• Alceste à bicyclette entre La Petite Auberge (Rouen) et la Batelière (Caumont près La Bouille)

    Samedi, un peu avant onze heures, à peine retardée par la neige, arrive celle qui me rejoint le ouiquennede quand elle est en France et qui va bientôt repartir à New York pour deux mois. Nous avons réservé une table à La Petite Auberge, rue Martainville, la demandant tranquille. Aussi n’est-ce pas ravis que nous voyons s’installer une famille à bébé à proximité après le pliage de la poussette qui résistait au grand-père par un des serveurs (de père point). Je demande à la nouvelle serveuse froide et efficace qui remplace la femme chaleureuse et gouailleuse que j’appréciais s’il n’est pas possible d’obtenir une autre table dans la deuxième salle. Un groupe de dix-huit dont des enfants y est attendu. Je lui dis qu’on nous avait promis une table tranquille. Elle me répond que quand on n’aime pas les gens on reste chez soi on ne vient pas au restaurant et que l’enfant n’est pas bruyant. « Pour l’instant oui, mais ça ne va pas durer », lui réponds-je.

    On se calme, surtout moi, je ne dis pas à cette serveuse que lorsqu’on aime les gens on ne leur impose pas son braillard au restaurant. Au menu, nous avons escargots, rillettes de saumon et maquereau, confit de canard pommes sarladaises, fromages, salade et crèmes brûlées, tout cela accompagné d’un bordeaux de la cuvée du Père Tranquille. Tranquille, notre déjeuner ne l’est pas jusqu’au bout, le bébé se met à hurler. Sa mère s’en saisit et disparaît avec lui. Les grands-parents et le couple du même âge qui les accompagne continuent à manger en parlant de leur réussite sociale. « Plus je prends cher, plus j’ai de clients », dit l’un. Pour nous, une sieste s’impose.

    Le soir venu, nous passons à la Boulange de la Croix de Pierre afin de nous procurer deux tartelettes au citron et, comme le temps est doux et sec, je lui propose de rejoindre Saint-Sever à pied pour y voir à l’Ugécé Alceste à bicyclette de Philippe Le Guay. Nous passons la Seine et arrivons dans un grand déploiement de véhicules de pompiers. Il nous faut marcher dans l’eau pour atteindre le cinéma. Le guichetier nous apprend qu’une explosion suivie d’un incendie vient d’avoir lieu chez le serrurier de la galerie marchande.

    Il est trop tôt pour le film. On ressort par une porte de secours. Le cordial patron du Palais de la Bière nous accueille bien qu’il soit en train de fermer. On y boit un thé derrière les rideaux baissés pendant que les employées nettoient les lieux. J’entends l’une d’elles dire « On va finir par y arriver à la fin du monde, petit à petit, morceau par morceau ».

    Pour rejoindre le cinéma, il nous faut passer par la Mairie de Quartier car les pompiers s’affairent à réparer les dégâts de l’eau. Il y a beaucoup de monde dans la salle Quatre. « Que des vieux », se plaint un quadragénaire qui doit se sentir jeune. Il y aussi quelques vrais jeunes, à commencer par celle qui me tient la main. Nous passons un bon moment sur l’île de Ré avec ces deux comédiens qui s’écharpent, autant pour jouer Alceste que dans la vie. Cela fait du bien d’entendre le texte de Molière, et c’est dommage d’être obligé pour cela d’aller au cinéma, dans cette ville de Rouen où les théâtres préfèrent programmer des spectacles de clounes plutôt que des textes d’auteurs dramatiques.

    Le Samu Social est à la sortie du centre commercial, s’occupant d’un groupe de jeunes dont l’un demande à celle qui m’accompagne un petit bout de carton qu’elle n’a pas et dont on devine l’usage. Par les rues vides, nous regagnons la maison et le lendemain matin, pour notre dernier dimanche ensemble avant longtemps, malgré la pluie, nous partons en voiture pour La Bouille.

    La pluie s’arrête à notre arrivée. Je me gare devant la maison natale d’Hector Malot. Nous nous promenons au bord de la Seine et dans les rues du bourg aux belles maisons dont un certain nombre sont à vendre. Tous les restaurants sont ouverts mais pas un café. Nous reprenons la voiture et trouvons, sitôt après avoir franchi la frontière avec l’Eure, un restaurant qui fait également bar, La Batelière, sis à Caumont

    Elle y prend un thé pas très bon et moi un café à l’ancienne cependant qu’en cuisine on s’affaire gaiement :

    -Chef, je l’ai dit à ma mère que vous la trouvez mignonne.

    -C’est que la femme, moi, je l’aime coquette.

    Nous parlons de nous, de notre présent compliqué.

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