• Emily Loizeau à Mont-Saint-Aignan (j'y suis finalement)

                Acte un : mardi trente octobre, je souhaite prendre une place pour le concert d’Emily Loizeau programmé par le festival Chants d’Elles au Centre culturel Marc Sangnier à Mont-Saint-Aignan. Le programme du festival n’est pas encore publié mais déjà c’est complet. Je me fait inscrire sur la liste d’attente (je suis le trentième). Je m’étonne de ce dysfonctionnement dans ce Journal de Bord.

                Acte deux : dimanche onze novembre, après lecture de mon persiflage, la responsable du festival m’offre une place gratuite. Je la refuse, évidemment.

                Acte trois : lundi dix-neuf novembre, neuf heures et demie, le Centre culturel Marc Sangnier m’appelle. Désolé, me dit-on, nous n’avons pas de place à vous proposer.

                Acte quatre : ce même lundi dix-neuf, midi trente, nouveau téléphonage du Centre Marc Sangnier. Une personne, malade, vient de rendre son billet. Je suis l’unique personne de la liste d’attente à n’en demander qu’un, il est donc pour moi. (Comme quoi, ça sert parfois d’être seul).

                Ce jeudi soir, me voici donc à Mont-Saint-Aignan, et même le premier de la file, à attendre que s’ouvrent les portes. Fort de l’expérience, je l’ai déjà vue deux fois Emily, je me place à l’extrémité de la quatrième rangée côté jardin, c’est à ce niveau qu’est son piano.

                Un solo de violoncelle samplé un peu lourdement ouvre le concert, mais ouf ça ne dure pas trop longtemps, elle arrive. Elle se prend les pieds dans les fils, installe sa petite loupiote au-dessus de son tourne-disque (une caméra vidéo filme ce plateau tournant et l’image est projetée sur un écran blanc) puis s’assoit devant son instrument. Petite robe à volants noire, collant noir, chaussures noires, cheveux châtain mal coiffés ramenés en arrière en un vague chignon, bien malin celui qui la reconnaîtrait assise devant son affiche, où elle figure en superbe rousse. Je ne veux pas dire qu’elle ne soit pas mignonne en vrai.

                Quelle voix, vraiment, me dis-je encore en fois. Elle mêle savamment les chansons bien connues de son unique cédé avec des nouvelles pas encore enregistrées, passant de l’émotion à la blague, de l’insolence à la sensualité, et fait admirablement la fausse timide quand elle cause avec le public.

                Elle a besoin d’être insultée afin de chanter Je suis jalouse de manière suffisamment hargneuse. On n’est pas doué à Mont-Saint-Aignan pour les injures. Un quidam crie :

                -A poil !

                -Oh, mais c’est pas une insulte ça, répond-elle, à poil je n’ai rien contre, faut voir, je veux une vraie insulte.

                Elle finit par se faire traiter d’éléphantesque, va savoir pourquoi.

                -Oh la la, vous devez tous avoir un Déheuha pour trouver des mots pareils.

                Le concert va son chemin, celui qui mène à l’autre bout du monde. Le violoncelliste installe des objets divers sur le plateau du tourne-disque, bouilloire, bougies, dessin fait par lui-même, boule disco et tutti. Des miroirs tournants renvoie de la lumière un peu partout. Ça fait un peu brocante. Il y aussi un batteur qui tape sur sa batterie. Emily est toujours au piano, elle fait aussi bien dans le classique que dans le bastringue, parfois on se croirait dans un saloune.

                Elle en est à Shower. Ce serait bien si quelqu’un(e) venait illustrer la chanson en se douchant, grimpé sur le cube où repose une serviette rouge au centre de la scène. On ne se bouscule pas pour répondre à l’invitation. Enfin, une mère amène son moutard et tente de le doucher, il se sauve en courant (c‘est comme à la maison). Un jeune homme se porte volontaire et, tournant le dos à la salle, fait ça très bien puis s’en va avec la serviette autour de la taille. Une demoiselle en jolie robe rouge arrive tranquillement pour prendre la suite. A peine a-t-elle commencé que c’est la fin de la chanson, cette douche est vraiment trop vite interrompue.

                Une brillante reprise de Ça n’arrive qu’aux autres de Michel Polnareff, un passage obligé par Voilà pourquoi, chanson d’humour surréaliste belge, avec, à la grande joie de la majorité du public, sa petite vacherie contre le président de la république française (précédemment, au Trianon Transatlantique de Sotteville-lès-Rouen, c’était pour Chirac, maintenant, c’est pour Sarkozy, c’est toujours un blaireau qui nous gouverne), un petit tour chez Boby chéri, va-t-il enfin le sortir son Zippo ? et, tiens, la voici grimpée sur le cube à douche jouant du flûteau. C’est maintenant la fin. Emily salue, debout entre ses deux accompagnateurs. Elle est plus petite que la dernière fois ou alors ce sont ses musiciens qui ont grandi.

                Elle est bien obligée de revenir et en rappel nous offre au piano une reprise de La complainte des filles de joie de Brassens puis viens s’installer sur un tabouret de bar devant la scène. Entourée de ses musiciens, elle finit sans micro par Jasseron et Leaving you.

                En principe ça s’arrête là mais conséquemment aux applaudissements qui ne cessent, Emily revient encore une fois, seule, pour une ultime chanson en anglais, au piano.

                Cette fois-ci, c’est vraiment la fin. Dommage, j’aurais bien passé la nuit avec elle.

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