• Exposition Lucas Cranach au Musée du Luxembourg

    Ce mercredi, c’est encore l’homme à bonnet et à sac à dos qui me sert de balise sur le quai numéro deux de la gare de Rouen. Il attend là tous les matins, j’imagine. Le sol sous ses pieds est presque creusé.  Là où il est, s’ouvrent les portes du train pour Paris. Je trouve ma place assise, à contresens en raison de l’accident possible. Bientôt la voiture se transforme en wagon-lit. Parmi les endormi(e)s à oreiller, je lis Boulevard Saint-Germain de Gabriel Matzneff dans la collection de poche La Petite Vermillon, un livre de commande pas très bien écrit qui me promène là où je vais.

    Après un tour dans les libraires du Quartier Latin et un kebab tôt mangé rue Saint-Séverin, je longe le Sénat jusqu’au dix-neuf de la rue de Vaugirard où ce jour le Musée du Luxembourg rouvre ses portes après une longue période de travaux. Je me souviens d’une exposition Modigliani vue en ses murs trop rapprochés, il y a longtemps, et me demande si ce sera mieux pour Cranach.

    Je ne suis pas le seul à avoir pensé qu’il y aurait peut-être moins de monde le premier jour. Je me retrouve au bout de la longue file qui côtoie la façade du Musée puis tourne à angle droit à l’intérieur du Jardin du même nom. Les jardiniers et les coureurs à pied considèrent d’un air incrédule ces gens prêts à attendre une heure pour visiter une exposition de peinture. Une heure ou plus, ça discute dans la file, et quand au bout d’une demi-heure arrive un costaud à oreillette qui annonce encore une heure et demie, plusieurs devant moi s’en vont, disant qu’ils reviendront, que ça dure jusqu’en mai. Grâce à eux, vingt-cinq minutes plus tard, je suis à l’intérieur, constatant que les travaux n’ont pas supprimé le manque de place.

    Les salles sont de plus plongées dans la  pénombre. Seules les œuvres sont éclairées. Pour quelqu’un comme moi qui aime autant voir le public que ce qui est sur les murs, c’est dommage. Je me contente d’ouïr mes semblables et d’admirer les tableaux de Lucas Cranach dit l’Ancien, pas très nombreux, complétés de dessins de lui-même et d’œuvres d’autres, dont son fils dit le Jeune. En a-t-on pour ses onze euros, ça se discute.

    Evidemment, ce sont les nus de l’Ancien qui me retiennent le plus. Ces jeunes femmes longilignes à la taille étroite et aux petits seins ont tout pour me plaire : Eve en plusieurs exemplaires, Lucrèce prête à se poignarder, L’Allégorie de la Justice, La Nymphe de la source. Elles sont regroupées dans une salle que je fais mienne. Je ne dédaigne pas pour autant les portraits dont l’Autoportrait de mil cinq cent trente et un. Bien intéressantes aussi sont les peintures montrant Le Martyre de Sainte Catherine (assez Figuration libre par anticipation), La Mélancolie, Les Amants mal assortis et Salomé tenant la tête de Saint Jean-Baptiste.

    Il y a un peu moins de monde dans les salles. Je repasse devant chaque œuvre avant de sortir. Un moutard de deux ans dans les bras de sa grand-mère veut, quant à lui, revoir une seule œuvre, ce qu’il revendique bruyamment :

    -Je veux revoir la tête du monsieur dans le plat !

    Il obtient gain de cause et nous sortons par la librairie, vieille tactique commerciale, laquelle est partiellement occupée par un studio de France Inter, c’est dire si cette exposition Cranach vise le plus grand nombre. Il est treize heures trente. Dehors, la file d’attente est moins longue.

    Profitant de sa proximité, j’entre pour la première fois dans l’église Saint-Sulpice dont Gabriel Matzneff fait grand cas dans son livre de pérégrinations. L’intérieur m’apparaît comme son extérieur, sans charme et de peu d’intérêt.

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    J’apprends en lisant ce Boulevard Saint-Germain de Gabriel Matzneff que Cioran a eu des obsèques religieuses (en l’église orthodoxe des Trois-Saints-Archanges, rue Jean-de-Beauvais) et que c’est une camionnette de linge sale qui a renversé Barthes (devant le Collège de France, rue des Ecoles).

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    Dans le chapitre intitulé Rue de l’Université, Matzneff ne manque pas de rendre hommage à deux de ses semblables :

    Tallemant des Réaux a habité au numéro 17 de 1646 à 1655. Il venait d’épouser sa cousine Elisabeth de Rambouillet, qu’il demanda en mariage lorsqu’elle avait onze ans et qu’il conduisit à l’autel quand elle en avait treize.

    En 1728, un autre confrère, Bernard de La Monnoye, est mort au numéro 26 à l’âge de quatre-vingt-sept ans, asphyxié par un poêle pendant leur nuit de noces avec sa troisième femme, âgée de seize ans.

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    Ce qui me fait penser que je ne n’ai toujours pas lu les Historiettes de Gédéon Tallemant des Réaux avec lesquelles Sarane Alexandrian a comparé mes propres histoires dans la préface qu’il fit à mon recueil Erotica sous le titre Un anecdotier de l’érotisme.

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