• Le jour se rapproche qui sera celui de mon départ en vacances, dimanche vingt juillet, sans que je sache où aller. Ce pourrait être l’occasion de concrétiser le projet fantasmé que je faisais avec celle qui ne sera pas à mes côtés : s’en remettre au hasard en suivant les pancartes « Toutes Directions » (en cas d’absence d’une, aller tout droit, si pas possible d’aller tout droit tourner à droite).

    De « Toutes Directions » en « Toutes Directions », on arriverait quelque part, en un endroit mystérieux.

    Cependant, je crains que cet endroit ne soit une bourgade où pour rien au monde je n’aurais envie de passer même une seule nuit.

    Je m’en remettrai donc à la carte routière, comptant sur moi pour me perdre et finissant par trouver le lieu qui me conviendra, où il fera beau et pas trop chaud, qui ne me rappellera pas de bons souvenirs à deux, ni trop fréquenté ni désert, où l’on vit encore comme après-guerre mais avec une connexion ouifi.

    *

    Tentative d'acheter des vêtements d’été en solde. Rien qui me plaise ou ne soit à ma taille. Une vendeuse : « Vous cherchez du noir, estimez-vous heureux si vous trouvez du moins vingt pour cent, c’est une couleur indémodable, qu’on est sûr de vendre. »

    Partager via Gmail Yahoo!

  • S’il est une chose que je ne supporte pas c’est d’attendre, surtout si le temps d’attente est indéterminé. Combien de fois ai-je maudit qui j’attendais et n’était pas à l’heure, l’accusant de me voler une parcelle du peu de temps qui me reste à vivre. Combien de fois, même, ai-je fait demi-tour dans une pharmacie, impatienté par le client précédent qui n’en finissait pas de s’épancher sur sa maladie avec le commerçant de médicaments.

    Ce lundi après-midi, allant promener ma petite voiture, je constate en quittant l’île Lacroix que la circulation, toujours perturbée par la destruction du pont Mathilde, est étonnamment importante sur les ponts et les quais rouennais. Au retour, c’est pire, me voici bloqué à mi-côte avant même d’avoir atteint l’église Saint-Paul. Je fulmine cinq minutes, puis comme rien ne bouge, profitant d’être dans la voie de gauche, j’opte pour un demi-tour audacieux en franchissant la ligne blanche et redescends jusqu’à la Seine. Par une route qui en est à peine une, je longe le fleuve jusqu’à être au plus près du centre de la ville et ne pouvoir aller plus loin. J’abandonne ma voiture près de la déchetterie et, par le quai, gagne mon domicile à pied, ce qui ne me prend que dix minutes.

    Un quart d’heure plus tard, je suis assis en terrasse à l’Interlude au bout de la rue Eau-de-Robec.

    Le soir venu, je vais rechercher ma voiture par ce même quai où sont amarrées définitivement des péniches dont certaines ruinées. Il y pousse de nombreux arbustes à papillons odoriférants, mais de papillons, macache. Cet animal est en voie de disparition sans que nul ne semble s’en soucier, ni même s’en apercevoir.

    *

    Une femme dans la plus grande bouquinerie rurale de Normandie : « Eh bien, il y en a des gens qui écrivent ! »

    *

    L’une, dans un café : « Auto entrepreneur, ma mère l’a fait. Je me suis dit que si ma mère l’a fait, je peux le faire aussi. »

    *

    Deleuze l'a ainsi dit, tout écrivain écrit en langue étrangère.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • Dimanche tôt je prends l’autoroute qui s’en va de Rouen en direction d’Yvetot, du Havre ou Fécamp mais je ne vais pas jusqu’à la ville chantée par Nilda Fernandez du temps qu’il se prénommait Daniel, je la quitte par la sortie numéro deux, direction La Vaupalière. Je me gare à l’entrée. C’est vide grenier. Les voitures sont embouteillées. Le ciel est plombé.

    Tant que le vent souffle, et il le fait bien, il ne devrait pas trop pleuvoir, me dis-je, cherchant le plus court chemin pour rejoindre à pied le lieu du déballage. C’est un pré boueux, que je découvre, n’étant jamais venu dans ce village. Des hommes du pays en gilet jaune accueillent les véhicules des exposant(e)s que d’autres en vélo, véloces, conduisent jusqu’à leur emplacement.

    Je vais et viens dans les allées sous quelques gouttes. J’y croise plusieurs fois un homme en tenue de berger qui semble chercher ses moutons. Parfois un parasol décolle, suscitant des cris de frayeur. J’entends l’habituelle plaisanterie : « C’est une belle journée pour un mois d’octobre » et les projets de vacances des un(e)s et des autres. L’un partira à la montagne car on y vit encore comme après-guerre. Le temps d’éviter une averse, je prends un café sous la tente, Soixante centimes, c’est son prix, il ne vaut pas plus. Pour utiliser les toilettes, c’est trente centimes. Je préfère uriner contre un mur municipal.

    J’ai quelques livres dans mon sac quand je retraverse la moitié de La Vaupalière pour retourner à ma voiture, dont les Cahiers 1918-1937 du comte Kessler (Cahiers Rouges/ Grasset), journal d’un diplomate allemand amateur d’art entre les deux guerres, n’ayant vu des commerces du village que le salon de coiffure Bereng’hair.

    A peine garé dans l’île Lacroix, je vois venir à moi un mur de pluie. Je me réfugie sous l’abribus, collé contre la vitre du fond, en compagnie d’un gros chien et de son propriétaire. Je repars quand ça se calme un peu et arrive à la maison draché. Ce n’est que le début d’un dimanche d’incessante pluie et j’en imagine les conséquences sur le pré déjà boueux de La Vaupalière.

    *

    Ce dimanche pluvieux tourne au soleil quand arrive à seize heures celle venue goûter de macarons, m’ayant déjà tenu compagnie samedi, venue de Paris pour ce faire, avec déjeuner à volonté chez Sushi Tokyo, rue Verte, et boisson chaude et aubade improvisée au piano à l’Ubi, rue Alsace-Lorraine, bien installés dans le vaste canapé noir.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • Des voisins atteints par cette « peste émotionnelle » qu’est le foute, il n’en est pas que côté jardin. Ce vendredi matin, de l’autre côté de la ruelle, un patriote a accroché un drapeau tricolore du plus bel effet sur la façade à pans de bois. Ce soir, c’est le quart de finale contre l’Allemagne et la France va gagner. Ou comme ils disent « On » va gagner.

    Dans l’après-midi, l’arrivée des averses orageuses me réjouit, qui empêcheront la télé dans le jardin. Je crois entendre, rue Saint-Romain, « Allez les Schleus ! » mais je dois me tromper.

    C’est pourtant l’Allemagne qui gagne, m’apprend le silence qui règne dans les rues vers vingt heures alors que le soleil est revenu.

    La Coupe du Monde continue mais le pire est passé. Juillet ne sera pas le mois des troupeaux fanatisés braillant La Marseillaise dans les rues. J’attendrai néanmoins qu’elle se termine pour partir en vacances : pas envie de supporter les télés d’hôtels ou de chambres d’hôtes, toutes branchées sur l’évènement totalitaire.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • Je sais qui a vendu le nom de Picasso à une marque de voiture mais pas qui a cédé celui de Duchamp aux collectionneurs d'art contemporain de l'Association pour la Diffusion Internationale de l'Art Français. Leur Prix Marcel Duchamp (trente-cinq mille euros pour le lauréat et une exposition de deux mois au Centre Pompidou aux frais de l’association) existe depuis deux mille. Des œuvres de lauréats, j’en ai vu plusieurs à Paris.

    Cette année, innovation innovante, Rouen accueille celles des quatre nommés en l’abbatiale Saint-Ouen, à cause que Duchamp est enterré là-haut, au Cimetière Monumental, où il doit se retourner dans sa tombe (comme on dit). Côté arts plastiques, depuis plusieurs années, cette ville ne voit pas plus loin que son nombril.

    Ce jeudi soir a lieu le vernissage comme me le rappelle mon carton d’invitation (valable pour deux personnes) mais, songeant à ceux que je vais y croiser, dont l’un en salopette rose qui prend Duchamp pour une lanterne, je m’abstiens. Marcel m’en saura gré.

    *

    Autre coupable d’abuse Duchamp : le chargé de l’image et de la communication du Bazar de l’Hôtel de Ville, cité par Libération à propos d’une campagne publicitaire mettant en scène le galeriste Kamel Mennour, déclarant que « c’est au BHV qu’a été inventé l’art contemporain, au début du siècle, quand Marcel Duchamp a acheté un porte-bouteilles et en a fait le premier ready-made. » (A noter que cette personne se croit encore au vingtième siècle)

    *

    Tandis qu’à Rouen on ne voit pas plus loin que son nombril, au Havre on regarde vers le large. En témoigne l’exposition Nicolas de Staël au MuMa, organisée pour le centenaire de la naissance de l’artiste, visible du sept juin au neuf novembre.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • Deux semaines sans aller à Paris c’est trop. Je n’en puis plus de Rouen. Aussi est-ce d’un bon pas que je gagne la gare ce mercredi matin sous le soleil. Le Playboy Communiste y fait le spectacle. Lancé dans une danse extatique qu’il rythme par une incantation rock’n’roll, il a pour public ceux qui attendent le sept heures vingt-cinq pour Paris. Quand ils descendent quai deux, il cesse et disparaît. La grève étant terminée, je ne peux tricher et descends attendre, quai trois, le lent huit heures sept.

    Dans la voiture, loin de moi heureusement, deux moutards s’expriment (mères débordées, pères absents) « Rémi, ne crache pas sur les gens. ».

    Je ne suis chez Book-Off que dix minutes après l’ouverture, où l’on n’a guère réassorti depuis mon dernier passage. Je trouve néanmoins parmi les livres à un euro le Henry Miller de Frédéric Jacques Temple (Buchet Chastel), mon exemplaire bénéficiant d’un envoi de l’auteur : « à Patrick Kéchichian, cette esquisse d’Henry Miller que j’espère vivante, cordialement ».

    A midi, je déjeune encore une fois du même menu à l’Hostellerie de l’Oie qui Fume, rue de la Harpe. Dans ma proximité sont assis un jeune homme et ses vieux parents venus le voir de province, tous trois de louque rock’n’plouc. « Y a les égouts à visiter » suggère le jeune homme qui rassure son paternel : « T’en fais pas, des Crédit Agricole, y en a plein dans Paris ».

    Avec un si beau temps, pas question de s’enfermer dans une exposition, je préfère glandouiller à l’extérieur en me demandant, à la lecture du titre d’une, Réenchanter le monde (à la Cité de l’Architecture), où est l’oiselle rare volontaire pour réenchanter le mien.

    Dans l’après-midi, je passe à l’autre Book-Off. Au rayon Connaissances, les yeux vers les rayonnages du haut, je découvre que l’endroit a un autre intérêt. Situé à proximité de l’escalier qui monte à l’étage, il offre une vue absolue sous les jupes des filles. J’y trouve l’ouvrage de Jean-Charles de Fontbrune Henry Miller & Nostradamus (Editions du Rocher).

    C’est avec Miller que je finis ma journée parisienne, lisant à l’une des tables de trottoir de Chez Léon, avec un diabolo menthe, près d’une jolie brune qui, à la question de savoir ce qu’elle a fait hier soir avec son mari, que lui pose sa collègue fausse blonde, répond sans la moindre ironie: « On a regardé le foute ».

    Bien que n’étant pas critique littéraire comme Kéchichian (au Monde puis à La Croix), je peux dire à Frédéric Jacques Temple (bientôt quatre-vingt-treize ans) que son esquisse est vivante.

    *

    Paris, rue des Petits Champs, le cabaret La Belle Epoque n’est plus, remplacé depuis hier par un restaurant chicos dont les premiers clients, des couples sans parole semblant s’ennuyer, contemplent l’animation de la brasserie d’en face d’où je les observe.

    *

    Discussion du jour dans les cafés : la mise en examen de Sarkozy après une sévère garde à vue. Tous ne font que répéter ce qu’ils ont entendu à la télé ou à la radio.

    *

    Rouen : rien d’autre qu’un centre commercial à ciel ouvert doublé d’un parcours de déambulation touristique, les deux fonctionnant de dix heures à dix-neuf heures. Avant et après : rues désertes.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • S’il est un auteur dont je ne connaissais même pas le nom avant de trouver l’un de ses livres chez Book-Off, c’est Albert Caraco, né en mil neuf cent dix-neuf dans une famille séfarade du Levant, passant avec ses parents par Vienne, Prague et Paris, réfugié en Amérique du Sud à la veille de la Deuxième Guerre Mondiale, revenu à Paris après la Libération, désespéré par le désastre.

    Le Bréviaire du chaos est publié à L’Age d’Homme dans la collection Amers Littérature. Ce petit livre est une synthèse de la pensée de Caraco, le chantre du pessimisme, auprès duquel Cioran semble un joyeux drille.

    Echantillons :

    Or, toutes nos idées sont meurtrières, aucune d’elles n’obéit aux lois de l’objectivité, de la mesure et de la cohérence, et nous, qui perpétuons ces idées, nous marchons à la mort comme des automates.

    Le monde, que nous habitons, est dur, froid, sombre, injuste et méthodique, ses gouvernants sont ou des imbéciles pathétiques ou de profonds scélérats, aucun n’est plus à la mesure de cet âge…

    Pourquoi le pire est-il l’unique certitude, qui nous reste ? il l’est pour deux raisons, la première étant l’impossible de freiner le mouvement, qui nous emporte, et la seconde résidant en la nature même de ce mouvement.

    La vie n’est pas sacrée à partir du moment où les vivants pullulent, celle des hommes en surnombre n’a pas plus de valeur que celle des insectes et les soldats, morts à la guerre, ne sont pas davantage aux yeux de ceux qui les y mènent.

    Le siècle voudrait tout choisir et c’est pourquoi nous n’avons pas de style, le siècle voudrait tout comprendre et c’est la raison pour laquelle il ne sort plus du labyrinthe, le siècle voudrait même humaniser la masse en perdition en tant que masse et c’est pourquoi nous allons au carnage planétaire.

    Et sommes-nous tombés si bas pour que les Chefs d’Etat, en mal de légitimité, se mêlent au troupeau, jouant la comédie aux ruminants qu’ils mènent paître ?

    Contrairement à Cioran, qui malgré sa maladie d’Alzheimer poussa sa vie jusqu’à une mort naturelle tardive, Caraco, en cohérence avec sa pensée, se pendit le sept septembre mil neuf cent soixante et onze, ayant différé son suicide jusqu’au lendemain de la mort de son père afin que ce dernier n’en souffre pas.

    *

    J'attends la mort avec impatience et j'en arrive à souhaiter le décès de mon Père, n'osant me détruire avant qu'il ne s'en aille. Son corps ne sera pas encore froid, que je ne serai plus au monde.  (Albert Caraco, Ma confession)

    *

    Amer, terme de marine : objet fixe et visible servant de point de repère sur une côte.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • Pour qui veut faire bruyamment la fête un soir et ne pas s’attirer de remontrances, la méthode consiste à afficher un petit mot pour les chers voisins avec prière d’excuser pour la gêne occasionnée, ce que fait ce samedi soir un couple de voisines à propos d’un anniversaire. Ce petit mot a valeur de feu vert. On a prévenu donc on peut y aller côté bruit.

    Je vais dormir encore une fois dans la petite chambre. Vers une heure et demie du matin, je tente de réintégrer ma vraie chambre mais dans le jardin, c’est encore rires et bla-bla. A cinq heures, je suis néanmoins debout et prends bientôt la route qui monte sévèrement à Bois-Guillaume.

    Le vide grenier se tient au parc des Cosmonautes sur des terrains de foute. La pluie menaçante a dissuadé certain(e)s de venir déballer. Je fais le tour des présent(e)s. De temps à autre tombe une ondée rapide. Des nuages noirs annonçant une drache durable, je rejoins ma voiture sans avoir trouvé quoi que ce soit.

    De retour à Rouen, je laisse passer la pluie et vais voir à quoi ressemble le premier vide grenier de la rue des Bons-Enfants. A pas grand-chose, quelques stands ici où là, à l’aspect désolé, ce n’est pas avec ça que les commerçants organisateurs ranimeront leurs boutiques.

    Des commerçants qui vont bien, ce sont les jeunes patrons de la boulangerie rue Saint-Nicolas où je m’arrête en rentrant. Une affiche manuscrite apprend à leur clientèle qu’ils sont en vacances pour quinze jours, laissant la boutique entre les mains des ouvriers et des vendeuses, pour tout « mécontentement », pour tout « désagrément », qu’on les prévienne à l’adresse mail qui suit, un appel à la délation bien de notre époque. Il y a quelques mois sur la vitrine de ces heureux vacanciers figurait l’affichette « Sacrifié mais pas résigné ».

    *

    Une soliloqueuse, rue Armand-Carrel : « D’abord, quand on sait parler toutes les langues, on se fait pas chier à Rouen. J’y habiterais pas. »

    *

    Quel que soit le bar, il y a un type au comptoir qui connaît tout sur tous les aéroports du monde bien qu’il n’ait jamais pris l’avion. 

    *

    Rien que de les entendre parler des travaux qu’ils font dans leur appartement, je suis épuisé.

    Partager via Gmail Yahoo!