• Henri Calet non plus n'aimait pas le travail

    Je lis maintenant, en terrasse au Son du Cor, puis dans la salle d’attente du kinésithérapeute, Peau d’ours paru chez Gallimard dans la collection  L’Imaginaire, ouvrage qui regroupe les dernières notes d’Henri Calet, écrites avant que ne le tue une maladie de cœur, qui s’achève ainsi :

    C’est sur la peau de mon cœur que l’on trouverait des rides.

    Je suis déjà un peu parti, absent.

    Faites comme si je n’étais pas là.

    Ma voix ne porte plus très loin.

    Mourir sans savoir ce qu’est la mort, ni la vie.

    Il faut se quitter déjà ?

    Ne me secouez pas. Je suis plein de larmes. 

    Les dernières années de sa vie sont compliquées : père d’un enfant en bas âge, quitté par sa femme, partagé entre plusieurs maîtresses, sans le moindre sou, il doit reprendre un travail de bureau qui ne l’enchante guère et dont il démissionnera vite, non sans avoir pris des notes sur le sujet. Il me plaît d’en regrouper une partie :

    L’homme disparaît dans sa fonction, tout en surface : Directeur. Secrétaires. Administrateurs. Garçons de bureau.

    Ils cherchent tous à se persuader qu’ils sont « quelqu’un ». Ils n’existent qu’au bureau ; ils ne sont rien dans la vie, ni chez eux : des employés. Pas de téléphone, tandis qu’ici on téléphone au loin, on a une dactylo, on commande…

    Ces gens n’ont pas de vie propre, ils ne s’appartiennent pas. Il n’est pas sûr qu’ils en souffrent.

    Voués au bureau : huit heures et deux heures d’autobus.

    Le reste (l’essentiel), on ne s’en occupe que par raccroc.

    En prison parmi des choses qui ne m’intéressent pas, qui ne comptent pas –les gens eux-mêmes n’existent plus.

    On vous apprend à ne plus être, vous êtes un pauvre type, on vous contredit, on vous commande, vous ne pouvez plus avoir raison.

    Soumis, polis envers les supérieurs.

    Arrogants envers les autres : éconduire les représentants désespérés.

    Le soir, on rentre fatigué –soucis de bureau- pour retrouver les soucis domestiques, reprendre la discussion au point où on l’a laissée le matin (ou à midi). Et pour finir : dialogue injurieux.

    Henri Calet est mort le quatorze juillet mil neuf cent cinquante-six à l’âge de cinquante-deux ans.

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