• En lisant Les Amitiés & les Amours, correspondance de Max Jacob (trois)

    Max Jacob n’a jamais eu d’appartement, passant de chambre en chambre, souvent à l’hôtel, en Bretagne ou à Paris. Au temps de la Deuxième Guerre Mondiale, il réside à Saint-Benoît-sur-Loire, près d’Orléans, où il loue une chambre chez des particuliers après avoir un temps habité à l’abbaye. Il vit de sa peinture, est encore un peu en contact avec le milieu littéraire. Il pense que les nazis n’oseront s’en prendre à lui, protégé qu’il est par la population du village :

    Il paraît qu’en tant que juif de race je dois me présenter à la sous-préfecture dont je dépends pour me faire inscrire sur un registre spécial à cet affecté. (à François de Montalivet, le quatre octobre mil neuf cent quarante)

    Bien entendu, je ne puis vous refuser une préface, bien que je ne sois pas partisan de ces présentations. L’auteur a l’air d’avoir demandé l’autorisation à son préfacier ou de n’avoir pas confiance en lui. Je crois comprendre que vous voulez faire imprimer vos vers ! Cela va vous coûter bien cher et pourquoi ? (…) Espérez-vous le vendre ? O illusion !!! (à Maurice Gouchault, le dix-neuf novembre mil neuf cent quarante)

    On dépossède partout les juifs. Un fermier de Mme P… avait 48 000 F en banque. Un docteur juif avait d’autres sommes : les Allemands les ont prises sans autre procédure. Mon frère ruiné avait une petite boutique rue Legendre : les Allemands ont déclaré la vente nulle ! Le pauvre est sur le pavé de Paris ! (à François de Montalivet, le dix juin mil neuf cent quarante et un)

    J’ai déjà reçu la visite de la Gestapo (« J’ai ta peau ») ; je pense qu’on se décidera à me fusiller en masses : question du martyre et qui n’est pas si mal. Belle fin ! –On a emmené mon beau-frère à Compiègne, vieillard infirme qui a fait 14-18 comme son père, 70. (à Jean-Robert Debray, le trente et un décembre mil neuf cent quarante et un)

    Je lis le Journal de Jules Renard, œuvre surprenante. Je voudrais aussi lire Kierkegaard et maître Eckhart. Hélas ! Je n’y comprends rien. (à Hélène de Callias, le sept mai mil neuf cent quarante-deux)

    Ne mets plus « Jacob » sur les enveloppes de lettres, mets « M. Max », cela suffit à la Poste d’ici (à Jean Colle, le dix-sept mai mil neuf cent quarante-trois)

    Je crois que ce petit mot de moi est nécessaire et utile, mais je n’ai pas le cœur d’écrire depuis l’arrestation de ma sœur, je ne vis plus. (à André Salmon, le dix-sept janvier mil neuf cent quarante-quatre)

    Max Jacob se démène pour tenter de sauver cette sœur, la plus jeune de la famille, en vain. La dernière lettre publiée dans Les Amitiés & les Amours (L’Arganier), date du vingt-deux février mil neuf cent quarante-quatre, envoyée à Jean Colle :

    Je déplore avec toi la perte de tes études et de tes tableaux… moi j’ai perdu tous mes inédits confiés à un monsieur, lequel a disparu sans que sa femme ni personne ne sache où il est.

    Deux jours plus tard, Max Jacob est arrêté et conduit via la Gestapo d’Orléans au camp d’internement et de transit de Drancy où il meurt d’épuisement le cinq mars à l’âge de soixante-sept ans.

    *

    Les dernières lignes signées Max Jacob furent écrites dans le train :

    Nous serons à Drancy dans quelques heures. C'est tout ce que j'ai à dire. Sacha (Guitry) quand on lui a parlé de ma sœur a dit : "Si c'était lui, je pourrais quelque chose". Eh bien, c'est moi.

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