• En lisant Minutes d’un testament d’Eduardo Arroyo

    J’en ai fini avec Minutes d’un testament d’Eduardo Arroyo, vrai faux testament du peintre espagnol publié chez Grasset en avril deux mille dix, acheté une broutille au dernier quai aux livres rouennais. Ces minutes sont une suite de digressions reposantes pour le cerveau, Arroyo passant de l’âne au coq sans souci des transitions.

    Il y célèbre son goût des listes (celles, personnelles, qu’ils donnent en exemple sont décevantes), des cuisines et des cimetières, règle quelques comptes avec le monde de l’art et de la politique, raconte qu’il est parti payer ses impôts en Espagne le jour où plutôt que passer comme il en avait l’habitude par le Ministre de la Culture pour faire prolonger sa carte de résident français il a suivi le chemin de l’immigré de base et en a subi l’humiliation, fait le portrait de ses diverses maisons et de ses amis décédés (Giacometti, Delvaux, Grüber, Baudy), parle de rien et de tout.

    Exemple assez réjouissant, sa narration de la vente des effets du Mythe Errant :

    « Les chapeaux de Tonton vendus aux enchères ! » Tel est le titre de La Gazette-Drouot annonçant la vente à l’encan des souvenirs et de la garde-robe de François Mitterrand. Organisée à l’initiative de sa veuve au profit de la Fondation France Libertés dont elle est la présidente, elle a totalisé la somme de 184 571 €. Chapeau sombre Arny’s, de feutre noir, taille 57 : 9 666 €, TVA et frais compris. Le Part Socialiste s’en est porté acquéreur à la demande de son secrétaire général (…/…)

    La robe d’avocat signée Cerruti a été adjugée 8 000 €, les chaussons Church de velours noir brodés d’une rose rouge 1 000 €.  (…/…) L’acteur Alain Chabat a emporté l’enchère pour une boîte de cigares marquée d’une devise bien particulière : « Fabriqués spécialement pour François Mitterrand Président de la République Française ». Un attaché-case en métal doré et peau de crocodile trouvait preneur à 4 700 €, un agenda et un sac en crocodile à 1 300 €. Ces cadeaux portaient la mention  « Commandant en chef Fidel Castro ».

    Un passage qui m’a particulièrement intéressé, celui où Arroyo raconte ses rapports avec les livres :

      A force de parcourir marchés aux livres et librairies, les anses de plastique tendues comme des cordes de violon sous le poids des achats nous scient cruellement les mains. Ces poignées amincies s’enfoncent sans miséricorde dans nos chairs rougies par la tension et nos jambes faiblissent.

    (…/…)

    Ces livres que nos achetons parfois de façon compulsive, comment les lire tous ? Certains, nous les dévorons sans délai ; nous attendons des mois avant d’ouvrir les autres et nous en parcourons quelques-uns en diagonale : nous photographions instantanément la première page et les suivantes ; mais quand nous arrivons au dernier mot de l’angle inférieur droit de la dernière page nous n’avons rien retenu. Sauter des pages, des paragraphes, commencer par la fin, feuilleter, ce n’est pas lire, mais nous le faisons quand même tellement nous sommes rongés par l’idée insupportable de ne pas posséder notre bibliothèque, de ne pas pouvoir lire tous les volumes que nous avons accumulés et que nous continuerons à accumuler : grandeurs et misères du lecteur.

    Si Arroyo emploie le nous, c’est qu’il parle aussi de moi (et de quelques autres).

    *

    Evoquant le dernier testament de Stendhal, Eduardo Arroyo raconte le désir de celui-ci d’être enterré en Italie, donnant même l’épitaphe prévue, précisant qu’à cette fin Stendhal cesse d’être français dans son bureau de consul de France à Civitàvecchia, il donne pour certain cet enterrement italien. Comme j’ai vu, il y a quelques mois, la tombe d’Henry Beyle au cimetière de Montmartre, je m’interroge.

    *

    En bas de la rue Grand-Pont, un quidam à un Conseiller Général socialiste:

    -Bonjour, vous allez bien ?

    -Oui, toujours, par principe, lui répond l’élu du peuple.

    *

    Quatre employées de bureau se nourrissant mal pendant la pause du midi en terrasse au Son du Cor, l’une d’elles aux autres :

    -Ce que je reproche à certaines personnes, c’est d’en parler avec certaines personnes et pas aux autres.           

    Partager via Gmail Yahoo!