• De Saint-Michel à Saint-Lazare, un étonnant voyage en autobus

    Mercredi, en fin d’après-midi, après furetage dans les bacs des librairies du Quartier Latin, je grimpe à Saint-Michel dans le bus numéro vingt-sept terminus Saint-Lazare. J’y suis chaleureusement salué par son conducteur. Je m’assois.

    -Allez on y va, you ou. Mesdames et messieurs à votre droite la célèbre Cathédrale de Parisse.

    Je comprends que je ne suis pas dans n’importe quel autobus parisien. Notre machiniste est un boute-en train qui en connaît un rayon sur les monuments de la capitale. Le voici nous racontant l’histoire du Pont-Neuf et pourquoi il faudrait l’appeler Pont-Rénové.

    -A votre gauche maintenant l’Ecole des Beaux-Arts. Par la fenêtre, parfois, on peut y apercevoir… un Artiste.

    Tout en émettant quelques considérations avisées sur la circulation automobile et piétonnière, il poursuit :

    -A votre droite, mesdames et messieurs, le Pont des Arts et ses trois mille cadenas. Les amoureux y scellent leur amour éternel puis jettent la clé dans la Seine. Ce qu’ils ne savent pas, c’est que la Mairie de Paris enlève régulièrement tous les cadenas. Le lundi, tu jures ton éternel amour ; le mercredi, la Mairie enlève le cadenas, je t’aime plus chérie.

    Chez les voyageuses et les voyageurs, cela va de l’hilarité à l’indifférence, avec une majorité de sourires réjouis.

    -A votre gauche, l’Institut de France et ses cinq Académies : l’Académie Française, l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, l’Académie des Sciences, l’Académie des Sciences Morales et Politiques et l’Académie des Beaux-Arts. Bientôt une sixième, la Star Academy, mais c’est pas sûr.

    Nous traversons le Louvre :

    -On ne va traîner par ici. On m’a dit qu’il y a un fantôme. Un certain Belphégor.

    Un peu plus loin :

    -J’ai une charade. Une bonne. Mon premier est une grande étendue d’eau. Mon deuxième est ce qu’on dit quand on a perdu dix francs. Mon troisième est très étroit. Mon tout est un grand théâtre.

    Les fronts se plissent. On cherche mais personne ne se risque à donner une réponse.

    -C’est facile pourtant. Mon premier est une grande étendue d’eau : lac. Mon deuxième est ce qu’on dit quand on a perdu dix francs : oh, mes dix francs ! Mon troisième est très étroit : très étroit, treize et trois : seize. La Comédie Française. Nous y sommes, messieurs mesdames.

    Un homme à canne monte :

    -Prenez votre temps, monsieur, allez vous asseoir. Quand vous êtes prêt, vous me dites top départ.

    Le vieil homme s’installe et murmure top départ.

    -Vous m’avez dit top départ. Oui ? Alors on y va, you ou.

    Nous sommes devant l’Opéra :

    -On doit son architecture à Charles Garnier mais l’intérieur est encore plus beau grâce au plafond de Chagall. Je vous dis ça mais moi je ne l’ai jamais vu, un jour peut-être, eh oui. Prochain arrêt : Auber. Auber ou au chocolat, c’est comme vous voulez.

    Le bus se faufile entre les voitures, approche des grands magasins.

    -Vous savez qu’aujourd’hui c’est l’automne, eh oui. Après l’automne, l’hiver et après l’hiver, le printemps, mais si vous voulez directement le Printemps, c’est au prochain arrêt.

    Le voyage se termine hélas. A Saint-Lazare, tout le monde descend. Un certain nombre de voyageuses et voyageurs vont voir le chauffeur pour le féliciter et le remercier, heureux d’avoir eu à la fois, pour le prix d’un ticket de bus, un commentaire Paris Vision et un spectacle de cabaret.

    J’espère retrouver un jour ce gai machiniste sur la ligne vingt-sept. Il est sans doute antillais et porte une barbichette pointue.

    *

    Comme il n’est pas encore l’heure de mon train, je m’arrête chez Léon, rue de l’Isly, l’un des deux routiers de Paris, pour un café verre d’eau. Les tables sont en formica, les chaises en bois avec l’assise en scaille, les nappes à petits carreaux rouges et blancs et Libération est sur le comptoir. Sur l’un des carnets de commande, je note les temps forts de mon voyage en bus par crainte d’oublier.

    *

    A la gare, mon train ne s’affiche pas. Au bout d’un moment, il est annoncé avec cinq minutes de retard, puis dix, puis quinze, puis vingt. Il est enfin indiqué voie dix-neuf. Tout le monde se précipite.

    Un message nous apprend que seules les cinq premières voitures partiront. On se masse devant les portes qui ne veulent pas s’ouvrir. Quand enfin on peut monter, chacun(e) s’efforce de trouver une place assise. Le contrôleur présente les excuses habituelles. J’arrive à Rouen avec vingt-quatre minutes de retard, à temps néanmoins pour échapper au simulacre d’accident prévu  dans la gare ce mercredi soir, à temps également pour entendre aux informations de France Culture les propos de Clément Chéroux captés par le micro de France Inter en début d’après-midi à l’exposition Munch du Centre Pompidou.

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