• Expositions Oda Jaune à la galerie Daniel Templon et Sally Mann à la galerie Karsten Greve

    Après une courte nuit, je prends ce mercredi matin un train pour Paris. Il s’agit d’un modèle récent, propriété de la région Haute-Normandie, avec dans les voitures colorées un coin salon et un garage à vélo, des nouveautés dues aux modes actuelles. Elles diminuent le nombre de places assises et obligent certains de ceux qui vont travailler dans la capitale à voyager debout. J’ai la chance de trouver un siège à l’étage dans l’un des carrés minuscules où l’on cogne les genoux de la personne d’en face, de quoi regretter les vieux trains Corail.

    Au Quartier Latin, je fais le tour de mes librairies préférées sans me charger beaucoup, déjeune tôt chez le kebabier puis traverse la Seine. Dans le Centre Pompidou, je me rends au café La Mezzanine et y attends celle qui étudie ici. Elle arrive bientôt, souriante et fatiguée, et me raconte ses déboires avec l’assistante sociale de son école, une mollassonne qui a oublié de prévenir les élèves des possibilités de bourses. Je connais ce genre de personnes, qui valent certaines infirmières scolaires, dont on ne voudrait pas ailleurs que dans l’Education Nationale. Après m’avoir rappelé l’exposition d’Oda Jaune chez Templon, elle me quitte pour aller s’entretenir avec un employé de banque puis retourner à son travail. Avant que nous quittions Beaubourg, je demande à l’accueil ce qu’on a fait du Pompidou de Vasarely encore il y a peu accroché au plafond. Il doit être parti au nettoyage, me dit-on.

    Je vais directement chez Templon. Oda Jaune était déjà exposée ici il y a un an et ça m’avait plu. Elle y est de retour avec Once in a Blue Moon, un ensemble d’huiles sur toiles complétées de quelques aquarelles. Qualifiée aujourd’hui de peintre d’origine bulgare, elle s’est récemment installée à Paris. Sa peinture se situe toujours entre surréalisme et expressionnisme, corps greffés et déformés, dont certains me font penser à Bacon, un mélange de douceur et de violence. Presque tout est vendu. Ma toile préférée est Wonderful. Elle montre un visage en gros plan, le regard chaviré, des doigts écartant la bouche verticale vulvaire.

    Je me rends ensuite rue Debelleyme chez Karsten Greve pour voir les images en noir et blanc de la photographe américaine Sally Mann présentées en deux salles. Dans la première sont visibles les photos retravaillées du corps nu et fatigué de son vieux mari malade. Dans la seconde, divisée en plusieurs espaces, ce sont des paysages flous qui m’indifférent sauf l’un où l’on voit surgir de la terre les os d’un cadavre décomposé depuis longtemps. Entre les deux lieux, un peu cachées dans un couloir, trois photos témoignent de l’époque où Sally Mann photographiait ses propres enfants, ce qui lui a valu plus tard d’être qualifiée de pédophile : deux photos de nu et l’une montrant sa fille une cigarette en main le regard provocant. Je sors de là en me disant que j’aime moins ce qu’elle fait maintenant que ce qu’elle faisait avant.

    Je passe ensuite chez Book-Off (sans y trouver de quoi me plaire) puis vais me nourrir un peu au Couique de Saint-Lazare. Derrière moi, une fille explique à ses amis qu’elle a retrouvé son père biologique mais que celui-ci ne veut pas la voir :

    -J’ui ai téléphoné, j’ui ai dit j’suis ta fille, ma mère c’est Samira. Quelle Samira ? y m’a dit, j’en ai eu plus d’une dans mon lit de Samira. J’y ai dit j’t’appelle pas pour te demander kekchose, j’ai un beau-père, y s’est bien occupé de moi, y m’a même pas fait d’attouchements sexuels.

    Le soir venu, attendant le train du retour, je m’attarde devant un panneau consacré à la chute des feuilles et à ses conséquences sur la circulation des trains. « La chute des feuilles provoque des ralentissements » m’apprend la Société Nationale des Chemins de Fer. Ces ralentissements sont de deux ordres : patinage et enrayage. Le patinage, je vois bien ce que c’est. L’enrayage, c’est plus compliqué et ça allonge la distance de freinage.

    Une heure et quart plus tard, je suis à Rouen, patinage et enrayage n’ayant pas fait des leurs.

    *

    Dans ce même Couique, une autre fois, une famille, père, mère et deux grands enfants, récitant le bénédicité devant leurs hambourgueurs en plastique mou, leurs frites en carton et leurs sodas à téter avec une paille. : « Bénissez, Seigneur, bénissez ce repas, ceux qui l'ont préparé et procurez du pain à ceux qui n'en ont pas.  Ainsi soit-il. »

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