• Alain Bashung en concert pour l'Armada de Rouen

                Samedi matin, un peu avant dix heures, nous descendons elle et moi l’escalier qui mène au quai rive droite. Sur l’autre rive, le nombre d’autocars garés nous donne une idée de la masse humaine dans laquelle il va falloir se glisser pour parvenir auprès des voiliers. Le premier qui nous arrête est le Cuanhtemoc mexicain avec ses marins d’opérette qui dansent sur le pont, pas du genre à faire la guerre ceux-là.

                Pour nous dégager un peu de la foule, nous optons pour le bout du quai afin d’y visiter plus facilement quelques bateaux militaires et civils, ce qui est fait avec le Stad Amsterdam, le Mircea roumain, l’Antigua hollandais (jusqu’à l’intérieur) et le Dar Mlodziezy polonais.

                Sortant d’un de ces bateaux, nous constatons que le pont levant n’est plus levé et qu’il fonctionne donc bien dans les deux sens.

                Près des voiliers visités sont stationnés d’affreux navires de guerre tout à fait modernes avec canon prêt à l’emploi et militaires en arme. Je suis stupéfait du nombre de visiteuses et visiteurs attendant pour monter sur ces engins qui n’ont d’autre usage que de les tuer, elles et eux, ou leurs semblables. Sur le quai, près à ces bateaux de mort, se trouvent les stands de l’Eglise catholique, de la Cégété, de l’Humanité, de Greenpeace et de Vie et Espoir.

                Revenant vers le centre de Rouen, nous croisons un défilé éclectique protégé par les Céhéresses. On y trouve une fanfare de cornemuses, des officiel(le)s (comme on dit) parmi lesquel(le)s je ne reconnais qu’Hélène Klein (adjointe de la maire de Rouen), des échassiers clownesques et des marins italiens portant leur drapeau à l’horizontale. Les mœurs militaires sont décidément bien mystérieuses.

                Un immense panneau publicitaire du port de Rouen célèbre « Rouen, capitale de la Normandie » annexant pour l’occasion le Mont-Saint-Michel, les Impressionnistes, Honfleur et même Paris. Rouen, capitale de la Normandie, première nouvelle et qui va bien faire sourire les habitants de Caen et du Havre. Une ville même pas capable de construire une médiathèque peut-elle être autre chose que la capitale d’une demi-région ?

                Il est temps de rentrer pour prendre un apéritif tranquille à deux dans le jardin, pas question de retourner dans la marée humaine avant le soir.

                Vers dix-huit heures, nous y sommes à nouveau. Un arrêt devant la scène de l’agglo où se donnent en alternance les musiques des groupes Nacka Latin et Combo Conga’sauce. Les premiers sont suédois et cela se sent à leur manque de rythme, les seconds entraînent quelques couples mixtes dans la salsa. Nous nous retirons sur la pelouse pour un pique-nique sommaire et ensuite rejoignons la grande scène installée par la région de Haute-Normandie. Ce soir, Bashung est au programme.

                Hélas avant lui, il faut entendre des publicités pour les transports régionaux puis Radiosofa, groupe local, à la musique lourde et aux textes légers. Le chanteur a une voix qui en rappelle bien d’autres et joue avec des ondes émises par des antennes. La technologie vient à son secours en quelque sorte.

                Des chauffeurs de scène aux plaisanteries lourdingues et à l’improvisation laborieuse prennent la suite. Ils en arrivent à faire applaudir la Croix-Rouge et la Protection Civile (pourquoi pas les Céhéresses ?) quand Alain entre en scène mais ce n’est pas le bon, c’est Le Vern, président de la région, qui se sentant peu désiré expédie son discours.

                Une mongolfière aux couleurs du département de l’Eure traverse le ciel. On attend maintenant celui pour lequel elle et moi sommes là, avec plein d’autres, que des caméras, autre innovation fâcheuse, filment et montrent sur écran géant. Quatre-vingt-dix pour cent des spectateurs et spectatrices filmé(e)s se transforment en crétins et crétines faisant coucou à la caméra

                Il arrive, vêtu de noir, lunettes noires et petit chapeau noir vissé sur la tête pour cacher ce qu’il ne peut montrer, dû aux effets secondaires du traitement contre la maladie. Cela rend triste de le voir ainsi, tellement différent des dernières fois où je l’ai applaudi (à Rouen au Théâtre des Arts programmé par le Hangar Vingt-Trois et à Evreux au Rock dans tous ses Etats) mais dès qu’il commence à chanter, c’est bien vivant et en pleine forme qu’il apparaît. Je serre dans mes bras celle qui m’accompagne et me débrouille pour qu’elle en voie le plus possible malgré la présence devant de plus grands qu’elle.

                Bashung explore une partie de son dernier cédé, puis propose un échantillon de son répertoire ancien de Madame rêve à Vertige de l’amour, parfois s’accompagnant à la guitare, parfois jouant de l’harmonica, soutenu par quatre musiciens performants dont Yan Péchin, guitariste déjà vu et entendu avec Thiéfaine et Higelin. Il revient pour un rappel de trois ou quatre chansons puis salue le public. Il se dirige vers le fond de scène côté cour. Un membre de son équipe de tournée l’aide à quitter les lieux en lui donnant le bras.

                Au bord de la Seine, on regarde le feu d’artifice puis à pied nous prenons le chemin du retour, arrivant devant la Cathédrale juste à temps pour une nouvelle projection du spectacle De Monet aux pixels, vu et revu mais toujours bienvenu

                Elle est comme moi ravie de cette soirée et attristée en même temps, mais on se dit que le crabe sera moins fort que Bashung, et on croise les doigts pour le revoir un jour sur scène.

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