• Ce que disait Romain Gary dans Chien blanc de ceux qu’on appelle aujourd’hui les casseurs

    J’écoute ce jeudi matin sur France Culture l’émission de Raphaël Enthoven consacrée au Chien blanc de Romain Gary, livre que l’ancien Consul Général de France à Los Angeles écrivit en mil neuf cent soixante-neuf et paru chez Gallimard l’année suivante. Y est lu la page où l’écrivain gaulliste évoque ce qu’il appelle la société de provocation :

    J'appelle "société de provocation" toute société d'abondance et en expansion économique qui se livre à l'exhibitionnisme constant de ses richesses et pousse à la consommation et à la possession par la publicité, les vitrines de luxe, les étalages alléchants, tout en laissant en marge une fraction importante de la population qu'elle provoque à l'assouvissement de ses besoins réels ou artificiellement créés, en même temps qu'elle lui refuse les moyens de satisfaire cet appétit. Comment peut-on s'étonner, lorsqu'un jeune Noir du ghetto, cerné de Cadillac et de magasins de luxe, bombardé à la radio et à la télévision par une publicité frénétique qui le conditionne à sentir qu'il ne peut pas se passer de ce qu'elle lui propose, depuis le dernier modèle annuel "obligatoire" sorti par la General Motors ou Westinghouse, les vêtements, les appareils de bonheur visuels et auditifs, ainsi que les cent mille autres réincarnations saisonnières de gadgets dont vous ne pouvez vous passer à moins d'être un plouc, comment s'étonner, dites-le-moi, si ce jeune finit par se ruer à la première occasion sur les étalages béants derrière les vitrines brisées ? Sur un plan plus général, la débauche de prospérité de l'Amérique blanche finit par agir sur les masses sous-développées mais informées du tiers monde comme cette vitrine d'un magasin de luxe de la Cinquième Avenue sur un jeune chômeur de Harlem.

    J'appelle donc "société de provocation" une société qui laisse une marge entre les richesses dont elle dispose et qu'elle exalte par le strip-tease publicitaire, par l'exhibitionnisme du train de vie, par la sommation à acheter et la psychose de la possession, et les moyens qu'elle donne aux masses intérieures ou extérieures de satisfaire non seulement les besoins artificiellement créés, mais encore et surtout les besoins les plus élémentaires.

    Ce qui vient de se passer à Lyon montre qu’aujourd’hui sont toujours fascinés par les sacs Vuitton et les montres Rolex certains qui n’ont pas les moyens de se les payer. Ils mettent en application la publicité du lunetier Afflelou « Partez sans payer ». Le Tout Puissant de la République en est fâché « Ce n'est pas acceptable, ils seront arrêtés, retrouvés et punis » déclare-t-il dans l’après-midi lors d'une table ronde sur la ruralité quelque part en Eure-et-Loir.

    Arrêtés, retrouvés, punis, dans cet ordre, il est vraiment très fort.

    *

    Filmé par Canal Plus, un camionneur livreur d’essence à la peau noire explique à une dame pressée que ce n’est pas la peine qu’elle essaie de passer avant tout le monde, il n’a pas de gasoil dans sa citerne, que de l’essence.

    Il se tourne vers la caméra :

    -Heureusement que c’est juste un manque d’essence, si c’était la nourriture, ils seraient déjà en train de se manger les uns les autres.

    *

    Dans le dernier Rouen Magazine, organe officiel de la mairie socialiste rouennaise, sous le titre Zen attitude, un étrange article fait la promotion d’ateliers payants d’évacuation du stress organisés par un sophrologue, Philippe Paquier. Lequel déclare : « Le but est de revenir à ses sensations en se libérant des pensées négatives qui envahissent l’esprit. Lorsque l’on se concentre sur ce que l’on fait, on ne pense plus à autre chose qu’au mouvement qu’on accomplit. »

    De quoi faire de bons petits employés soumis et heureux de l’être.

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