• En relisant avec elle les Lettres à Nelson Algren de Simone de Beauvoir

    Comme livre à lire à celle qui m’accompagne lors de ces vacances alsaciennes, j’ai dans un sac rouge de la librairie Parallèles les Lettres à Nelson Algren de Simone de Beauvoir dans l’édition Folio. Ces lettres d’amour écrites en anglais à l’amant américain sont traduites par Sylvie Le Bon de Beauvoir, fille adoptive. Elles montrent l’auteure du Deuxième Sexe sous un jour assurément sympathique, vraiment amoureuse et en racontant de belles sur ses proches : Camus, Giacometti, Genet, Vian, Cocteau, Gide, Queneau, Violette Leduc (la femme laide) et celui qu’elle nomme le pauvre Sartre (à qui il arrive pas mal de malheurs). Choutée à la benzédrine, descendant allégrement bouteilles de scotch ou de gin, hardie voyageuse, la duchesse de Bovouard est bien différente de l’image que l’on donne toujours d’elle.

    Je lui lis Simone un peu partout, nous deux assis dans les prés, sur un banc ou un rondin de bois. Au bout de quelques jours, elle a envie de lire aussi, ce à quoi je consens avec modération.

    Trois extraits qui donnent une idée :

    J’ai visité les cinq villes de Ghardaïa, les brunes, les blanches, et la bleue ravissante dans cette lumière. Ce qui ne vous plairait pas ce sont les mouches, des myriades de mouches. Une fois, le vent glacial les a exterminées par armées entières, eh bien le lendemain, elles réapparaissaient aussi nombreuses que jamais. Elles me dévorent, en ce moment, tandis que j’essaie de vous parler raison. Il y a aussi des puces. En outre ce pauvre Sartre a attrapé dès le premier jour une autre sorte de bestioles très intimes, il mourait de honte en l’avouant au pharmacien, lequel a juste souri : « Tout le monde en a, ici. » (samedi dix-huit mars mil neuf cent cinquante)

    C’est mon tour de traîner et d’être traînée en justice. Dans Le Deuxième Sexe j’ai consacré un passage aux putains, aux prostituées et, entre élégantes cocottes de 1900, j’ai mentionné Cléo de Mérode. Dimanche dernier quelqu’un, se faisant passer pour moi, a lu ce chapitre à la radio et insulté Cléo de Mérode. Si bien que j’apprends par les journaux et par une lettre personnelle que cette dame m’intente un procès. Moi de mon côté j’en intente un à la radio pour avoir frauduleusement utilisé mon nom. Voici une bonne photo de la femme en question et de moi. En fait, je la croyais morte depuis longtemps, ce qui aurait facilité les choses. (lundi vingt-sept février mil neuf cent cinquante)

    Mon mari à moi. Votre lettre m’a fait un bien énorme. Oui, j’attendrai patiemment si je sais que je suis toujours votre femme, que nous serons heureux comme nous l’avons été, que vous pensez à moi avec autant d’amour que moi à vous. Ce qui m’effraie parfois, c’est l’idée que la distance et l’attente pourraient faire s’évanouir ce que nous sommes l’un pour l’autre, vous transformer en pâle souvenir, vous ma chair et mon sang. (mardi trois août mil neuf cent quarante-huit)

    De mil neuf cent quarante-sept à mil neuf cent soixante-quatre, Simone de Beauvoir a écrit des centaines de lettres d’amour à Nelson Algren. Quand arrive la fin de nos vacances, nous n’en sommes qu’aux deux tiers du livre. La lecture continuera pendant les ouiquennedes.

    *

    Sylvie Le Bon de Beauvoir n’y va pas de main morte dans sa traduction des lettres de sa mère adoptive. La bouteille de Southern Confort devient une bouteille de Réconfort Sudiste et le roman de Nathanaël West Miss Lonelyheart se voit affubler du titre Mademoiselle cœur solitaire.

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    Tu sais que tu es de retour en Normandie quand le volatile qui survole ta voiture est une mouette et non plus une cigogne.

    *

    Près de quatre semaines sans informations et au retour, je constate que rien n’a bougé. Libye, Syrie, Egypte, Japon, Italie, France, Grèce, tout est exactement au même point qu’avant mon départ. Ne pas croire qu’il se passe quelque chose.

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