• A Montville, pour le vide-greniers

                Je ne trouve jamais le plus court chemin pour aller de Rouen à Montville. Ce dimanche matin, une nouvelle fois je m’égare. Je suis seul dans la voiture. Celle qui fait habituellement la copilote est exceptionnellement retenue à Paris. C’est donc contre moi que je fulmine.

                D’autres qui fulminent, ce sont les futur(e)s exposant(e)s de ce vide-greniers organisé par l’Union Musicale de Montville. Leurs voitures sont immobilisées en une longue file d’attente qui obstrue jusqu’à la rue principale du village, un bel exemple d’inorganisation. Je me gare avant l’embouteillage et traverse le terrain de golf miniature pour rejoindre l’endroit  où sont installés les premiers arrivés.

                L’un des organisateurs s’égosille au micro :

                -Mesdames et messieurs, avancez avec votre voiture jusqu’au hêtre.

                Qui aujourd’hui sait encore ce qu’est un hêtre ? Il corrige :

                -Jusqu’à l’arbre avec des feuilles rouges.

                J’achète un lot de bougies tout en considérant les exposants qui s’installent. La tension est vive. Une fille invective sa mère, dont c’est pourtant la fête. Deux voisins d’occasion sont prêts à en venir aux mains. Je suis moi-même un peu énervé, cela m’arrive parfois. Ce n’est pas la musique que diffuse l’Union Musicale de Montville qui peut adoucir les mœurs, en ce qui me concerne tout au moins : je déteste la Compagnie Créole.

                Je retrouve le sourire en apercevant par terre une image que je connais bien, celle de la religieuse d’Enigme, le tableau d’Alfred Agache, en illustration de couverture d’un ouvrage publié par le Musée des Beaux-Arts de Rouen en mil neuf cent quatre-vingt-quatorze et intitulé Guide des Collections (dix-huitième, dix-neuvième et vingtième siècles). Impossible de l’avoir à bas prix, la vendeuse n’est pas accommodante. Je l’obtiens pour le prix que m’en aurait fait un bouquiniste honnête : au tiers du neuf.

                J’y trouve avec plaisir la reproduction de plusieurs de mes tableaux préférés : Enigme bien sûr, Rigolette de Joseph-Désiré Court, Dans un café de Gustave Caillebotte, Les Enervés de Jumièges d’Evariste-Vital Luminais, Portrait de femme d’André Derain, d’autres encore. J’y trouve aussi des tableaux et des sculptures que je n’ai jamais remarqués lors de mes visites. Comment se fait-il que je n’aie pas vu dans les salles du Musée des Beaux-Arts de Rouen la jeune fille longiligne sculptée par Antoine Bourdelle sous le titre Le Fruit ? Serait-elle remisée dans la réserve ? Le premier dimanche de juin ou celui de juillet, j’irai m’en assurer.

                Figure également dans ce catalogue, la reproduction du Groupe des Six, peint par Jacques-Emile Blanche, avec en son centre Marcelle Meyer, honorée il y a peu par Alexandre Tharaud à l’Opéra de Rouen.

                Le commentaire indique que c’est à l’initiative de la pianiste qu’a été composé ce premier volet d’un triptyque en hommage à Erik Satie (les deux autres parties n’ont jamais été peintes). Il cite en conclusion le salut exalté de Max Jacob : Marcelle Meyer, estafette/ célèbre, ô musique, en tes fêtes/ le génie des jeunes prophètes !

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