• Dans les rues de Rouen pour la Fête de la Musique deux mille dix

    Lundi en fin d’après-midi, je mets un pull pour sortir car c’est l’été et il fait froid en ce jour où l’on fête la musique. Je me rends directement place du Lieutenant-Aubert où jouait l’an dernier le musicien à chapeau melon dont les chansons m’avaient plu (et à quelques autres aussi). Il est là, sans chapeau mais avec sa fiancée. Nous faisons connaissance. J’apprends que son nom d’artiste est Sabstien. Il lui convient bien.

    C’est donc lui que j’écoute en premier, surtout séduit par sa voix, puis je vais ouïr pas loin Free Zay, une fille accompagnée de deux musiciens. Elle joue de la flûte traversière à la Jethro Tull et chante plutôt bien.

    Quand j’en ai assez, je remonte la rue Eau-de-Robec. Une fille rousse plantée devant Couleur Café chante folque et bien, du Tracy Chapman et une histoire qui fait peur, d’enfants perdus dans la forêt, en lithuanien ou en ukrainien (je ne sais plus). Un peu plus loin, face au Son du Cor, un groupe fait de la musique vaguement balkanique. M’arrête ensuite devant L’Eau Vive, où jouent les Flying Ducks, déjà entendus l’an dernier, très Hugues Aufray et son Skiffle Group, et puis devant le restaurant africain Mbongo, où l’on percussionne.

    J’écoute tout ça en regardant autour de moi. Certain(e)s promènent leurs enfants, d’autres leurs chiens, d’autres leurs bières. Une mère peste contre sa fille qui lance des cailloux dans l’eau, pas bien compris comment elle s’appelle, Nivéa, un nom comme ça.

    Je poursuis ma déambulation, évitant les groupes de branlotin(e)s qui découvrent le roquennerolle et les grosses scènes devant lesquelles on s’amasse, mais ne peux échapper, rue Damiette, à trois illuminé(e)s chantant Notre Seigneur, dont l’un vient vers moi :

    -Vous allez voir la gloire de Dieu dans votre vie, me dit-il extatique.

    Il me donne un petit papier : « Vous tous, peuples, battez des mains ! Poussez vers Dieu des cris de joie ! » avec le numéro de téléphone où tu peux te faire endoctriner.

    Sur le parvis de l’église Saint-Maclou, je m’arrête devant un garçon guitariste et une fille chanteuse entourés d’un nombreux public mais elle me soûle vite avec ses parlotes entre les morceaux, ses histoires de tube de dentifrice pas rebouché dans la salle de bains. Elle doit déplaire pareillement aux abeilles qui volent nerveusement au sommet de la Banque du Miel. Je ne traîne pas dans le coin.

    Pas davantage ne me retiennent les papys du rock qui endorment les client(e)s des terrasses au début de la rue Martainville. En revanche, ceux qui jouent un peu plus loin devant le Pub Alexander, du même âge, dépotent bien. Le chanteur est une sorte de José Bové qui saurait jouer de la guitare.

    Je repasse rue Eau-de Robec. Sur le terrain de boules du Son de Cor se donne une musique brésilienne peu audible. Devant Couleur Café joue une sorte de sous Sanseverino. Je m’échappe par une venelle dont j’ignore le nom où trois écroulé(e)s envisagent d’aller s’allonger dans la verdure.

    Place Saint-Amand, la fanfare Orphéon Piston m’achève. Avant que la fête de la bière batte son plein, un peu clopinant, je me glisse dans ma ruelle. Deux garçons, dont l’un dit à l’autre : « Quoi, je sais pas si tu te souviens d’elle, mais j’avais des affinités avec elle », bien entamés, viennent d’y pisser. Ils seront suivis de beaucoup d’autres.

    *

    Cette façon qu’ont maintenant les mâles de tout âge de s’embrasser pour se dire bonjour. Je crois que ça vient des comédiens. Moins on s’aime et plus on fait comme si.

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