• A Paris, Colonna, Buren et Chichin

                Quand on réserve sa place dans le train, on a parfois la chance d’avoir pour voisine une charmante personne ou le désagrément de côtoyer un fâcheux personnage. C’est cette dernière option que j’expérimente ce mercredi matin en chemin pour Paris, un beauf à la Cabu mâcheur de chouine-gomme. Je lis Trains étroitement surveillés de Bohumil Hrabal. Il lit Femme actuelle. Bizarre. Je jette un œil (comme on dit) de côté. Il en est à la page « Vos ados » dont le sujet est « Quatorze ans, elle fait déjà l’amour ». Je comprends tout à coup son intérêt pour la presse féminine. Bien avant que l’on arrive à Paris, il se lève et se porte à l’avant du train, comme beaucoup d’autres, pressé d’aller travailler, ne pouvant ou ne voulant pas perdre une minute.

                J’ai tout mon temps. Je sors du métro à Châtelet sous un ciel uniformément bleu. Le soleil bas éclaire les façades blanches. Paris est une ville magnifique, me dis-je encore une fois. Je traverse la Seine. Devant le Palais de Justice, moult Céhéresses s’agitent protégés par d’épais gilets pare-balles. Un camion cellulaire arrive à grande vitesse. A l’intérieur, sans doute Yvan Colonna, coupable ou innocent du meurtre du préfet Bonnet.

                Boulevard Saint-Michel et rue des Ecoles, j’explore les rayonnages installés sur les trottoirs de mes librairies habituelles, bien content d’en repartir chargé de quelques livres à prix très réduit dont L’Acte pour l’art d’Arnaud Labelle-Rojoux, étude exhaustive de ce qu’on appelle maintenant la performance, un ouvrage publié chez Al Dante. Encore des Céheresses, tout autour de la Sorbonne, ceux-là sont posés ici pour empêcher les étudiants d’entrer dans leur université.

                Assez d’achats de livres, je pique-nique dans le Jardin du Luxembourg, contemplant neuf jeunes filles et un jeune homme qui prennent un cours de tai-chi-chuan. Ici aussi, on a tout son temps.

                Je rejoins la rue Saint-André des Arts. Un café au Malongo puis je rentre au quarante-sept dans la cour de l’hôtel particulier où Kamel Mennour vient d’ouvrir sa nouvelle galerie. Fini le local exigu de la rue Mazarine, ça doit bien marcher pour lui. Une autre preuve, c’est que, pour inaugurer ce lieu, il expose Daniel Buren. Carrés, rayures, miroirs et transparences, parfait. Je n’aime pas la géométrie mais je fais exception pour Daniel Buren. L’exposition a pour nom C’était, c’est, ce sera (Travaux situés in situ). Conjointement, au sous-sol, une présentation des travaux de Damien Odoul sur le thème de la boxe. Pas pour moi. Ce qui me plaît toutefois, c’est que les cris et insultes des boxeurs à l’entraînement dans les vidéos souterraines parviennent au rez-de-chaussée et sonorisent Buren. « Pour toute information complémentaire, contacter Marie-Sophie Eiché et Emma-Charlotte Gobry-Laurencin », dit le communiqué de presse. Elles sont charmantes et quels noms vraiment, surtout la seconde.

                Avant qu’il ne soit dix-sept heures et que j’aille rejoindre celle qui m’amène à Paris certains mercredis, je repasse rive droite, toujours à pied et sous le soleil, pour y visiter trois galeries inconnues de moi jusqu’à ce jour.

                La galerie Nelson-Freeman, rue Quincampoix, expose le photographe Eric Poitevin : végétaux, animaux et portraits. Je m’arrête surtout devant trois images de cerf mort posé sur un socle blanc ensanglanté : efficace.

                Rue Barbette, dans l’Hôtel Missa et rue de la Perle, dans la galerie Libéral-Bruant, c’est hommage à Dado, bombardé enfant dans les Balkans. Je n’aime pas sa peinture. En revanche, ses sculptures, assemblages de cadavres d’animaux desséchés, de têtes de mort et de têtes de baigneur en celluloïd, sont bien intéressantes.

                Encore le temps de parcourir Picasso cubiste à l’Hôtel Salé et de fouiner dans les rayons de la librairie Mona Lisait où l’on diffuse Fip. Il est seize heures. C’est les informations. J’apprends la mort de Fred Chichin, moitié des Rita Mitsuko. Cette nouvelle m’attriste. Je me souviens du concert des Rita au bout du quai, lors de la dernière Armada rouennaise. C’est de cela que je lui parle d’abord quand je la retrouve.

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