C’est la propriétaire de l’appartement d’à côté, victime d’un dégât des eaux. Il se pourrait que ça vienne de chez moi.

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  • Gare de Rouen, ce mercredi matin, travailleurs et vacanciers se partagent les quais. Une femme à valises, accompagnée de son fil d’environ huit ans, s’inquiète auprès d’un cheminot. Je me souviens d’elle, jeune fille resplendissante vers qui se tournaient la plupart des yeux masculins lorsqu’elle arrivait en vélo à la terrasse des Floralies, il y a une quinzaine d’années. Devenue prof, je ne sais si c’est son métier ou seulement cet assassin de temps qui lui ont ainsi creusé les traits.

    Celle qui me rejoint trois heures plus tard au Book-Off de la Bastille n’a heureusement pour elle pas encore connu cet outrage. Nous prenons un verre à la terrasse du Café du Faubourg où nous évoquons ses grandes difficultés à trouver un appartement et les miennes à trouver quelque intérêt à ma vie maintenant qu’elle n’en est plus le centre et que je ne vois pas qui, raisonnablement, pourrait venir la réenchanter. Peut-être que partir en vacances me fera du bien. Au moins, je serai triste ailleurs. Elle m’offre les friandises de voyage qu’elle emportait toujours quand elle partait avec moi : Gerblé barre Amande et Werther’s Original.

    Nous poursuivons la conversation en déjeunant dehors place d’Aligre à La Grille dont la bonne cuisine nous convient parfaitement (nems de bœuf, salade pennes et saumon pour elle, tranches de porc et pommes de terre pour moi, tarte au citron pour elle et moelleux au chocolat pour moi), cela pour moins de treize euros par personne (le vin est un peu cher et pourrait même l’être davantage sans ma vigilance, le saumur s’étant  transformé en sancerre sur la note).

    Le travail la happe ensuite, qui se poursuivra jusqu’à une heure avancée de la nuit. Je passe le reste de mon mercredi parisien à aller de libraire en libraire à l’aide de bus surchauffés. Le chauffeur du Vingt-Sept, énervé par un conducteur de scouteur, lui donne rendez-vous à vingt heures trente, porte d’Ivry, pour s’expliquer entre hommes. A cette heure, je suis dans le train qui me ramène à Rouen. J’y termine la relecture, commencée à l’aller, d’Une vie ordinaire, le roman poème autobiographique de Georges Perros (Poésie/Gallimard).

    *

    Cité par Lorand Gaspar dans sa préface à Une vie ordinaire, cet extrait des Papiers collés du même Perros : L’écriture a cette vertu de nous faire exister quand nous n’existons plus pour personne.

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  • Je ne sais pas grand-chose de Rafael Sánchez Ferlosio dont je relisais l’autre mercredi dans le train qui me menait à Paris Nous aurons encore de mauvais moments. Ecrivain espagnol, né à Rome le quatre décembre mil neuf cent vingt-sept, il fait partie de la famille de ceux qui ne sont pas dupes, dont je suis. Dans ce recueil d’aphorismes, de courts poèmes et de notes, publié chez Rivages Poche, je fais mon choix :

    Nous sommes babyloniens – pourvu que la tentation de construire une tour ensemble ne nous reprenne pas ! Décidons plutôt, une fois pour toutes, en bons frères, que nous ne nous supportons pas les uns les autres !

    Que le détenteur de l’autorité garde cet ultime respect envers celui qui doit obéir : qu’il s’abstienne de lui fournir des explications.

    L’enfant qui osa dire : « L’empereur est nu », hélas ! était peut-être lui aussi payé par l’empereur.

    Quelle meilleure preuve que le futur est déjà écrit que le journal du matin ? Comment comprendre, sinon, que tous les jours s’accomplissent exactement 32 pages d’évènements ?

    Quelle aimable initiative ce serait, de la part d’un de ces grands organismes internationaux, que de proclamer un jour sans date !

    C’est une erreur de penser qu’il faut de très mauvais sentiments pour accepter ou perpétrer les méfaits les plus enragés ; il suffit d’être convaincu d’avoir raison.

    Entre l’injustice qui consiste à insulter son prochain et l’indignité de lui sourire, il y a un sage moyen terme : regarder ailleurs.

    La très puissante séduction cathartique de la guerre se manifeste dans la popularité de tous ceux qui promettent des sacrifices.

    Toutes les cérémonies sont proportionnelles : les voyageurs qui viennent de plus loin sont les premiers à réunir leurs affaires et à se préparer à descendre du train.

    En incipit, cet aphorisme, déjà noté dans ce Journal, mais qui peut être répété :

    Ce qu’il y a de louche, dans les solutions, c’est qu’on en trouve dès qu’on en cherche.

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  • Pas le moindre bruit lors de la finale de la Coupe de Monde de foute ; depuis l’élimination de la France nul ne semblait plus s’y intéresser, notamment ceux qui se cherchent un ennemi et qui ne pouvaient plus défiler dans les rues derrière un drapeau en beuglant des chants patriotiques. Quelques explosions quand même dans la nuit, ce sont les feux d’artifice de banlieue, qui ont lieu le treize plutôt que le quatorze. A cinq heures trente, je suis debout, remerciant intérieurement les communes de La Bouille et de Criquebeuf-sur-Seine d’organiser leur vide grenier en ce jour férié synonyme de vacuité.

    La première de ces deux communes de bord de Seine me rappelle de bien bons moments. Y être est donc autant un mal qu’un bien. Je sillonne plusieurs fois les ruelles bordées de maisons bourgeoises sans trouver livre qui me convienne et ne m’y attarde pas.

    La seconde de ces deux communes de bord de Seine ne m’évoque que des souvenirs professionnels. Quand je faisais l’instituteur remplaçant en zone d’intervention localisée, j’y ai quelquefois remplacé l’instituteur qui, dans sa classe unique, pratiquait la pédagogie Freinet. Je ne sais si c’est l’une de ses anciennes élèves que j’entends dire « On peut compter sur l’espèce humaine pour voir des problèmes là où il n’y en pas ». Parcourant dans les deux sens la longue rue parallèle au fleuve, je croise mon ancien voisin du dessus de quand j’habitais à Val-de-Reuil, responsable de mon courrier en mon absence, toujours là-bas, avec désormais une barbe musulmane, et constate qu’il n’y a pas ici davantage de livres pour moi, n’ayant heureusement pas besoin d’Enfant difficile, enfant prometteur, ni de Bien négocier son divorce.

    *

    A Criquebeuf, comme à La Bouille, des nymphettes occupées à tresser des bracelets d’élastiques colorés, activité obligatoire de l’été deux mille quatorze.

    *

    « Marasme », mot employé par Gabriel Matzneff dans son Journal des années Soixante pour qualifier les jours où ça ne va pas.

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  • Samedi après-midi, après un café à la terrasse quasi déserte du Son du Cor, je me heurte à la porte inexplicablement close de l’Ubi où je comptais tapoter mes notes de lecture. Cette fermeture ne peut gêner que moi, j’y suis toujours le seul vrai client, les autres étant les professionnel(le)s du lieu. Dépité, je change de plan et traverse la Seine pour aller faire quelques achats d’avant vacances chez les pauvres de la rive gauche.

    C’est aujourd’hui qu’ouvre au public sur le quai bas la Prairie Saint-Sever, un vague gazon ayant du mal à pousser sur lequel sont posées des chaises longues en bois. Quelques bancs en pierre et des arbres chétifs complètent l’aménagement de ce lieu de détente où je ne vois pas grand monde. Des mois de travaux ont été nécessaires pour obtenir ce piteux résultat. Dire qu’il y avait ici un excellent terrain vague pouvant accueillir des évènements temporaires et servant de parquigne gratuit le reste du temps.

    De l’autre côté du pont, c’est le début de Rouen-sur-Mer, la copie brouillonne de Paris-Plages. D’en haut, cela ressemble à une fête foraine sur du sable. Un immense bateau gonflable y est échoué. Semblant avoir chuté du quai haut, il est fort opportunément nommé le Titanic.

    *

    Ce dimanche en début d’après-midi, malgré le sale temps, je suis sous l’auvent du Son du Cor où je lis Vénus et Junon (Journal 1965-1969) de Gabriel Matzneff (La Table Ronde) entouré d’intellectuels dont le meilleur de la conversation tient en ceci :

    -Ça va toi ?

    -Ben ouais, mieux que le temps.

    -Bah, y a pas de mal, tu me diras.

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  • Lecture appropriée à un ouiquennede de trois jours qui s’apparente à une traversée du désert : L’amour est un chien de l’enfer de Charles Bukowski, précisément la première partie, publiée au Sagittaire en mil neuf cent soixante-dix-sept, un an après sa parution aux Etats-Unis, mon exemplaire ayant été trouvé au Clos Saint-Marc il y a quelques semaines.

    Quelques extraits qui montrent l’homme :

    les femmes du Texas sont toujours/ en bonne santé, et en plus la mienne/ nettoie mon frigo, mon évier,/ la salle de bains, et elle cuisine et me/ prépare d’excellents petits plats/ et elle lave aussi/ la vaisselle. texane

    l’amour aussi sèche, pensai-je/ en revenant dans la/ salle de bains, et même plus vite/ que le sperme. la fin d’une courte histoire

    et au lieu d’être raisonnable/ je me demande qui la baise en ce moment ?/ j’imagine qu’elle doit être en train de filer le grand frisson/ à un quelconque fils de pute. défaite

    ils me dégoûtent/ avec cette façon d’attendre la mort/ où ils mettent autant de passion/ qu’à voir un feu passer au vert. feu vert

    c’est la même situation que précédemment/ ou que la fois d’avant/ ou que la fois de la fois d’avant./ il y a une bite/ et il y a un con/ et plein de problèmes. ça alors

    quand je souffre sur/ cette machine à écrire/ je pense à ce que je subirais/ si j’étais à Salinas/ à ramasser des salades. l’héritage des humbles

    « vos poèmes sur les filles se liront/ encore dans 50 ans d’ici/ quand les filles auront disparu »,/ me dit au téléphone mon éditeur./ cher éditeur/ les filles ont déjà disparu. ce soir

    *

    Et ce zeugme dans M.T. :

    et nous prîmes de la mescaline/ et le ferry pour l’île

    (M.T , pour méditation transcendantale)

    *

    Autre lecture mais à petites doses, celle de « Mon grand petit homme… », mille et une lettres d’amour à Victor Hugo écrites en cinquante ans par l’exaltée Juliette Drouet (L’Imaginaire/Gallimard) :

    Si je n’avais été ton amante j’aurais voulu être ton amie. Si tu m’avais refusé ton amitié, je t’aurais demandé à genoux d’être ton chien, ton esclave. (à Monsieur Victor Hugo en ville, mil huit cent trente-trois)

    Quand viens-tu coucher avec moi ? La question est un peu féroce, n’est-ce pas ? Mais moi, je n’y vais pas par quatre chemins, si j’ose m’exprimer ainsi, et ce n’est qu’au lit que je me sens de force à lutter avec toi pour l’abondance et le richesse d’expression qui me manquent absolument, chaussée et corsetée.  (sept mars mil huit cent trente-sept)

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  • Comme la pluie reviennent régulièrement en juillet les Terrasses du Jeudi rouennaises, concerts gratuits devant des bars. Je suis à dix-huit heures trente face au terrain de boules jouxtant Le Son Du Cor pour Les Agamemnonz, groupe local instrumental bientôt en tournée européenne, vu et apprécié autrefois au P’tit Bar avec celle qui travaille trop à Paris. A cette époque, les quatre garçons (trois guitaristes et un batteur) s’habillaient comme tout le monde. Désormais, ils portent la toge et montrent leurs gambettes épilées et leurs pieds nus. Cela n’enlève rien à leur musique qui me rappelle celle des Shadows ou des Spotnicks (eux aussi portaient des tenues ridicules). Autant dire que ce soir je fais un saut dans mon enfance, versant insouciance.

    Tout en écoutant, je trouve dans le public un sosie de l’acteur Daroussin et beaucoup de gens connus de vue, dont des hocheurs de tête et des buveurs de godet. La télé régionale a posé sa grosse caméra sur le terrain de boules et, tandis que s’égaient les notes électriques, interroge le Kalif chargé de la programmation. La dame du rez-de-chaussée, devant l’appartement de laquelle est installée la scène et qui doit en prendre plein les oreilles, ouvre sa fenêtre et fait une photo dont l’usage futur est incertain : envoi à la Mairie pour se plaindre de ces garçons en jupe rouge orangée faisant de la musique bruyante sur le pétanquoir ou envoi à sa copine Jeannine avec en commentaire « T’as vu y a la télé devant chez moi ».

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  • Dans le train Rouen Paris de sept heures cinquante-cinq, ce mercredi, je lis ou plutôt relis Nous aurons encore de mauvais moments de Rafael Sánchez Ferlosio (Rivages Poche). Devant moi, un membre de l’Eduction Nationale oublie que ce sont les vacances en travaillant via son ordinateur à la plaquette de rentrée deux mille quatorze de son collège de La Courneuve. Il s’agit d’impressionner les parents : « Tout le collège est câblé », « Projet littérature : L’écriture à partir du sensible, avec Serge Bianco », etc.

     D’un coup de métro, j’arrive un peu avant dix heures à Ledru-Rollin, juste le temps de boire un café au comptoir du Café du Faubourg avant l’ouverture de Book-Off où les rayonnages sont un peu dépourvus. Tandis que je farfouille, un homme venu pour vendre des livres se fait agresser verbalement par l’une des employées. Elle ne veut plus le voir ici avec ses livres abîmés, sûrement récupérés dans des poubelles. Au prétexte qu’il vient souvent, elle le traite de professionnel, ce qui met cet homme hors de lui. Il lui conseille de ne pas traîner vers chez lui et repart avec ses lourds sacs. Quoi de plus jouissif pour cette fille qui doit gagner le salaire minimum que de s’en prendre à plus pauvre qu’elle. Je ne lui dis pas son fait, lâchement, je vends des livres aussi parfois.

    Après une cuisse de canard confite pommes sarladaises au Péhemmu chinois d’à côté, je rejoins à pied le Centre Pompidou pour y voir le nouvel accrochage de l’étage dédié à l’art contemporain. Il y est question surtout d’Histoire, celle avec sa grande hache comme disait Perec, une sorte de préparation à la Troisième Guerre Mondiale. Je n’accroche pas et passe plus de temps à regarder les visiteuses et visiteurs que les œuvres.

    Tandis que je prends un café à La Mezzanine, la pluie se met à tomber et le reste de ma journée parisienne se passe sous le parapluie.

    *

    À La Mezzanine, une mère à son cinq ans : « Alexandre, si t’es sage, on ira manger une glace après l’exposition, une bonne glace, chez un des meilleurs glaciers de Paris. »

    Alexandre : « Nan, nan, nan. »

    *

    Avions de guerre survolant le bus rue de Rivoli, ce n’est point le début de la Troisième, mais le Quatorze Juillet qui se prépare.

    *

    Contre la pluie, le touriste se vêt d’une bâche (verte, rose, incolore), une tenue qu’il n’accepterait pas dans son village mais qu’à Paris il trouve seyante.

    *

    Parmi les livres rapportés à Rouen : le curieux « roman ? » Le mode interrogatif de Padgett Powell, deux cent trente-deux pages de questions n’ayant souvent rien à voir les unes avec les autres, publié en France par rue fromentin, éditeur inconnu de moi.

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