• Exposition Arman au Centre Pompidou

    Sortant de la maison Lambert, je prends la direction du Centre Pompidou où c’est le premier jour de la rétrospective consacrée à Arman. En chemin, je me laisse séduire par Mona Lisait. Sur le trottoir de la rue Saint-Martin, l’une des tables est consacrée à des piles de livres de chez Anatolia (époque collaboration avec les Editions du Rocher). Anatolia publie de la littérature étrangère et de la bonne. Ces invendus sont proposés à cinq euros. Je suis raisonnable, je n’achète que Vies de Fernando Pessoa d’Angel Crespo et Le Livre des adieux, journal de l’écrivain russe (soviétique) Iouri Olecha, totalement inconnu de moi.

    Il fait tant beau que je renonce à m’enfermer si vite à Beaubourg. Je vais m’y délester de ma charge à la consigne, après que le vigile a bien vérifié que mes livres sont des livres et non des bombes, et je file dehors faire un peu le badaud à la fontaine des Innocents. Tout autour sont assis d’autres fainéant(e)s surtout des jeunes. Une femme brune habillée en noir interroge chacun(e) avec l’espoir que cette personne accepte de faire le public dans une nouvelle émission de télévision consacrée essentiellement au foute. Beaucoup refusent, quelques-un(e)s acceptent. Quand elle arrive à moi, elle passe au suivant. Trois Céhéresses rencontrent un autre trio de Céhéresses. Ils se tapent dans les mains comme une bande de chouettes copains puis continuent à vaquer à leurs occupations. Je vais prendre un Sundae au caramel chez Mac Do.

    En fin d’après-midi, je retourne à Beaubourg et grimpe tout en haut. Peu de monde pour Arman en ce premier jour d’exposition, c’est parfait.

    Je passe rapidement dans la première salle, laquelle est consacrée aux peintures de jeunesse de l’artiste, autant dire à ses erreurs de jeunesse.

    Heureusement pour lui, vers mil neuf cent cinquante-neuf, Arman commence à s’intéresser au contenu des poubelles et à en faire l’objet d’œuvres : Déchets bourgeois, Poubelle de Jim Dine, etc. Est évoqué bien sûr octobre mil neuf cent soixante, quand, avec Le Plein, Arman emplit du sol au plafond la galerie d'Iris Clert d'objets de rebut et du contenu de poubelles sélectionnées, cela en contrepoint de l'exposition Le Vide organisée deux ans plus tôt dans la même galerie par Yves Klein, son ami.

    S’ensuivent les Accumulations d’objets divers : masques à gaz, manomètres, fers à repasser, escarpins, ressorts, poupées, rasoirs électriques, scies égoïne, la liste n’est pas exhaustive (comme on dit). J’aime particulièrement La vie à pleines dents, accumulation de dentiers.

    Viennent les Colères : destructions de meubles ou d’instruments de musique (filmées ou non) jusqu’à la performance Conscious Vandalism présentée ici avec le film où l’on voit Arman pulvériser un appartement new-yorkais de deux pièces le cinq avril mil neuf cent soixante-quinze sous les yeux des propriétaires et de leurs enfants, et les Coupes : sciage de meubles, instruments de musique ou autres objets en nombreuses pièces ensuite rapprochées pour constituer par exemple un Hommage au cubisme (guitares sciées et accumulées). Me plaît bien Solex ici et là (coupe de cinq Solex).

    J’arrive dans la salle des Combustions avec notamment Black is black de mil neuf cent soixante-quatre (combustion de prie-dieu et résine), puis me voici dans celle qui montre la collaboration d’Arman et de Renault où est montrée Renault pièces en bois (coupe de prototype en bois dans plexiglas), œuvre de mil neuf cent soixante-huit.

    Enfin la salle « J’ai refait de la peinture » montre les coulures et autres giclures du dernier Arman, avec, entre autres, Vélo du désert (bicyclette découpée, brosses et acrylique sur panneau) et une Nuit étoilée en tubes de peinture coulant, un hommage à Van Gogh qui n’est pas du goût de tout le monde. Une femme s’en ouvre à son dadais de fils :

    -C’est une horreur, on n’a pas le droit de faire une chose pareille.

    En appendice, dans la pénombre, on devine The Day After, installation de meubles calcinés en bronze.

    L’œuvre d’Arman est facile à interpréter. Ce qui m’intéresse chez lui, c’est le côté esthétique et puis sa démarche, visible ici par des vidéos où on le voit en plein saccage ou peignant avec ses pieds. Pendant que je repose les miens, assis sur un banc, je l’entends dire « je ne suis pas un révolutionnaire mais je suis un révolté ».  Je suis pareil.

    Arman est mort en deux mille cinq ayant eu de trois femmes six enfants. A l’entrée de l’exposition, un panneau indique qu’il est impossible de préciser qui est propriétaire des œuvres montrées « en raison d’un litige opposant actuellement les héritiers d’Arman ». Voilà ce qui arrive quand on accumule aussi les enfants, me dis-je, en quittant les lieux. À l’extérieur, une ultime œuvre, La Victoire de Salemotrice (accumulation Renault numéro cent), met de la couleur dans la nuit tombée.

    Dans le train qui me ramène sain et sauf à Rouen, une fille lit Sexus d’Henry Miller, ce qui lui vaut d’être entreprise par son voisin. Bientôt tous deux partagent un jeu d’ordinateur. Je termine la lecture des Chroniques de l’An 18 d’Isaac Babel, sans quiconque à mes côtés.

    Ce soir, le train ne va pas plus loin que Rouen pour une raison inconnue n’ayant rien à voir avec la grève du lendemain. Les voyageurs et les voyageuses pour Le Havre continuent donc en bus. On n’a pas idée non plus d’habiter au Havre.

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