• A propos d’Ernest Martin, médecin et Maire de Louviers puis Premier Adjoint au temps de l’autogestion, mort samedi

    J’ai déjà évoqué le Docteur Martin, Ernest pour les intimes, et raconté ce que je lui dois personnellement. J’y reviens puisqu’il est mort, nouvelle qui m’attriste fort.

    Devenu Maire de Louviers sans l’avoir voulu en mil neuf cent soixante-cinq (la Gauche en péril était allé le chercher entre les deux tours), il le restera jusqu’en soixante-neuf. J’étais au lycée à la fin de cette période. Mon meilleur copain était le fils d’un de ses Adjoints, Louis Vallée, qui me prenait au bout de la route de Pacy pour m’emmener en cours chaque jour et même chose au retour. Dans la voiture, nous parlions de la politique locale, de ce nommé Martin, médecin, qui un jour où j’étais cloué au lit, et aucun autre médecin joignable, fut appelé par mes parents, n’arrivant qu’à onze heures du soir. Le Diable lui-même n’aurait pas fait plus forte impression sur ma famille, n’avait-il pas en Mai Soixante-Huit fait débrayer toutes les usines, allant de l’une à l’autre à la tête d’un imposant cortège, vêtu de noire anarchie et ceint de son écharpe tricolore.

    L’élection suivante lui fut fatale. La revanche vint en mil neuf cent soixante-dix-sept où fut gagnante le liste du Comité d’Action de Gauche, le Cag, qui tenait ses réunions au Chalet, rue Guy-de-Maupassant (ce chalet, où je ne suis allé qu’une fois, appartenait au Docteur qui y organisait autrefois des réunions du genre alcooliques anonymes, il brûlera plus tard). Dans ce Cag arrivé aux commandes de la ville, on trouvait tout ce qui faisait la Gauche alternative et autogestionnaire des années soixante-dix, de la Céheffedété au Péhessu en passant par des membres de la communauté anarchiste L’En-Dehors cachée dans la forêt de Saint-Lubin, ainsi que des rattachés à rien. Cette fois, Ernest Martin était le Premier Adjoint d’Henri Fromentin, l’imprimeur, ancien Résistant. Rien de plus dissemblable que ce duo : Martin aux cheveux longs mal peignés, Fromentin à la stricte brosse déjà blanchissante. Il était question de « rendre le pouvoir aux citoyens » comme l’avaient promis pendant la campagne électorale les murs couverts d’affiches sérigraphiées. Ce doit être à cette époque que la Quatre Ailes d’Ernest fut couverte de graffitis injurieux qu’il ne fit pas effacer tout de suite.

    J’étais alors de retour à Louviers après les études à l’Ecole Normale d’Evreux et quelques années d’instituteur en campagne profonde. Habitant rue de l’Hôtel de Ville, à deux pas de la Mairie donc, j’ai assisté quelquefois aux réunions plénières organisées la veille des Conseils Municipaux. Tout un chacun pouvait prendre la parole, mais je m’y emmerdais, la gestion d’une ville ne m’intéressant absolument pas. Je fréquentais davantage le Service Information où officiait l’une des sept enfants d’Ernest, Isabelle, que j’aimais bien, et bien sûr assistais aux nombreux concerts gratuits.

    Aujourd’hui, c’en est fait de l’autogestion. La Céheffedété est maintenant un syndicat toujours prêt à faire plaisir aux patrons, le Péhessu a disparu depuis longtemps, lorsque je tape sur Gougueule Saint-Lubin (L’En-Dehors) je trouve pour seule réponse « Conseil pour les affaires et la gestion » et Franck Martin, fils d’Ernest, dirige Louviers de main de maître.

    *

    Quel étonnement d’apprendre qu’Ernest Martin, bientôt quatre-vingt-cinq ans, est mort à la Mapa, rue Saint-Jean, cette Maison de Retraite où est mort mon père qui s’y était volontairement replié, ce lieu mortifère d’où à chaque visite je repartais totalement déprimé.

    L’imaginer là, lui cet homme si vivant et indépendant, dans une chambre ressemblant à celle de ces hôtels bas de gamme de zone commerciale, dans ces couloirs où est diffusée en permanence une radio dévidant des chansons niaises, dans ce réfectoire plein de vieilles et de vieux dont certain(e)s délirent en permanence.

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    Que serais-je devenu si le Docteur Martin ne m’avait pas fait le certificat de complaisance qui m’a permis d’être exempté à vingt-trois ans du service militaire obligatoire, si j’avais dû supporter les deux ans de prison auxquels étaient condamnés les insoumis dont je devais faire partie et perdu mon travail d’enseignant, je me le demande.

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