• En lisant le volume deux d’Après l’Histoire de Philippe Muray (deux), ce qu’il dit des touristes

    Ce qui m’a particulièrement réjoui dans le volume deux d’Après l’Histoire de Philippe Muray, est ce qu’il écrit sur les touristes version troupeaux, comme il en passe sans cesse dans la venelle où j’habite, déversé(e)s par bateaux et autocars entiers, cornaqué(e)s par les raconteuses et raconteurs de faux Moyen Age de l’Office de Tourisme de Rouen (l’autre semaine encore, je m’en prenais à l’une qui hurlait sous mes fenêtres).

    Florilège :

    Personne n’est jamais davantage anti-touriste qu’un touriste. Il ne veut voir les choses que comme elles sont quand il n’est pas là. Il ne souhaite jamais photographier ou camescoper un monument que dégagé de sa lèpre déambulante, photographiante et camescopante, donc libéré de lui-même. L’idéal qu’il nourrit est fondé sur une perpétuelle dénégation de sa propre présence, qu’il est le mieux placé pour savoir désolante.

    Les touristes composent l’armée de métier chargée de faire régner par tous les moyens la nouvelle morale festiviste et transfrontalière d’une post-humanité qui a chassé toute violence d’elle-même, au profit de la violence sans fin de sa propre vision du monde, et qui n’a d’autre but que d’aller admirer, à travers la terre entière, des monuments, des reliques ou des choses qui n’auraient jamais existé sans l’ancienne violence, c’est-à-dire sans l’Histoire (…)

    Le touriste, ou voyageocrate, est fondamentalement risquophobe, et ce n’est pas pour rien qu’il a toujours cet air vague, ce regard terreux et cette démarche titubante que l’on voit à tant de petits enfants.

    A l’inverse du pèlerin de La Mecque ou de celui de Lourdes, le touriste est un être infiniment malheureux qui ne rencontre jamais nulle part ce qu’il n’était même pas venu chercher.

    Il existe encore un autre angle sous lequel on peut parler du touriste : c’est le seul individu qui, dans une ville, croit qu’il y a encore quelque chose à voir après le désastre de la fin de l’Histoire. Qu’il se trouve à Madrid, à Hong Kong, à Paris, au Caire, à Shanghaï ou en Polynésie, il est nécessairement environné de naturels qui ne peuvent pas ignorer, eux, que tout est terminé, qu’ils habitent des répliques ridicules, des faux notoires et qu’ils n’en sont, par-dessus le marché, que les résidents très précaires.

    L’organisation de la circulation du troupeau touristique, c’est-à-dire aussi de sa liquidation, de son évacuation la plus rapide possible et de son renouvellement incessant, contient le sens même du totalitarisme touristique et l’épuise. Le désir du touriste s’accomplit  dans cette circulation et s’y assouvit. D’être objet d’une entreprise de flux suffit à son bonheur. Mais cette circulation est également un droit, et l’on peut définir chaque touriste comme un militant impitoyable de la nouvelle fierté ambulatoire. A ce titre, il ne saurait tolérer la moindre entrave à l’exercice de ses prérogatives. Et tout ce qui se met en travers du flux dont il fait partie doit être supprimé sans la moindre hésitation.

    *

    En bonus :

    Il faudra revenir aussi un jour sur ces labyrinthes que l’on dessine un peu partout dans les champs, qui couvrent progressivement les anciennes campagnes, et par le biais desquels le touriste se réconcilie avec le maïs.

    *

    Au détour, j’apprends par Philippe Muray qu’il passait ses vacances d’été dans un village perché proche d’un autre tout rouge où Beckett a vécu pendant l’Occupation. Il ne m’est pas difficile de reconnaître Roussillon.

    Ben oui, Philippe Muray s’épanouissait chaque été dans le Luberon avec beaucoup de ceux qu’il raillait dans ses écritures, y côtoyant notamment le principal promoteur français de la fête généralisée : Jack Lang.

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