• Exposition Emil Nolde au Grand Palais

                Un peu vaseux pour cause d’excès de nourriture coréenne, je fais comme les autres, mercredi tôt, dans le train que me mène à Paris, je me réveille doucement dans le silence ambiant. Un peu d’air frais va me faire du bien, c’est à pied que je me rends de Saint-Lazare aux Champs Elysées où au Grand Palais, je veux voir l’exposition consacrée à Emil Nolde.

                Il est un quart d’heure trop tôt et je suis le premier à attendre bientôt rejoint par d’autres qui comme moi ne savent pas dans quelle rangée on doit se mettre, selon qu’on a le billet ou pas le billet. Des employés arrivent qui mettent bon ordre dans la file, à gauche les exemptés (journalistes, mutilés de guerre et cætera), au milieu les munis de billets, à droite les sans billets. A dix heures, tout est prêt pour la fouille des sacs et entrent celles et ceux qui ne paient pas, suivis d’un groupe de lycéen(ne)s à billet collectif et là un bourgeois à chapeau et à manteau noir pique sa crise, pourquoi tous ces jeunes passent avant lui qui a un billet pour dix heures. Le préposé en est tout retourné mais un autre muni de billet le réconforte :

                -Ne vous en faites pas, il y a toujours un abruti dans une queue.

                Le moment des sans billets arrive et à dix heures cinq, je suis à l’intérieur. Selon ma méthode habituelle, je laisse les autres s’agglomérer autour des explications liminaires et devant les mauvaises œuvres de jeunesse et file plus loin où sont les meilleures, dans la salle des tableaux religieux puis à l’étage où pendant vingt minutes je suis seul avec les couleurs intenses des tableaux expressionnistes d’Emil Nolde (scènes d’auberge et de danse, masques et portraits), discrètement surveillé par les gardien(ne)s.

                Je m’attarde également devant les tableaux issus de son grand voyage dans les mers du Sud avec retour par la Russie, en mil neuf cent treize et quatorze, Famille papoue, Sauvages de Nouvelle-Guinée, un aspect de son œuvre que j’ignorais. « J’ai parfois le sentiment qu’eux seuls sont les véritables hommes et nous quelque chose comme des poupées articulées, déformées, artificielles et pleine de morgue » écrivait Emil Nolde.

                Je découvre aussi ses gravures, ses aquarelles des années trente, et retourne en bas dans la salle des tableaux religieux où se trouvent entre autres Saint Siméon et les femmes, Nus et eunuque et le polyptique consacré à la vie du Christ refusé en son temps à l’exposition d’art religieux de Bruxelles avec le jugement suivant : « l’œuvre d’un malade, un grand malade ».

                Comment le jeune Emil Nolde proche de l’extrême gauche est-il devenu nazi à soixante-huit ans, saluant « le beau soulèvement du peuple allemand » et Hitler « génial homme d’action »? Pour sauver ses tableaux, nous dit-on. Raté, il fut le peintre le plus représenté (quarante-huit tableaux) lors de l’exposition hitlérienne de l’art dégénéré et interdit de peinture jusqu’à la fin de la guerre.

                Ce qu’il a fait après, il n’est mort qu’en mil neuf cent cinquante-six, l’exposition ne le montre pas. Il est juste dit qu’après la mort de sa femme Ada en quarante-six, il épouse en quarante-huit la fille d’un de ses amis.

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