• A l'enterrement d'Alain Bashung

                Pas pu aller à ceux de Brassens, Brel, Ferré, Gainsbourg ou Barbara, mais maintenant je suis libre et décide de faire le voyage à Paris pour l’enterrement de Bashung en ce jour de printemps deux mille neuf.

                Ce printemps est à la hauteur, le soleil se donne à fond dès le matin et en attendant l’heure, je m’installe confortablement dans l’un des fauteuils métalliques du jardin du Luxembourg pour y poursuivre la lecture du Journal de Samuel Pepys qui écrit le dix-neuf octobre mil six cent soixante-trois Voilà pour moi une bonne occasion de méditer sur la mort. Inévitable, soudaine parfois, elle n’affecte jamais autrui. Nobles, riches, bons, tous meurent de même sans que les vivants s’en soucient. Même une belle mort ne recueille pas de louanges bien considérables, si l’on songe à tous ceux qui l’ignoreront ou n’y prendront pas garde, ou même qui diront du mal du défunt.

                Vers treize heures, je rejoins Saint-Germain-des-Prés et son église de campagne. Le carrefour est en pagaille, policiers agités et conducteurs énervés. Sur les trottoirs, derrière les barrières métalliques, se massent gens de passage et gens venus pour cela.

                -Qu’est-ce que s’passe ?

                -C’est la messe d’enterrement de Bashung.

                -C’est vrai ?

                Oui, c’est vrai. Devant l’église, se grimpant les uns sur les autres, pointant leurs gros téléobjectifs, les nombreux photographes de presse guettent chaque tête connue. Des caméras de télévision tournent autour. Un écran géant retransmet la cérémonie. On en est au moment où les invité(e)s (si je puis dire) font un signe de croix plein d’eau bénite sur le cercueil couvert de fleurs blanches et de verdure.

                Je décide d’aller dès maintenant au Père Lachaise. Dans le métro, sur la vitre, j’avise un de ces conseils idiots comme en donne la Régie Autonome des Transports Parisiens « Préparer ma sortie facilite ma descente », en quoi je vois une note d’humour macabre.

                La descente au caveau est prévue pour quinze heures mais je sens bien qu’elle aura lieu plus tôt. J’entre dans le cimetière par la petite porte et me promène un peu dans le plus beau des jardins parisiens jusqu’à ce que je trouve les barrières cernant l’endroit où cela va se passer. Je constate avec plaisir qu’Alain Bashung va reposer, comme on dit, pas loin de Jim Morrison. Un escadron de gendarmerie est là, près du rond-point, écoutant les ordres de son chef. Je me joins à la cinquantaine de personnes ayant comme moi anticipé. D’autres arrivent régulièrement, la plupart entre trente et soixante ans, certaines avec des fleurs.

                De vieilles femmes sont là sur un banc, qui discutent :

                -Moi j’aime les beaux enterrements, ça me touche.

                -Ah oui, Salvador, y avait de la musique.

                -Et Dalida, elle est ici aussi ?

                -Ah non, Dalida, c’est pas ici, elle est là-bas, avec Gainsbourg.

                -L’abbé Pierre non plus il est pas ici

                -Ah, l’abbé Pierre, c’était un grand monsieur, et Sœur Emmanuelle aussi.

                Mon voisin raconte qu’il n’a jamais vu Bashung en concert mais qu’il l’a croisé à l’hôpital. Il venait d’apprendre la nouvelle. Il paraît que pendant la chimio il a continué la clope. Il savait qu’il était foutu.

                Là-bas sur un autre banc, Higelin est assis avec un de ses amis, près d’une femme à bouquet, se décoiffant régulièrement, comme il sait bien le faire.

                Une première voiture arrive chargée de gerbes et de couronnes dont l’une énorme au nom de l’Olympia. Un peu plus tard, c’est le fourgon funéraire, applaudi à son passage. A l’avant, assise entre les deux employés des pompes funèbres, se trouve la petite Poppée, derrière elle, sa mère devenue veuve.

                Peu de photographes à téléobjectifs sont là, deux trois porteurs de caméras leur tiennent compagnie. Les uns et les autres font une bien belle image du cercueil descendant l’allée bordée d’arbres déjà verts sur les épaules des porteurs. Des applaudissements saluent une sortie de scène des plus réussies.

                Le cercueil est descendu dans la fosse. Le maître de cérémonie, chauve, prononce quelques mots, il est question de recueillement. La famille et les proches jettent une fleur blanche. J’attends qu’Higelin jette la sienne, ce qu’il fait après l’avoir embrassée, et je quitte les lieux, croisant dans l’allée principale celles et ceux qui arrivent pour quinze heures. Je  rejoins à pied, par l’avenue Philippe-Auguste, celle qui n’a pu venir, à l’Ecole Boulle où elle étudie.

                Nous rentrons ensemble à Rouen. Dans le train, elle me demande de lui raconter l’enterrement de Bashung.

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