• En lisant Amoralités familières de Maurice Chapelan

    Pourquoi avoir acheté (à Paris chez Mona Lisait, rue Pavée) Amoralités familières de Maurice Chapelan, publié chez Grasset en mil neuf cent soixante-quatre, c’est que l’ouvrant au hasard j’y ai lu ceci :

    Je ne préfère pas tous les jours ce que je préfère.

    Livre un peu abîmé, vendu un euro cinquante, quand j’en ôte l’étiquette du prix en quatrième de couverture, celle-ci arrache la couleur verte, mais grâce aux interventions successives de celle qui vient de Paris (y dessinant en rose de la main gauche un vrai faux portrait de moi-même pour cacher la déchirure) et du bouquiniste du Rêve de l’Escalier (en recollant le dos puis le couvrant d’un plastique translucide), le voilà rénové et bon à lire.

    Tout n’y est pas du niveau de l’aphorisme qui me l’a fait acheter, loin de là, mais quand même j’en trouve d’autres pour me contenter :

    On se défend contre l’humour par le rire.

    Qui me conteste m’atteste.

    Je voudrais bien savoir ce que j’en pense.

    Ce n’est pas tout, Chapelan évoque aussi les figures littéraires de son temps :

    Léautaud a les vertus d’un écrivain et les vices d’une concierge. Mais sans la concierge, pas d’écrivain.

    Et est assez concierge pour être qualifié d’écrivain :

    Maurice Sachs faisait un petit trou dans le sol et l’amour avec la terre. J’ai connu, dans l’Aveyron, de jeunes paysans qui m’avouèrent cette pratique. Tout de même, ils préféraient leur chèvre.

    Quant à ses goûts sexuels, ils le conduisent vers les jeunes filles qui reviennent à plusieurs occasions sous sa plume:

    A la table voisine, une jeune fille, assise en face de sa mère, est en train de mordre dans une banane. Je la regarde fixement. Son visage s’empourpre. Elle a pensé la même chose que moi.

    Au moment des « ballets roses », la question me fut, parmi tant d’articles d’un écœurement exemplaire, qui de leurs auteurs eût pu jurer, l’encre à peine sèche, qu’une fille  de quinze ans dans son lit l’aurait fait vomir.

    Petites filles, qu’on a fait sauter sur ses genoux quand elles avaient quatre ou cinq ans, et qu’on retrouve à dix-huit –comme le temps passe, et qu’il serait agréable qu’elles y sautassent aujourd’hui !

    Jusqu’à sa fille qui ne le laisse pas insensible, émois qu’un auteur d’aujourd’hui se garderait bien d’avouer :

    Certains de mes amis jettent à ma fille des regards qui font rougir son père.

    Elle vient d’avoir quinze ans, et je la soupçonne de commencer à s’apercevoir qu’il n’est pas honteux, mais flatteur, d’être précédée dans la vie par une jolie paire de tétons qui pointent.

    J’avais rêvé qu’elle me servirait de modèle. Sa pudeur m’y a fait renoncer. J’ai pourtant des amis sculpteurs dont les enfants, garçon et fille, posent nus devant père et mère sans aucune gêne.

    Difficile, de faire entrer les petites amies de ma fille dans mon atelier, pour les peindre. Je me soupçonnerais d’être un satyre. Or, il n’est pas vrai que je le sois, mais seulement qu’il ne me déplairait pas de l’être.

    *

    On me reproche parfois d’évoquer des auteurs que personne ne connaît. Avec Maurice Chapelan, on est servi. Tout ce que je sais de lui, c’est qu’il est né en mil neuf cent six et mort en mil neuf cent quatre-vingt-douze, travaillait au Figaro Littéraire (où il tenait rubrique consacrée à la grammaire sous le nom d’Aristide) et pratiquait la peinture en amateur. Il avait cinquante-huit ans quand fut publié son recueil Amoralités familières.

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