• Aux enchères érotiques de l’Hôtel des Ventes de la Seine

    Sur le conseil d’une lectrice qui trouve que je suis excité les soirs de spectacle à l’Opéra de Rouen et que ça me fait écrire des choses que je ne devrais pas (« je souhaite vous informer de la tenue d'une vente aux enchères érotique près de la place St Marc le 27 avril prochain en espérant que vous y trouverez des objets pour vous calmer avant les concerts »), j’entre ce dimanche à quatorze heures trente dans l’Hôtel des Ventes de la Seine, au quarante de la rue Victor-Hugo où était antérieurement un brocanteur.

    Guillaume Cheroyan, commissaire priseur, y disperse la collection d’un seul homme, où l’on trouve plusieurs jeux de cartes avec lesquels on ne peut pas s’amuser tout seul, un réveil et des statuettes de Manara, des pin up de Berthet, des cartes postales de Serpieri, plusieurs lots de livres sur Marilyn Monroe, des calendriers Pirelli, des livres illustrés par Aslan dont certains de la Bibliothèque Rose (là où se niche le vice), des livres des Editions des Nymphes Perverses, Péchés de jeunesse, Le diable sous les jupes, des volumes des Editions du Styx série Fruits Verts Les oies blanches, La première fois, En cueillant la noisette, trente-deux numéros du Journal d’une chic fille, un gant de toilette illustré d’une pin up d’Aslan, une paire de poignées de portes de maison close de forme phallique, des gouaches de femmes nues de Michel Gourdon, la collection complète de Lui, deux eaux-fortes Sexe féminin d’Henri Maccheroni éditées par la Galerie Duchoze à Rouen, les quinze volumes de l’Encyclopédie de la bande dessinée érotique des Editions Rombaldi, deux statuettes de moine et de nonne à soutane amovible datant du dix-neuvième siècle, des lots de livres où se cachent deux David Hamilton et un Irina Ionesco, les Poésies érotiques de Pierre Louÿs prétendument éditées à Chihuahua au Mexique en mil neuf cent quarante-cinq.

    Nous ne sommes qu’une quinzaine sur place, hommes d’un certain âge seuls ou en couple, marchands, collectionneurs ou curieux (mon informatrice n’a pas cru bon d’être présente), mais l’officiant annonce que soixante-quatorze internautes suivent également la vente « Le live c’est parfait pour ceux qui veulent rester discrets, il n’y a pas que des hommes qui achètent ».

    Ce sont surtout ces acheteuses et acheteurs à distance qui emportent les lots que nous présente le jeune Arthur. Un manutentionnaire âgé et deux secrétaires femmes parfois rejointes par un autre homme également manutentionnaire sont aussi à la manœuvre. Ce dernier se voit reprocher l’absence du lot cent neuf. Il le cherche fébrilement tandis qu’on passe à la suite. Dans la salle, les lots de photos ont du succès, achetés cher alors qu’on trouve mieux et gratuit via Internet « Cinquante-cinq à l’homme à casquette dans le fond ».

    - Je n’ai pas encore fait d’adjudication à soixante-neuf euros, regrette le commissaire priseur.

    Certains lots sont retirés faute d’acheteur au prix demandé. C’est le cas des quinze volumes de l’Encyclopédie de la bande dessinée érotique proposée à cent vingt euros pour laquelle je me suis retenu de faire une offre.

    -Le lot cent neuf, on l’a photographié donc on l’avait, constate le commissaire qui mime le geste du voleur.

    Un orage de grêle se déclenche brutalement. Les grêlons tambourinent sur la verrière. On n’entend plus rien mais la vente se poursuit. Le calme revenu, un acheteur au téléphone emporte le lot contenant les deux Hamilton. Il sera déçu quand il découvrira qu’on ne lui a pas dit que ces volumes ont perdu leur jaquette. De moins en moins d’ordres arrivent via Internet. Malgré les efforts du jeune Arthur, les deux eaux-fortes de Maccheroni, d’une totale obscénité (« le roi de la vulve », commente le commissaire) n’intéressent personne.

    -Ils préfèrent les albums de photos, c’est plus discret, explique notre officiant à ses secrétaires.

    Il est plus de dix-huit heures. On arrive au bout des lots. Les deux poignées de porte en forme de bite sont adjugées à huit cent soixante euros.

    -La vacation est terminée, annonce l’homme au micro.

    Les acheteurs vont signer leur chèque. Je rentre sans rien, passant devant l’église Saint-Maclou au moment où les pompiers y arrivent. Encore une fois, une gargouille de l’édifice récemment restauré s’est écrasée sur le pavé.

    *

    Quant à être calme, je l’étais à l’Opéra de Rouen le soir incriminé, mais il semble que certains m’aient lu de travers. Ce sont eux qui auraient dû venir à cette vente (après avoir laissé leurs instruments de musique au vestiaire).

    *

    Dimanche matin, au vide grenier de la Calende sinistré par le mauvais temps.

    Un homme : « C’est combien la petite chaise là-bas ?

    La vendeuse : « La petite chaise ? Elle est vendue. Mais si ça continue, quand la dame elle reviendra, j’vais lui rendre ses dix euros, et puis la revendre plus cher parce qu’on n’arrête pas de me la demander. »

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