• Cinq heures de Quai aux Livres à Rouen

    Foin des Journées du Patrimoine et de ses Dessous rouennais (de moins en moins affriolants), celle qui arrive de Marseille est là et nous nous préférons à toute activité extérieure ce samedi, mais dimanche matin pas question de manquer le Quai aux Livres le long de la Seine où sont amarrées de très nombreuses péniches dont l’une baptisée Millenium. La voiture garée sur le quai haut, nous sommes à pied d’œuvre (comme dit le maçon) dès sept heures, autant dire avant l’arrivée de la plupart des vendeurs et vendeuses.

    Ce qui nous donne le plaisir d’assister à l’installation des stands, notamment de ceux des associations de charité, certaines presque uniquement composées de femmes retraitées qui se chamaillent comme moutardes dans une cour de recréation (« Je ne sais pas ce qui s’est passé, j’ai dit à Ginette de mettre les policiers sur la table et pas sous la table et elle a dit que puisqu’on l’écoutait pas, elle s’en allait et elle est partie »), d’autres (Lions Club, Rotary Club) presque uniquement composées d’hommes arrivés là dans des voitures luxueuses (et je me demande pourquoi ils choisissent de perdre leur dimanche à gagner six euros six sous avec leurs vieux bouquins alors qu’il leur serait si facile de sortir leur chèquier pour obtenir la même somme, de secourir leurs pauvres sans même que leurs comptes en banque en souffrent ; ah oui, je me souviens, ils doivent gagner leur place au paradis). S’installent aussi des professionnel(le)s de l’édition qui revendent à prix réduit les livres qu’ils ont eus gratuitement, des bouquinistes délaissant pour une fois le marché du Clos-Saint-Marc et des particuliers qui ont besoin d’argent ou dont la bibliothèque déborde.

    C’est avec une jeune femme qui affiche ses livres « à prix d’ami » que je fais ma première affaire (après m’être accroché avec une vendeuse du Secours Populaire qui peste contre les acheteurs qui lui sautent dessus avant que les livres ne soient installés). Beaucoup d’autres acquisitions suivent pour elle comme pour moi. Ce qui nous amène une fois parcouru deux ou trois fois l’ensemble de l’imposant déballage à déposer un premier sac plein dans la voiture.

    Il lui faut alors rentrer pour préparer son retour dans la capitale. Je poursuis seul l’exploration des piles de livres, remontant lentement l’ensemble des exposant(e)s et trouvant de quoi faire de nouveaux achats.

    Parmi ces vendeurs et vendeuses de livres, un étrange quatuor est assis derrière une longue table sur laquelle ne sont posés que quelques ouvrages neufs. Il s’agit d’auteurs autoédités qui espèrent séduire le chaland. Rien de pire pour qui veut être écrivain que de se publier soi-même. C’est la déconsidération assurée (bizarrement, il n’en est pas de même pour qui autoproduit un cédé ou un film). Je reconnais parmi ces quatre un client sporadique du Son du Cor où je me souviens l’avoir entendu dire fièrement « Mon livre est paru et bientôt j’en publierai deux autres ». Je sais que ses parents ont de l’argent et tout s’éclaire.

    Lorsque je rentre chez moi, je constate qu’il est plus de midi. Je viens de passer cinq heures au Quai aux Livres et mon butin est éclectique. En témoignent, entre autres, les trois volumes d’Auschwitz et après de Charlotte Delbo (Minuit), le Journal d’Hélène Berr (Tallandier), Une canne à pêche pour mon grand-père de Gao Xingjian (L’Aube poche), Peau d’ours d’Henri Calet (L’Imaginaire Gallimard), Les Grandes Blondes de Jean Echenoz (Minuit poche), Comment j’ai écrit certains de mes livres de Raymond Roussel (Dix/Dix-huit), Blaise Cendrars, biographie signée Miriam Cendrars (Balland) et les Lettres choisies de Jack Kérouac (Gallimard).

    Partager via Gmail Yahoo!