• En fréquentant la bouquinerie Le Rêve de l'Escalier

                Sans aucun doute, la bouquinerie de Rouen qui fonctionne la mieux c’est Le Rêve de l’Escalier. J’y passe presque chaque jour car le bon livre n’y traîne pas, à peine mis en vitrine, le voilà vendu au tiers de son prix neuf. C’est dire si j’achète, finançant ma dépense par la vente d’autres livres.

    Ainsi récemment j’y trouve, qui aurait fait le bonheur de plus d’un, le Petit traité à l’usage de ceux qui veulent toujours avoir raison de Georges Picard, ouvrage paru aux Editions José Corti en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf : Ce qu’il importe de retenir, c’est qu’un bon cerveau n’est rien sans une bonne technique, et que l’on peut apprendre à avoir raison sur un sujet donné comme on apprend l’anglais ou la chimie organique.

    Un autre jour, je m’y procure le manuel d’instructions aux soldats britanniques pour le débarquement de juin quarante-quatre, réédité aux Quatre Chemins en deux mille six sous le titre Quand vous serez en France. On y trouve des perles comme celles-ci :

    S’il vous arrive de croire que la première jolie fille française qui vous sourit se propose de danser le french cancan ou de vous inviter dans son lit, vous risquez de vous attirer de gros ennuis et vous compromettrez les relations franco-britanniques.

    Un uniforme ou un règlement provoquent chez eux une même réaction indéfectible : plutôt que d’obéir aveuglement, ils mettent la loi en doute et ne manquent pas de la critiquer s’ils l’estiment inutile.

                Une autre fois, ce sont les Ecrits érotiques de Stendhal et Mérimée qui font ma joie. Le bouquiniste en second, au moment où je paie, me dit qu’il était certain que ce serait moi l’acheteur.

                -Alors, il ne fallait pas mettre ce livre en vitrine, lui dis-je, il fallait me le mettre de côté.

                Cet ouvrage sulfureux a été publié aux Editions Blanche en deux mille deux dans une collection baptisée L’Enfer, dirigée par Emmanuel Pierrat, une édition où hélas aucun appareil critique ne permet d’en savoir un peu sur les textes. J’apprends juste en quatrième de couverture qu’on y trouve des extraits du Journal et des lettres de Stendhal ainsi que des lettres adressées à celui-ci par Mérimée. Du premier : Les demoiselles Rhédon autorisent beaucoup la familiarité. Coïc m’a dit souvent qu’on leur prenait les mains, voire la gorge et le cul, sans qu’elles s’en formalisassent, du second en voyage en Espagne : Une piastre vous procure une fille de quinze ans très jolie. Les temps changent, me dis-je, aujourd’hui il n’est pas davantage recommandé d’employer l’imparfait du subjonctif que de pratiquer le tourisme sexuel.

                Un autre jour encore, je croise dans cette sympathique bouquinerie de la rue Cauchoise le sémillant Hélios Azoulay. Il s’inquiète que je n’aie toujours pas acheté son excellent livre paru chez Jean-Claude Lattès en deux mille huit Scandales ! Scandales ! Scandales !

                -C’est que j’attends qu’il arrive au Rêve de l’Escalier, lui dis-je.

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