• Bois-Guillaume, ce qu'on y trouve sur les terrains de foute

    Dimanche matin, aux aurores, c’est seul que je vais à Bois-Guillaume pour le vide-grenier qui se tient sur le terrain de foute et s’il est un lieu dans une commune dont j’oublie la localisation, c’est bien le terrain de foute. J’aperçois un quidam. Je m’arrête, baisse la vitre côté passager, demande où. L’homme d’origine arabe ne sait pas, mais on lui a dit d’aller tout droit par là.

    -Tu m’emmènes ? me demande-t-il avant que j’aie le temps de faire ma proposition.

    Un sens unique nous empêche d’aller tout droit. Nous voilà tous les deux dans un labyrinthe pavillonnaire. Quand nous en émergeons, je m’apprête à tourner à droite mais il me remet dans le gauche chemin. Le terrain de foute est au bout.

    -Je vais vous laisser là, lui dis-je, je préfère me garer un peu plus loin pour repartir facilement.

    S’il est une chose que je déteste, c’est de rester bloqué quelque part.

    Ce sont les sportifs qui organisent ce déballage. De grandes allées bien alignées accueillent quatre cents exposants sur deux terrains reliés par un chemin pentu. Côté acheteurs, il y a affluence et donc concurrence. Je repère deux redoutables convoiteurs de livres que je m’efforce de devancer. Avec un certain succès, puisque bientôt j’ai dans mon sac nombre de livres et de revues, parmi lesquels Claus Wickrath, recueil de photos d’icelui publié chez Taschen, Le Jardin parfumé (Manuel d’érotologie arabe du Cheikh Nefzaoui) publié chez Philippe Picquier, La Luxure (Fragments d’un autoportrait en luxurieux) de Michel Polac publié chez Textuel (je crois que c’est ce livre qui lui a valu le même genre d’ennuis qu’à Cohn-Bendit, à moins que ce ne soit son Journal), Un an de Jean Echenoz aux Editions de Minuit, Le blasphémateur, recueil de nouvelles d’Isaac Bashevis Singer paru chez Stock, trois numéros de la mythique revue Le Fou parle et le numéro neuf de cette revue féminine dont j’avais oublié l’existence Ah ! Nana, entièrement consacré à l’inceste (tel qu’on l’évoquait en mil neuf cent soixante dix-huit).

    Ma plus belle trouvaille, je la fais dans un carton tout juste sorti d’une voiture, un livre épais dont la couverture illustrée ne porte aucun nom, juste la reproduction d’une peinture reconnaissable entre toutes.

    -C’est un livre introuvable, me dit le vendeur.

    -Disons un livre rare, lui dis-je.

    -Oui un livre rare, je l’ai acheté à New York.

    Il le feuillette devant moi, me montrant certaines reproductions qui ne sont dans aucun autre livre. Ce livre a l’air de tellement lui plaire que je crains tout à coup qu’il n’ait envie de le garder. J’objecte l’état moyen pour obtenir un prix raisonnable. Pour quatre euros, ce Jean-Michel Basquiat, publié par le Whitney Museum of American Art, est à moi (un ouvrage que l’on vend actuellement au Etats-Unis cent cinquante dollars neuf et pas moins de trente-neuf dollars d’occasion), fourni avec les traces de peinture laissées par le vendeur qui doit être artiste. S’y ajoutent des cheveux, des empreintes digitales colorées, des mines de crayon de couleur. Tout cela convient bien à une monographie consacrée à Basquiat, me dit celle que je trouve chez moi en rentrant, revenue indemne de sa fête nocturne dans les bois de Clamart, mais je n’en suis pas encore là.

    Plus que content, je parcours une fois encore les allées de ce vide-grenier où Ali rencontre Pierre-Henri et où Anne-Sophie discute avec Aminata ou avec Kevin. J’enregistre dans ma mémoire quelques savoureux échanges.

    Un acheteur à la vendeuse :

    -C’est pour ma femme.

    La vendeuse :

    -Parfait, maintenant vous allez pouvoir lui dire que vous avez pensé à elle et acheter plein de choses pour vous.

    Une femme enceinte à son mari qui regarde une couette pour bébé couleur pastel :

    -C’est un mec que j’ai dans le ventre, tu vas pas m’en faire une gonzesse !

    Un vendeur à une femme très Bois-Guillaume qui demande ce que c’est que ça :

    -C’est des boules de geisha, ça sert contre le stress.

    Un vendeur qui laisse pour un euro un vieux lecteur de cédés à un homme à la peau noire :

    -De toute façon, ça me débarrasse.

    L’acheteur, glissant son acquisition dans un sac en plastique :

    -Oui, vous vous débarrassez de la merde et nous on achète la merde.

    Partager via Gmail Yahoo!