• Au vernissage des Designer’s Days de l’Ecole Boulle

    Vendredi, en fin d’après-midi, je vais à pied de Beaubourg à l’Espace Commines (rue du même nom). Elle n’est pas encore là quand j’arrive un peu avant dix-huit heures, occupée par le travail (celui d’après les études). Ses semblables sont présent(e)s, prêt(e)s à parler de leurs projets ici présentés, réalisés en vue du diplôme récemment reçu. Sûr que je ne serais pas venu si ce n’était pour elle et je suis content d’être là car c’est pour elle.

    C’est la première fois que l’Ecole Boulle, à l’initiative des éléves, participe aux Designer’s Days. Cela montre que lorsqu’on est submergé par le travail scolaire, on peut en faire encore plus, et volontairement, sans que quiconque vous ait demandé quoi que ce soit. Chaque élève a son panneau d’explication et sa table à maquettes. Au centre de l’Espace se trouve le bar tenu par des promoteurs du vin de Loire, mécènes de l’évènement.

    Elle arrive. Après avoir sauté dans mes bras, elle m’explique un peu mieux. Nous faisons le tour des projets, parmi lesquels certains que je trouve effrayants. Ce désir de faire le monde meilleur frôle parfois le meilleur des mondes. Le commentaire souvent me hérisse le poil, ainsi quand il est question du nourrissage des vieilles et des vieux : « Une fois par semaine, les personnes âgées d’un même pôle se rendent chez un bénéficiaire dépendant afin de prendre leurs repas ensemble, fédérés par l’employée de mairie. » (de quoi se flinguer).

    Un Boullien s’intéresse à « la mise en tension du corps dans le contexte du travail ». Il a inventé une sorte de boudin souple. Ce boudin fait portemanteau en hauteur et permet au travailleur de s’étirer le matin lorsqu’il accroche son vêtement. Il fait ensuite cercle « pour plus d’efficacité » entre les ventres de deux collègues lors d’une micro réunion puis on le retrouve passé derrière le dos de la travailleuse pour un moment de relâchement dynamique. Il sert aussi d’appui aux avant-bras sur le bureau. Je ne vois pas qui pourra acheter ça maintenant que l’Union Soviétique n’existe plus.

    Une Boullienne a quant à elle découvert que « la prison est un milieu fermé qui soumet le détenu à de nombreuses contraintes ». Heureusement, le bar est ouvert.

    Elle et moi, on commence par le vin rouge. Des élèves filles d’autres sections font les serveuses de petits fours, lesquels sont confectionnés à base d’un vrai cantal. Rien de mieux que le terroir pour mettre un peu d’humain dans ce monde. Je fais la rencontre de son père.

    Le micro joue des tours au moment des discours. Cela n’empêche pas Christophe Hespel, le proviseur, de se réjouir de la première participation de son Ecole aux Designer’s Days grâce à une promotion exceptionnelle, celle de l’an prochain le sera aussi, dit-il. Celles et ceux qui en font partie devront organiser la deuxième participation. Elles et eux peuvent remercier leurs camarades d’avoir montré qu’on pouvait encore travailler après le diplôme.

    Je ne sais plus à combien de verres de vin rouge j’en suis quand je change pour le blanc moelleux, malheureusement je dois partir avant qu’apparaissent les macarons. Nous nous disons au revoir et à bientôt, pour les vacances.

    Une voiture de luxe marquée Parcours Designer’s Days passe rue Commines mais pour moi c’est le métro Filles du Calvaire.

    *

    Dans le train du retour, je lis Henry Miller ou le diable en liberté d’Erica Jong en Livre de Poche. Première rencontre entre elle et lui : Il y eut le bruit mat d’un martèlement caoutchouté venant d’un vestibule voisin, et Henry apparut, voûté sur un ambulateur en aluminium dont il semblait user comme d’un bouclier.

    -Salut ! dit-il de sa voix pleine des graviers qu’y roulait l’accent du « p’tit gars de Brooklyn ».

    Il était vêtu d’un pyjama et d’un vieux peignoir de bain, chaussé de pantoufles en tapisserie et muni d’un appareil de correction auditive. Image d’un vieil homme, mais aux yeux jeunes.

    *

    Se multiplient à Rouen les sacs verts destinés à recevoir les déchets de la rue. Le parvis de la Cathédrale en est maintenant cerné. « Rouen ville propre » est-il écrit sur chaque sac. Plus cette ville est sale, plus on la clame propre.

    Toujours aussi inesthétiques ces réceptacles, trop verts et au support mastoc, l’équivalent à Paris passe inaperçu.

    Le sac plastique rouennais ne s’arrange pas quand le passant y jette ses déchets. Il ressemble alors à un préservatif usagé.

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