• En lisant L’Envers vaut l’Endroit de Raymond Cousse

    De Raymond Cousse, je connais peu de choses. J’ai lu autrefois Stratégie pour deux jambons, son roman cochon, construit sur les réflexions d'un porc à quelques jours de l'abattage, roman dont il fit une pièce de théâtre à un personnage qu’il joua lui-même. Je sais aussi comment est mort (il y a aujourd’hui exactement vingt et un ans) celui qui écrivait Je hais l’espèce humaine en général, mais ne puis m’empêcher de l’aimer dans le détail. Je tourne en rond dans cette névrose. J’ai cent raisons de ne pas me suicider, mais aucune de survivre.

    C’est bien content que je suis revenu l’autre jour de Paris avec deux livres de lui. Je viens de lire celui publié par Le Dilettante sous le titre L’Envers vaut l’Endroit. Il regroupe divers textes écrits par Cousse lorsqu’il faisait le cochon à l’étranger.

    Le premier est un pamphlet intitulé Vive le Québec libre ! Les Canadiens français, qui ne l’ont pas bien accueilli, y sont chaudement habillés pour l’hiver, juste une phrase en échantillon :

    Le jargon local, en dépit du pestilentiel accent, d’une vulgarité révoltante pour tout Français épris de sa langue, ne saurait à lui seul retrancher le Québec de l’espèce humaine.

    Suit L’envers vaut l’endroit (journal d’Australie) écrit en mil neuf cent quatre-vingt-quatre dans lequel je trouve moult formules qui me réjouissent :

    Je déteste mes compatriotes à l’étranger. (En France, il a bien fallu se faire une raison.) (vendredi seize novembre)

    Comme la terre serait belle, si elle n’était pas infestée d’humains. (même jour)

    Voyager, c’est principalement ventiler sa pourriture. (mercredi vingt et un novembre)

    Aperçu le Premier ministre français à la télévision. Petit vieillard précoce et chauve de trente-huit ans. (dimanche vingt-cinq novembre). On aura reconnu Laurent le Fabuleux.

    A la dernière présidentielle, j’avais collé sur le bulletin une photo porno trouvée dans mes archives, un paysan danois qui se tape une truie avec un plaisir débordant. Sensations lors du dépouillement. Les bajoues du maire en tremblaient d’indignation. Il eût été plus judicieux de montrer un verrat s’envoyant Marianne. (même jour)

    Un animal, on ne se demande jamais ce qu’il fout là. Les humains sont toujours déplacés, excepté sur la scène du crime. (lundi vingt-six novembre)

    Une jeune femme à la minijupe exceptionnellement courte me dit qu’elle ne comprend pas le français mais qu’elle a tout suivi sur mon visage. Ça ne m’étonne qu’à moitié. Personnellement, je n’entends pas l’anglais mais n’en réussis pas moins à saisir sa conversation à l’étage inférieur. (mardi vingt-sept novembre)

    En règle générale, j’ai horreur des enfants et m’étonne de l’idolâtrie dont ils font l’objet. Ce culte insensé est révélateur de la cécité de l’espèce. Quand on sait ce qu’ils deviendront plus tard, il n’y a pas de quoi pavoiser. (vendredi trente novembre)

    Le talent est contre-indiqué car il distrait  de la quête du pouvoir. (samedi premier décembre)

    Tout de même, ces milliards de crétins vautrés pendant des décennies dans le western, cette apologie militante du génocide ! (mercredi cinq décembre)

    Dernier texte : celui de son journal de tournée en Côte d’Ivoire en mil neuf cent quatre-vingt-six, invité là par des Blancs peu ragoûtants, du temps de Félix Houphouët-Boigny (dont il fait une description haute en couleur), son titre : La découverte de l’Afrique (Journal à couper le beurre), extrait :

                Le racisme de mes hôtes suinte de partout. L'organisateur n'a pas la trentaine. Blanc-bec atrabilaire, d'une ignorance crasse et satisfaite sur tous les sujets. Je l'appellerai "Monsieur", comme ses boys. Il y aura donc Monsieur, les parents de Monsieur, la femme de Monsieur - une oie blanche qui fait dans la publicité locale - et les deux merdeux de Madame-Monsieur, encore en bas âge, mais potentiellement aussi racistes que leurs géniteurs.

                J'ignore pourquoi Monsieur m'a invité. Son association ne produit habituellement que du café-théâtre racoleur. Il m'a vu jouer en Avignon devant des salles pleines. C'est là que la grâce l'a frappé. De mon côté, j'étais heureux de jouer pour les Noirs. En réalité, je me produirai devant les adhérents du Lion's Club et autres Rotary's Club, autrement dit le gratin de la charogne néo-colonialiste. Le prix des places est fixé à cent trente francs, soit le sixième du salaire mensuel d'un boy. J'espère qu'ils ne pousseront pas l'amour du théâtre occidental jusqu'à accourir en famille.

                Raymond Cousse dans ce Journal à couper le beurre narre entre autres choses son aventure avec une prostituée du pays. Il se demande si, vivant en Côte d’Ivoire sur une longue durée, il ne se comporterait pas comme ces Blancs qu’il déteste et s’énerve de la cour qu’on lui fait :

    Dès qu’un individu se démarque de ses semblables, une meute servile se couche à ses pieds. Plus le démarquage est ascensionnel, plus la meute s’accroît. Pas moyen de lutter contre ça. C’est inscrit dans le cerveau reptilien. Autant exhorter un chien à partir en guerre contre son collier.

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    « Raymond Cousse se suicide dans la nuit du 22 décembre 1991, après un réveillon improvisé à son initiative, deux ans, jour pour jour après la mort de Beckett. Il était angoissé, alcoolique, boulimique, kleptomane. Il avait quarante-neuf ans. » écrit Corinne Amar dans un texte publié par La Fondation La Poste.

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    Je me demande ce qu’est devenue sa fille qui figure dans ses bras sur la couverture d’A bas la critique ! et qui lui téléphonait quand il jouait en Australie.

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