• A Paris avec elle, pour Edouard Levé, Pierre Buraglio et Sarane Alexandrian

                Je l’attends devant la fontaine Saint-Michel ce mercredi à treize heures et dès que l’averse est finie elle arrive, ravie d’être en vacances et de pouvoir errer en ma compagnie, un peu inquiète cependant au sujet de notre rencontre prévue en fin d’après-midi avec Sarane Alexandrian.

                Nous remontons la rue Saint-André-des-Arts et comme il y a de la lumière dans la galerie Kamel Mennour, nous y faisons étape pour découvrir une exposition de photos qui rassemble, sous le titre Far from home, les travaux noir et blanc du Japonais Daido Moriyama et de l’Espagnol Alberto Garcia-Alix. Photos de la Chine, Pékin, pour l’Espagnol (fragments d’architecture, portions de gratte-ciel, poteaux et réseaux de télécommunications, arbres dénudés) et de l’Argentine, Buenos-Aires, pour le Japonais (animaux errants, enfants qui courent, couples enlacés, manège à tout vent, foule en délire).

                Après cette halte bien plaisante, nous repartons par la rue de Buci jusqu’à la rue de Seine. En attendant quatorze heures, nous devisons sur un banc de pierre en forme de livre ouvert près de Carolina, l’étonnante statue de petite fille nue de Marcello Tommasi, datée de mil neuf cent soixante-huit, square Gabriel Pierné.

                Une demoiselle nous ouvre la porte de la galerie Loevenbruck où l’on rend hommage à Edouard Levé avec un nouvel accrochage de ses photos chaque semaine. On en est à Séries reconstitutions : Vie quotidienne. Auparavant, il y a eu d’autres séries de reconstitutions : Rêves, Actualités et les connues Pornographie et Rugby (des acteurs et actrices en tenue de ville miment des scènes/clichés pornographiques ou rugbistiques).

                Déjà passée aussi la série Angoisse, ces photos terriblement angoissantes du village éponyme : « Cherchant son chemin sur un atlas routier, une amie remarque un village nommé Angoisse. L'atlas refermé, elle ne parvient pas à le retrouver. Un mois plus tard, je me rends dans un bureau de poste. Je retrouve Angoisse. Je m'y rends. J'y passe trois jours. Je photographie les lieux : l'entrée d'Angoisse, l'école d'Angoisse, les maisons d'Angoisse. Le terrain de sports d'Angoisse, la base de loisirs d'Angoisse, la discothèque d'Angoisse... Rien d'extraordinaire si ce n'est le nom. Ce village français est moyen : un archétype sans qualités comme en traversent souvent les routes départementales. Pourtant, à regarder de plus près ces rues vides, ces maisons aux façades muettes, ces abords neutres, il suffit de prononcer « Angoisse » pour que les choses se parent d'une inquiétante étrangeté. Le village entier obéirait-il à son nom comme une injonction ? »

                La demoiselle nous offre à chacun un dépliant de cartes postales des images d’Edouard Levé qui, le quinze octobre deux mille sept, après avoir remis à son éditeur P.O.L. le tapuscrit de son dernier livre Suicide évoquant celui d’un ami à lui, a fait de même à l’âge de quarante-deux ans.

                Par la rue de Verneuil (petite pause devant la maison de Gainsbourg toujours aussi joliment graffitée), nous atteignons la rue du Bac. Là, dans la galerie Jean Fournier se tient, sous le titre dans le fonds, l’exposition rétrospective des œuvres de Pierre Buraglio, proche du mouvement Supports/Surfaces.

                Je n’ose pousser la porte. Pierre Buraglio est là derrière, interrogé par la télévision Aime Six. L’une des responsables de la galerie nous fait entrer discrètement. Pendant que Pierre Buraglio parle à la jeune journaliste de ses années maoïstes, nous découvrons ses œuvres, celles datant de la période où il définissait son art par trois interdits (figurer, signifier, exprimer) et un impératif (subvertir). De là, ses assemblages, ses recyclages de matériaux non picturaux, ses détournements (un châssis de peinture devient une fenêtre ou un simulacre de tableau), son emploi d’objets trouvés (papiers d'emballage de Gauloises, tôles émaillées, et cætera), tout cela est bien intéressant.

                Pour aller voir ce que fait Buraglio maintenant, nous franchissons le Seine par le pont Royal et traversons le jardin des Tuileries (une pause photo devant Maman, l’immense araignée de Louise Bourgeois). Nous voici rue d’Alger dans la galerie Marwan Hoss qui présente les œuvres récentes sous le titre C’est alors que… C’est alors que Pierre Buraglio revient à la pratique du dessin et de la peinture. Elle et moi sommes d’accord, c’était mieux avant.

                J’ai rendez-vous avec Sarane Alexandrian à dix-sept heures. Il est temps de se rapprocher par métro de la porte Champerret où il nous accueille chaleureusement dans son bureau bibliothèque. Trop longtemps que je ne l’ai vu, il a été bien malade, et heureusement va beaucoup mieux. Toujours aussi volubile, il nous parle de ses derniers livres publiés, du prochain numéro spécial de Supérieur Inconnu consacré au rêve, m’interroge sur mes écritures du moment, se renseigne sur les activités de celle qui m’accompagne, évoque les diverses personnes qu’il connaît avec lesquelles je suis fâché : Matthieu Baumier (ancien pape de la Nouvelle Fiction), Paul Sanda (nouvel évêque des Rose-Croix), Marie-Laure Dagoit (n’en rajoutons pas), se désole avec moi de l’état de l’édition, de la librairie et de la littérature en général, trouve de quoi quand même être optimiste « C’est formidable », m’offre le catalogue richement illustré de la nouvelle exposition du Musée de l’Erotisme Japon Erotica, La Nouvelle Génération. C’est toujours un plaisir de s’entretenir avec lui.

                Désireux d’en savoir un peu plus sur Molinier, je lui demande s’il l’a bien connu. Connu non, il l’a juste rencontré quand André Breton a organisé l’exposition de ses peintures à Paris.

                -C’était un truand, un tenancier de bordel. Breton était vieillissant quand il s’est entiché de ses peintures. Ça ne vaut pas Bellmer, loin de là. Bellmer, lui, je l’ai bien connu. Et Unica Zurn aussi. C’était un dessinateur extraordinaire. Il est bien plus intéressant que Molinier. Plus pervers aussi.

                D’une formule définitive, il conclut : « Molinier, c’est le Bellmer du pauvre. »

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