• En lisant L'Effondrement de Zoltán Szabó

    Je termine la lecture de L’Effondrement de Zoltán Szabó, ouvrage publié en deux mille deux aux Editions Exils et sous-titré Journal de Paris à Nice. Zoltán Szabó a vingt-huit ans en mil neuf cent quarante. Il est à Paris grâce à une bourse de chercheur en ethnographie offerte par la France. La défaite de mil neuf cent quarante et la débâcle consécutive bouleversent sa vie. Le voici sur la route avec des millions d’autres civils, dont beaucoup ne savent pas où ils vont. Les précèdent les militaires de l’armée française, en fuite. Lui court après le Consulat de Hongrie. Ses rêves se sont écroulés, il veut rejoindre son pays, y retrouver son enfant.

    L’Effondrement (Journal de Paris à Nice) a paru dès décembre mil neuf cent quarante en Hongrie chez Nyugat. Zoltán Szabó y narre ainsi l’exode :

    Quelle bousculade démente et sauvage où les participants n’obéissent pas à la raison, mais à un instant primitif et impérieux, et ils avancent, ils avancent, peu importe où, n’importe où ! Sans argent et sans but. Ils ne se demandent même pas s’ils vont pouvoir dormir quelque part ni ce qu’ils vont manger. Ils marchent inexorablement, comme les somnambules ou les forcenés, le regard fixe, le visage fermé, exténués, à la chasse de l’essence ou du pain à chaque arrêt, Dieu sait où. C’est une chose insensée et féroce, cette fuite résolue et obstinée, les derniers efforts du corps, quand le cerveau fonctionne à peine mais les muscles et les nerfs continuent à bouger et à sentir.

    Derrière, les troupes nazies avancent. Szabó fait une chute de vélo, il est épuisé mais pas résigné (malgré ma jambe estropiée, je descends pour faire un tour dans la ville). Il croise deux ouvriers en route pour La Rochelle où leur usine s’est repliée :

    Les troupes allemandes stationnent en Normandie. D’après les informations, ils ont déjà occupé Rouen, la ville où les Anglais ont brûlé Jeanne d’Arc. Nous parlons de Rouen. Tous les deux l’ont visité. Ils se souviennent du Gros-Horloge, de la cathédrale, du donjon de Jeanne d’Arc, notre conversation porte longuement sur le gothique flamboyant. Je ressens presque de l’affection pour ces ouvriers qui, morts de fatigue sur la route entre Paris et La Rochelle, après avoir fait deux cent dix kilomètres à bicyclette, à Château-Renault, ont encore la force de venir dans un café pour y parler du gothique flamboyant, du caractère national des Français, d’écrivains morts ou contemporains, de leur camarade hongrois qui est remarquable au travail et un bon compagnon à table, qui est à l’aise parmi eux, les accompagne à Rouen pour visiter la cathédrale et qui parfois, quand le mal du pays le prend, leur parle de saint Etienne ou de Petőfi…

    Il sait que c’en est fini du monde d’hier, que les destructions seront immenses, nostalgique par avance :

    O Lisieux ! Tes minuscules places et tes rangées de maisons, ta petite place triangulaire avec sa calme fontaine, ton église Saint-Jacques, vétuste, non restaurée et majestueuse ! Dans la cathédrale, le banc habituel de la petite Thérèse ; au loin, en haut, les collines vertes de Normandie, dans tes vieilles rues un antiquaire, puis, sur une place de poupée, L’Auberge de la Petite Marquise abritant dans ses chambres des cheminées grandes comme des portes.

    Après la guerre, Zoltán Szabó revient en France comme attaché culturel de la légation de Hongrie à Paris. En mil neuf cent quarante-neuf, il démissionne pour protester contre le stalinisme qui s’installe dans son pays où il ne retournera jamais. Il devient correspondant culturel de Radio Free Europe à Londres puis revient en France finir sa vie à Josselin dans le petit presbytère face au château des Rohan, à côté du cimetière où il est enterré.

    J’ai un nouvel ami mort, à qui j’irai dire bonjour lors d’un prochain vagabondage en Bretagne.

    *

    Elle me raconte qu’elle est allée chez Hippy Market à Paris et que le prix des frusques y est bien plus élevé qu’à Rouen : « Je vais voir le vendeur en lui disant qu'à la boutique de Rouen c'est plus que deux fois moins cher, il me répond :"chuuuut !"... »

    *

    C’est l’année du Tigre. Je me demande ce que devient Chyi, étudiante à Pékin, avec qui j’ai tant correspondu par mails et par lettres jusqu’à ce que son copain jaloux lui interdise de m’écrire.

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