• Iggy Pop en concert à l'Armada de Rouen

                Dimanche, dernier jour de fête à Rouen sur les quais de la Seine, elle est d’accord avec moi, on en a assez vu, on laisse la place aux autres, à tous ces gens venus d’ailleurs en car et qui ont l’air de quitter leur campagne pour la première fois de leur vie. On ne va même pas à onze heures bénir les bateaux avec l’imam, le rabbin, le pasteur, le pope et l’archevêque, d’autant que ce dernier, il faut s’en méfier : il est déjà tombé une fois dans la Seine au cours de cette Armada deux mille huit. Cette cérémonie ridicule m’en rappelle une autre quand enfant mes grands-parents et parents me traînaient à Villers-sur-le-Roule où le curé bénissait la voiture rangée avec des dizaines d’autres sous les pommiers autour de l’église. Qu’un peu d’eau bénite puisse empêcher d’avoir un accident me faisait déjà douter de tout.

                Non, la messe, c’est pour le soir avec Iggy Pop en concert. En attendant le célébrant, quatre Irlandais nous jouent leur musique entraînante puis Marteen, groupe local, sa musique pop rock et il arrive torse nu évidemment avec derrière lui ses musiciens dont deux Stooges, les frères Asheton, des enfants de chœur. Les fidèles sont en très grand nombre, dont certains à tête inquiétante, le genre de personnages sur le pied desquels il vaut mieux éviter de marcher et puis tout un tas de branlotins et branlotines excité(e)s qui s’agglutinent devant, là où ça bouge vraiment et où on peut s’envoyer en l’air et retomber dans les bras des autres. Iggy fait monter la mayonnaise avec ses yeux de fou, ses cris de vampire et ses courses effrénées. Il passe par la fosse, lance son micro dans la foule, fait grimper une poignée de fidèles sur scène, surtout des garçons qui lui crient à poil, il fait semblant de baisser son pantalon, mon voisin trouve que ça c’est pas terrible.

                Il est en pleine forme Iggy et enchaîne les morceaux sans souffler, vidant moult bouteilles d’eau sur sa tête. Les deux Stooges sont moins fringants, bedaines et bajoues, doivent peu fréquenter les salles de culturisme. Quand l’un d’eux se roule sur scène avec sa guitare et qu’il lui faut se relever, c’est assez pitoyable.

                Un des spectateurs, proche de nous, quinquagénaire à cheveux gris, à tête d’employé de banque, entre en transe le temps d’un retour de jeunesse puis se calme subitement, avant de rechuter.

                Je ne sais combien nous sommes ce soir et pour nous donner une chance d’atteindre le bord de Seine pour le feu d’artifice, je l’invite à me suivre dès la dernière chanson de rappel faite, laissant la foule applaudir celui qui ne reviendra pas et elle et moi sortons de cette grand messe pas tout à fait transformés en fidèles mais néanmoins conquis.

                C’est le dernier feu d’artifice et donc le plus beau, avec cascades de lumière tombant du tablier du pont levant, giclures dorées jusqu’en haut des piliers, et explosions colorées partout dans le ciel à en faire rougir la lune.

                Le bain de foule est ensuite inévitable avec blocage temporaire pour laisser passer un cortège de chaises roulantes.

                Combien de centaines de milliers d’êtres humains tentent en même temps que nous de rentrer chez eux je ne sais mais quand ça s’éclaircit un peu, elle et moi sommes bien contents de pouvoir respirer.

                Pas loin du pont Corneille, alors que la foule est clairsemée, une agitation soudaine nous apprend une nouvelle chute en Seine. D’un bateau à quai surgissent deux hommes, l’un porteur d’une bouée, l’autre d’un téléphone d’alerte. Dans la précipitation, l’appareil échappe à son propriétaire et finit au fond du fleuve. Un canot néanmoins s’approche, des secouristes à son bord. Un musicien passe, soufflant dans son colossal instrument, sans se rendre compte qu’à deux pas de lui, un drame est peut-être en train de se jouer.

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