• En lisant Lettre anonyme de Georges Hyvernaud

    Déjà parlé plusieurs fois dans ce Journal de Georges Hyvernaud lors de précédentes lectures (et du passage oublié qu’il fit à Rouen avant la guerre), là j’ai lu Lettre anonyme, projet de roman resté en chemise, qu’a fait paraître Le Dilettante en deux mille deux, avec une préface de sa femme Andrée.

    J’aime particulièrement comment ça commence :

    Tout a un nom. Les rues ont un nom –les chevaux, les chiens, les ministres. Même Dieu. Il s’appelle Dieu. C’est comme ça qu’on l’appelle. Il ne répond pas, c’est son affaire, mais il n’a pas réussi à devenir anonyme.

    En un sens, Dieu doit être un fantassin somnambule. Son métier ne le passionne guère. Du fond de son éternité, il n’aperçoit les mondes, et le notre en particulier, qu’assez confusément. Il tire sur nous en tireur distrait et fatigué. Les projectiles divins tombent là ou ailleurs. Ça démolit des pays ou des siècles, ça fait des histoires sans qu’il ait des intentions particulièrement agressives. On ne peut pas lui en vouloir.

    Le narrateur est un type qui s’ennuie. Il passe son temps à épier Chabrelu, son voisin d’en face, qui s’ennuie lui aussi avec sa femme :

    Il reste là avec la constance ingénue d’un pot de géraniums ou d’une cage à serins.

    Pour mettre un peu d'inattendu dans la vie de ce voisin (et dans la sienne), il dépose dans sa boîte à lettres une lettre anonyme lui annonçant que sa femme le trompe. Plus que l’histoire, dans ce livre inachevé, c’est le style d’Hyvernaud qui m’intéresse. Il peut rendre jaloux. Deux échantillons :

    La masse houleuse de la concierge, surchargée de lainages, et sa face de tireuse de cartes annoncent des dispositions accueillantes au romanesque quotidien.

    Coincée entre une poissonnerie et un bistrot, la librairie Leuf défendait faiblement, dans une rue vouée au commerce des victuailles, la dignité des valeurs spirituelles.

    *

    Hyvernaud, prisonnier en quarante, libéré en quarante-cinq, publie en quarante-neuf La Peau et les os où il raconte sa captivité, livre soutenu par Sartre, Martin du Gard, Calet, Guérin et Cendrars mais qui passe presque inaperçu. En cinquante-trois, il fait paraître Le Wagon à vache, récit de la vie d’après, qui est un échec cuisant. Il renonce alors à toute publication.

    « Lorsqu’il meurt, le vingt-quatre mars mil neuf cent quatre-vingt-trois, un seul critique, Jean José Marchand, évoque sa disparition. » indique la quatrième de couverture.

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