• Exposition Keith Haring, The Political Line au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris

    Il fait grand soleil ce mercredi lorsque j’arrive à Paris. Je rejoins Havre-Caumartin à pied puis le métro m’emmène à Alma-Marceau, station entièrement dédiée à Keith Haring à l’étonnement de certains voyageurs qui découvrent un artiste et apprennent qu’en surface le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris l’expose sous le titre The Political Line.

    Je vais d’abord boire un café au Galliera puis m’installe sur les marches du Musée après avoir photographié les nus des portes majestueuses. Je suis le premier, pas longtemps seul. Une file se constitue bientôt ordonnée en deux par les gardiens et leur superviseuse, d’un côté les avec billets, de l’autre les sans billets.

    Le mien acheté et mon sac déposé, j’entre et en prends plein les yeux dès la première salle. Consacrée aux œuvres du début, on y trouve déjà tout ce qui constitue l’univers de l’artiste et l’alphabet graphique qu’il utilisera durant sa courte carrière. Nous sommes en soixante-dix-huit, l’année des Manhattan Penis Drawings for Ken Hicks (parmi ces dards : les deux tours du World Trade Center) et d’Everybody knows where meat comes, it comes from the store, puis viennent les grandes peintures acryliques sur bâche vinyle, impressionnantes, ludiques et violentes, dirigées contre l’Etat, le capitalisme, la religion, les mass media (comme on disait), le racisme, la menace nucléaire, etc. C’est une virulente et profuse critique des Etats-Unis des années quatre-vingt, et au-delà de la société de consommation (à laquelle participa l’artiste en ouvrant boutique de produits dérivés).

    J’aime particulièrement la peinture sans titre où l’on voit une truie vomir un flot de marchandises et que certains tètent aux seins et Andy Mouse - New Coke (charge amicale contre un Warhol disnéisé et cocafié).

    L’une des salles est sonorisée avec la musique à danser de l’époque. Une autre est plongée dans une semi-obscurité afin qu’en surgissent les parties fluorescentes. Son gardien porte des lunettes noires. On y voit un Saint Sébastien en érection percé d’avions faisant office de flèches, une œuvre datant de quatre-vingt-quatre, en quoi je vois une prémonition du Onze Septembre. S’y trouvent aussi une Petite Sirène et un Schtroumpf couverts de dessins. Ailleurs, ce sont des vases en terre cuites ou de géants totems qui servent de supports au prolifique artiste.

    Quoi noter encore? The Great White Way (peinture sur bite géante rose), Michael Stewark, USA for Africa (hommage révolté à l’artiste graffiteur noir mort roué de coups par des policiers qui seront acquittés), A Pile of Crowns for Jean-Michel Basquiat (hommage triangulaire, enchevêtrement de couronnes, à la mort de celui-ci), Untitled – Photographers (peinture en noir et blanc, miroir pour celles et ceux qui ici ne font que photographier), Broome Street (où un homme chute dans un escalier, peinture judicieusement exposée au bas de quelques marches assez peu visibles). Sont aussi montrés des dessins à la craie évoquant les plus de cinq mille réalisés par l’artiste dans le métro de New York, ses collages de coupures de journaux contre Reagan et des œuvres réalisées en collaboration avec LA II, jeune graffeur de quatorze ans.

    J’arrive dans la dernière salle, consacrée à la fin, le sida et la mort à trente et un ans, où l’on peut voir le triangle rose Silence=Death, le diptyque Untitled for James Ensor montrant un squelette éjaculant sur des fleurs qui renaissent et un autoportrait à gros points.

    Keith Haring meurt en mil neuf cent quatre-vingt-dix, le jour de mon anniversaire.

    Je rebrousse l’exposition, croisant un peu plus de monde au fur et à mesure que je remonte la chronologie et rencontrant Fred Le Chevalier. Nous échangeons nos impressions puis repartons chacun de notre côté. Aucune visite guidée n’est là pour me perturber. Celle suivie par cinq ou six enfants d’âge maternel fait preuve de discrétion. Assis en rond autour d’une jeune fille, ils vont d’œuvre en œuvre jusqu’à la mort. Pas mal d’autres enfants sont présents, amenés par leurs parents ou grands-parents. Ils trouvent cela joli. Peu d’adultes leur expliquent de quoi il s’agit vraiment. C’est pourtant l’occasion rêvée de montrer à ces moutards dans quel monde on les a jetés.

    Revenu au point de départ, je fais encore une fois le parcours. Chaque œuvre demande au moins cinq minutes pour être totalement explorée. Entré à dix heures, je ressors à midi, ébloui au propre comme au figuré. Place de Tokyo, capitale du Japon (comme le dit la pancarte), il fait beau.

    Je reprends le métro à Alma-Marceau jusqu’à Bastille, déjeune sur le trottoir au Péhému chinois où je commence à être connu (tomate mozzarella, sauté de porc, frites de la maison, côtes-du-rhône, café, quinze euros et quelque), passe l’après-midi à errer sous le chaud soleil avec des pauses café et libraire, pensant un peu trop.

    Durant le retour vers Rouen, je lis l’un des livres achetés, les poèmes de Raymond Carver publiés en édition bilingue chez Dix/Dix-Huit sous le titre Là où les eaux se mêlent. La lune toute ronde avance à la même vitesse que le train.

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