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Au Tribunal de Grande Instance de Rouen, pour un jeune couple azéri
Alerte urgente du Réseau Education Sans Frontières ce vendredi matin, rendez-vous à dix heures trente au Tribunal de Grande Instance de Rouen pour soutenir un jeune couple azéri devant le Juge des Libertés et de la Détention. Je me présente à dix heures quinze au Palais de Justice où il s’agit d’abord de franchir le portail de détection. Poches vidées, je fais sonner l’alarme. Ce sont mes chaussures, m’explique la jolie fliquette qui me masse néanmoins les chevilles afin de s’assurer que je ne cache pas une arme dans mes chaussettes. Je parcours ensuite le labyrinthe qui mène au bureau du juge.
Nous sommes huit du Réseau à l’arrivée. Les convoqués sont là, surveillés par quatre policiers. Derrière un paravent, ils s’entretiennent avec leur avocat en qui nous reconnaissons le plus nul de la place de Rouen, commis d’office. Un interprète sert de truchement. C’est un jeune couple avec deux enfants (une fillette de quatre ans scolarisée et un bébé de trois mois né en France). Ils habitent un village du Jura où ils ont été arrêtés puis menés au Centre de Rétention de Oissel, une technique courante, salement efficace, du ministre de l’Immigration et de l’Identité Nationale pour couper les poursuivis de tout soutien. Leur avocate est à Dôle et ne peut être là.
La petite fille s’échappe et vient nous voir. Elle parle très bien le français. L’un de nous va lui acheter un livret de coloriage. L’attente est longue.
Le juge sort enfin de son bureau. Il constate qu’ « il y a du monde », envisage de trouver un lieu plus vaste, y renonce et nous voici tous en place. Les retenus sont assis avec leurs enfants, l’avocat commis d’office et l’interprète. Les policiers les encadrant restent debout et nous tous aussi sur le côté. Une greffière face à nous prend en note. L’écran de son ordinateur est tourné vers le juge qui donne d’emblée la parole au jeune homme.
Celui-ci explique qu’il a quitté l’Azerbaïdjan pour des raisons politiques, qu’il sera mis en prison s’il y retourne. Il indique qu’il paie un loyer, qu’il a une voiture. Le juge lui répond qu’il n’est là que pour apprécier la régularité de la procédure.
Il donne la parole à la jeune femme. C’est elle qui marque des points. En pleurs, elle explique qu’elle ne mange plus depuis l’arrestation, qu’elle n’a plus de lait, que son bébé ne mange donc plus, que sa petite fille souffre aussi de la détention.
C’est au tour de l’avocat. Il s’appuie sur la convention de New York relative à la protection des enfants pour demander la libération. Pas trop mal pour un avocat aussi inefficace d’habitude. Le pire vient ensuite. Il affirme que ses clients seront d’accord pour rejoindre leur pays d’origine et qu’il est donc bien venu de les libérer afin qu’ils préparent leur départ. Un avocat d’étrangers en situation irrégulière (comme on dit chez Hortefeux) qui prône le retour au pays, c’est fort, surtout si cet avocat est lui-même issu de l’immigration. Même le juge en est gêné.
On le sent hésitant, bien embêté de ne pas avoir de moyen juridique pour agir en faveur de cette famille. Il réfléchit longtemps. Finit par demander une expertise médicale indépendante pour les enfants et leur mère. Il statuera en fonction du résultat ce samedi en début d’après-midi.
Il est près de treize heures. Les quatre policiers de l’escorte nous laissent cependant parler longuement avec ceux qu’ils doivent raccompagner à Oissel. Des numéros de téléphone sont échangés, des visites au Centre de Rétention sont organisées.
Libérés ou non, ce jeune couple et ses enfants en bas âge seront lundi matin devant le Tribunal Administratif de Rouen qui jugera sur le fond. En présence de leur avocate ou bien avec un(e) autre qui assure, trouvé(e) par le Réseau. Ce même matin, une lycéenne chinoise de La Courneuve, emprisonnée elle aussi à Oissel, verra son sort se jouer. Je ne pourrai y être. Je me rattraperai mardi matin où une lycéenne et un lycéen de l’agglomération rouennaise sont à leur tour convoqués par ce même tribunal.
-Je n’ai pas encore vu que la France est le pays des droits de l’homme, nous dit le jeune Azéri, avant d’être emmené par les policiers.
Cette légende a décidément la vie dure. Je connais même des Français(es) pour y croire. La France n’est pas le pays des droits de l’homme. La France est le pays de la déclaration des droits de l’homme. Ce n’est pas la même chose.