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Embrouille ferroviaire entre Paris et Rouen
Quittant les Futuristes de Beaubourg (à la sortie, une photographie de Marinetti entouré de ses complices, tous habillés en bourgeois : chapeaux melon, cravates ou nœuds papillon), j’entre, à l’autre bout du couloir, poussant le rideau rouge, dans l’exposition Jacques Villeglé, pour la revoir mieux que le soir du vernissage.
Ma visite faite (un professeur à genoux devant ses élèves assis(e)s sur le sol décrivant l’arrachage d’affiches comme « un geste profondément romantique et lyrique »), je sors du Centre Pompidou pour aller m’asseoir au bord des fontaines mouvantes dans l’attente de celle qui doit me rejoindre.
Elle arrive bientôt, m’ayant déjà cherché à l’intérieur. Il n’y a que dans cette situation que je regrette de n’avoir pas de téléphone dans ma poche. Nous profitons au mieux du moment passé ensemble, malgré sa très grande fatigue d’étudiante, et puis je dois trop vite la quitter pour prendre mon train de nuit.
Tout est calme dans le wagon, jusqu’à ce qu’un homme sorti fumer sur le quai s’avise qu’un couple est installé là où il avait laissé son sac, celui-ci ayant été jeté sur la banquette précédente. Il demande des explications. Le ton monte entre lui et celui qui a viré son sac, un sale type vraiment, petit coq monté sur ses ergots que sa femme tente de calmer. L’homme au sac éjecté demande qu’on lui rende sa place et qu’on lui fasse des excuses. Le sale type le traite de pauvre con.
-Je vais te mettre mon poing sur la gueule, répond l’offensé qui est sacrément costaud.
Se levant d’un siège voisin, un homme s’interpose, tandis que la femme se jette devant son coq excité. Elle le pousse du côté de la fenêtre, prête à prendre le coup à sa place. L’homme interposé entreprend de raisonner l’homme costaud :
-Vous êtes dans votre droit. Tout le wagon est avec vous. A votre place, j’aurais envie de faire la même chose, mais ne le faites pas, vous allez avoir de gros ennuis.
Le coup de poing ne part pas. L’homme viré de sa place quitte le wagon. Le sale type est blanc comme un linge (comme on dit).
Le train démarre et quelques minutes plus tard, le voisin à nouveau s’insurge :
-Non mais maintenant, il s’en prend à sa femme. Ce n’est vraiment pas possible. Je suis avocat. Je défends des femmes battues et je ne peux pas supporter des propos pareils.
Le sale type recommence à dire qu’il avait le droit d’enlever le sac et de s’asseoir là, que cette place, c’est la sienne, puisqu’elle n’était pas réservée officiellement.
Un autre homme, derrière, donne son point de vue :
-La seule place qu’on peut revendiquer, c’est celle qui nous attend tous au cimetière.
On éclate tous de rire.
-Bon, commente un autre, maintenant qu’on a le mot de la fin, on va peut-être pouvoir voyager tranquillement.
Ce qui se passe effectivement, le sale type dormant ou faisant semblant de dormir, blême, caché derrière sa main.