• Concert de la Capella de Saint Pétersbourg à l'Opéra de Rouen

    Mardi après avoir longé les gravas odorants du défunt Palais des Congrès, je me rapproche par la diagonale de l’Opéra. Une place en corbeille m’y attend, pas bonne pour les genoux. Je les cale en biais n’ayant pas de voisinage à ma gauche. D’autres sont bien plus mal placé(e)s que moi. La musique russe attire du monde.

    La Capella de Saint Pétersbourg est l’invitée, dirigée par le vieux chef Vladislav Tchernouchenko. Le concert est en deux temps, musique religieuse, musique populaire.

    La soixantaine de choristes entre en scène. Les hommes sont en costumes noirs identiques, mêmes chaussures noires,  mêmes chemises blanches et mêmes nœuds papillon. Les femmes portent des robes semblables qui semblent sortir d’un magasin d’accessoires pour péplum. Le chef, lui, a une chasuble noire. Il est très prolétarien d’allure et était déjà à la tête de la Capella (le plus célèbre chœur russe, vieux de cinq cents ans) du temps de la glorieuse Union Soviétique, osant lui faire chanter de la musique religieuse « à une époque où l’interdiction absolue de jouer un tel répertoire régnait », m’apprend le livret-programme.

    C’est d’abord la Liturgie selon Saint Jean Chrysostome de Piotr Illich Tchaïkovski, puis des œuvres de compositeurs bien moins connus : Alexandre Andreievitch Arkhangelsky, César Cui et Pavel Grigorievitch Tchesnokov (ce dernier ayant composé plus de cinq cents œuvres chorales avant de se taire définitivement après la destruction de sa chapelle sur ordre du Parti Communiste).

    Chaque soliste salue raidement, et leur chef modestement. A l’entracte, tout le monde est content dans le public bavardant. L’un s’étonne que dans ce chœur les femmes soient placées derrière les hommes et j’en entends un autre dire :

    -Ils sont pas beaux mais qu’est-ce qu’ils chantent bien.

    A la reprise, le chef revient comme précédemment du côté cour (il me semble que c’est la première fois que je vois ça, ses collègues surgissant du côté jardin) et relance la machine bien huilée pour une dizaine de chants populaires. Le succès est là qui enclenche les rappels. Avant le troisième, Vladislav Tchernouchenko se tourne vers le public et lance le seul mot anglo-français qu’il doit connaître « Final ».

    Je déplie prudemment mes jambes et remet ma veste alors que disparaissent les dernières chanteuses aux robes fâcheuses. Dans l’escalier, je croise l’une de mes connaissances qui me conseille de ne pas l’embrasser. Elle est aphone ayant « attrapé le virus ».

    -Ça ne t’empêche pas d’entendre, j’espère ?

    Heureusement non, et elle a beaucoup aimé, ce concert ayant caressé son âme russe.

    -On a tous l’âme russe, lui dis-je alors qu’elle part de son côté et moi du mien. 

    Je ne sais si c’est une conséquence des travaux de démolition du Palais des Congrès mais à sa proximité l’éclairage public est en panne. La rue Saint-Romain est comme on dit plongée dans l’obscurité, et ma ruelle également.

    Par chance, je connais les lieux comme mes pieds et trouve sans difficulté le trou de la serrure.

    *

    Je regarde nos photos de Venise. Elle m’y a photographié devant une maison portant comme numéro de rue mon année de naissance et je l’ai photographiée devant une autre, plus loin, portant comme numéro la sienne. Devant le numéro deux mille cinq cent douze, nous avons songé à celui ou celle dont ce sera l’année de naissance et qui s’y fera photographier, si le monde existe encore.

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