• Au marché déserté des livres et de la brocante, boulevard Clemenceau

    Très longtemps que je ne suis pas allé au marché des livres et de la brocante sis boulevard Clemenceau depuis que la place des Emmurées est en travaux. Comme ce jeudi matin je vais voir si ma voiture n’a pas souffert de la tempête, je fais le crochet, m’attendant à n’y voir guère de marchand(e)s.

    C’est pire que je n’imaginais, une seule est présente, pour qui le boulevard est interdit à la circulation : la vieille vendeuse de littérature populaire à qui celle qui était avec moi ce mercredi après-midi pour un supplément de Noël (truite fumée, petits fours, fromages, tartes au citron, gewurztraminer) avait acheté autrefois, quand elle était en classe préparatoire au lycée Jeanne-d’Arc, une trentaine d’Harlequin pour un exposé en forme de performance.

    Pourtant, je pensais quand même trouver là Joseph Trotta qui désencombre depuis un certain temps son magasin où l’on ne peut plus entrer en vendant sa bonne littérature sur les marchés et celle que l’on reconnaît à son grand rire, pourvoyeuse à la fois de livres de qualité et de tout venant, qui une fois nous avait bien fait rire, celle qui me tenait la main et moi, en demandant à sa fille :

    -Passe-moi la caisse d’amour, mon cœur.

    Il s’agissait évidemment des Harlequin. Je vais voir la courageuse dame.

    -Vous êtes bien seule ce matin.

    -Oui, les autres devaient venir mais ils sont pas là.

    Je lui demande comment c’était les autres jeudis. « Pas grand monde, me dit-elle, heureusement qu’on doit rejoindre les Emmurées le quinze mars. »

    Effectivement, sinon ce marché finirait par disparaître sans que nul ne s’en émeuve et peut-être même s’en aperçoive, comme a disparu place Lelieur le marché bio.

    *

    Rouen, rue des Bons-Enfants, ce jeudi matin, une quadragénaire au louque de garçonne et son élégante vieille mère à chapeau, toute vêtue de bleu ciel, qui s’attarde devant chaque vitrine :

    -Allez, viens maman, on y va maintenant, il pleut.

    -Mais vas-y toi, ne m’attends pas, je pense que tu as tes clés, ne m’attends pas, vas-y.

    *

    Au Socrate : filles qui se montrent les unes aux autres leurs textos d’amour. Deux garçons aussi.

    Le premier a une copine mais est sorti (comme on dit) avec une autre fille qui a elle-même un copain, il lit à l’autre ce que lui a écrit cette fille :

    -A me fait, j’ai passé une super soirée avec toi.

    -A me fait, t’es juste parfait.

    -A me fait, je t’aime.

    Le deuxième :

    -Fais gaffe qu’a te sorte pas, je vais quitter Romain pour toi. Tu peux pas te mettre avec une fille comme ça.

    *

    Le comble de l’optimisme commercial : espérer vendre des bonnets de Noël le lendemain de Noël.

    Partager via Gmail Yahoo!