• Côté Rouen et sa biographie d’Emile Verhaeren ou le journalisme sans peine

    Sous la pluie, mercredi après-midi, j’attrape dans l’un de ses distributeurs de trottoir le numéro quatre de Côté Rouen, journal gratuit cent pour cent rouennais. Rentré chez moi, je le parcours rapidement. Page neuf, c’est Découverte du patrimoine avec un article consacré à la gare, signé Daniel Caillet, et un autre, anonyme, dévidant une biographie d’Emile Verhaeren (mort dans cette gare en mil neuf cent seize) écrite dans un style qui me rappelle quelque chose. Je mets en marche mon ordinateur et constate que mon intuition était juste : c’est tout pompé sur Ouiquipédia (sans la moindre référence à cette source).

    Premier paragraphe de Ouiquipédia :

    « Verhaeren est né à Saint-Amand (Sint-Amands en néerlandais), au bord de l'Escaut, dans une famille aisée où on parlait le français, tandis qu'au village et à l'école régnait le flamand. Il fréquenta d'abord l'internat francophone Sainte-Barbe, tenu par des jésuites à Gand, puis il étudia le droit dans la vieille université de Louvain. C'est là qu'il rencontra le cercle des écrivains qui animaient La Jeune Belgique et il publia en 1879 les premiers articles de son cru dans des revues d'étudiants. »

    Premier paragraphe de Côté Rouen :

    « Emile Verhaeren est né, en 1855, à Saint-Amand (Belgique) dans une famille aisée où on parlait le français, alors que le flamand régnait encore à l'école. Il a fréquenté l'internat francophone Sainte-Barbe, à Gand, puis il a étudié le droit à l’université de Louvain. Il y rencontre le cercle des écrivains qui animaient La Jeune Belgique et publie en 1879 ses premiers articles dans des revues estudiantines. »

    On peut le constater, c’est la même chose, en allégé, avec quelques mots déplacés ou modifiés (pas mal ce « estudiantines » à la place de « d’étudiants ») et mise au présent pour donner un peu de nervosité au texte.

    Cinquième paragraphe de Ouiquipédia :

    « Dans les années 1890, Verhaeren s'intéressa aux questions sociales et aux théories anarchistes et travailla à rendre dans ses poèmes l'atmosphère de la grande ville et son opposé, la vie à la campagne. Il exprima ses visions d'un temps nouveau dans des recueils comme Les Campagnes hallucinées, Les Villes tentaculaires, Les Villages illusoires et dans sa pièce de théâtre Les Aubes. Ces poèmes le rendirent célèbre, et son œuvre fut traduite et commentée dans le monde entier. Il voyagea pour faire des lectures et des conférences dans une grande partie de l'Europe. Beaucoup d'artistes, de poètes et d'écrivains comme Georges Seurat, Paul Signac, Auguste Rodin, Edgar Degas, August Vermeylen, Henry van de Velde, Maurice Maeterlinck, Stéphane Mallarmé, André Gide, Rainer Maria Rilke, Gostan Zarian et Stefan Zweig l'admiraient, correspondaient avec lui, cherchaient à le fréquenter et le traduisaient. Les artistes liés au futurisme subissaient son influence. Émile Verhaeren était aussi un ami personnel du roi Albert et de la reine Élisabeth ; il fréquentait régulièrement toutes les demeures de la famille royale. »

    Cinquième paragraphe de Côté Rouen :

    « Dans les années 1890, Verhaeren s'intéresse aux questions sociales et aux théories anarchistes. Il exprime aussi ses visions d'un temps nouveau. Ces poèmes le rendent célèbre, et son œuvre est traduite et commentée dans le monde entier. Il voyagea pour faire des lectures et des conférences dans une grande partie de l'Europe. Beaucoup de poètes et d'écrivains l'admirent. »

    C’est encore plus lifté, treize lignes qui en deviennent cinq (faut pas fatiguer le lectorat rouennais) avec encore le passage du passé au présent, mais comme on ne fait pas attention à tout, une phrase est restée au passé simple : « Il voyagea pour faire des lectures et des conférences dans une grande partie de l'Europe. »

    Le dernier paragraphe est évidemment consacré au passage sous le train, dans la gare de Rouen, du poète. « Après l'une de ces conférences, il meurt accidentellement à la gare de Rouen. » conclut sobrement l’anonyme de Côté Rouen alors que sur Ouiquipédia il est écrit « Après l'une de ces conférences à Rouen, il mourut accidentellement, ayant été poussé par la foule, nombreuse, sous les roues d'un train qui partait. »

    « Ayant été poussé par la foule, nombreuse, sous les roues d'un train qui partait », une précision hasardeuse (pour laquelle Ouiquipédia demande à ses rédacteurs de donner leur source) curieusement reprise dans l’article sur la gare signé Daniel Caillet.

    Emile Verhaeren a-t-il été poussé sous le train le vingt-sept novembre mil neuf cent seize ou est-il tombé tout seul ? Voilà qui serait une information, mais pour cela il faudrait aller fouiller dans les archives, dans les quotidiens de l’époque, bref faire un travail de journaliste et c’est fatigant.

    *

    Côté Rouen n’est pas pour autant un journal inutile. Depuis quelque temps, mon chauffe-eau fuit légèrement. Ce journal gratuit est parfait pour aspirer l’eau qui tombe goutte à goutte. Chaque mercredi, je remplace le journal imbibé par le dernier sorti. Un numéro par semaine, c’est suffisant.

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