• Inauguration d’Ubi, lieu artistique mutualisé

    Samedi vers dix-sept heures trente, j’entre au numéro vingt de la rue Alsace-Lorraine, cette artère rouennaise où circulent essentiellement les bus Teor et les ambulances sirènes hurlantes vers le Céhachu. Ce dix-neuf avril deux mille quatorze, on y inaugure Ubi, un lieu artistique mutualisé de six étages en briques solides que vont se partager la Piccola Familia (théâtre), la Mam Galerie (art contemporain), Jabran Production (audiovisuel), l’Ensemble Variances de Thierry Pécou (musique contemporaine), Oscar (employeur culturel), la Compagnie Sylvain Groud (danse), la BBC Compagnie de Bruno Bayeux (théâtre) et le Centre Dramatique National de Haute-Normandie.

    Je me faufile dans la foule et, par l’escalier étroit, atteins les hauteurs du dernier étage où je trouve deux têtes connues de moi dont l’une à chapeau. Ce niveau sera dévolu à l’hébergement d’artistes dits en résidence, un salon, une salle de bains, deux chambres dont l’une sans fenêtre pour celui qui arrivera le dernier. Une échelle de meunier permet d’accéder aux combles qui seront peut-être aménagés un jour. Redescendant, je visite, d’étage en étage, les lieux où sont maintenant installées les administrations des troupes de Thierry Pécou et de Sylvain Groux dont je connais le travail par leurs créations montrées à l’Opéra de Rouen, et celle de la compagnie de Bruno Bayeux avec qui j’ai eu l’occasion de parler quelques fois. Deux hommes montant s’inquiètent de l’argent que ça coûtera de chauffer tout ça l’hiver.

    Il me reste à voir le sous-sol transformé en lieu d’exposition par la volonté de quelques étudiant(e)s des Beaux-Arts et, revenu au rez-de-chaussée que se partagent un café associatif et la galerie d’art de Marie-Andrée Malleville (à l’origine de ce vaste projet mêlant les artistes de domaines divers et le public au privé), j’échange quelques mots avec cette dernière avant d’aller chercher un verre de kir normand à l’orangeade au bar. C’est aussi le vernissage de la première exposition de la Mam Galerie et j’en fais le tour. L’artiste invité est Marc Hamandjian. Sous le titre Le futur a déjà commencé, il montre plusieurs de ses véhicules blancs à écrans multiples destinés à l’exploration lunaire, ainsi que des maquettes de même couleur. Il est question de quitter la terre et bien sûr chacun sait qu’on n’ira nulle part.

    Je retourne au bar pour un autre verre et grignote quelque nourriture offerte. Près de moi une beauzarteuse montre un livre à l’un de ses condisciples en parlant d’un troisième :

    -Il l’a volé à la Japan Expo et puis il me l’a donné, c’est trop mignon.

    Des livres, il y en a ici aussi, près de la porte des vécés qui connaissent un franc succès, un peu de tout, à disposition dans des rayonnages, au risque d’être volés. D’ailleurs, il me semble voir la compagne d’un géant blond en glisser un dans son sac mais c’est peut-être l’effet de mes deux verres de kir au cidre et à l’orangeade. Le silence est demandé afin que des membres de l’Ensemble Variances fassent entendre leur musique. D’abord, à la flûte, une composition de l’absent Pécou qui désarçonne certain(e)s qui se le signifient par des regards échangés. Cela ne s’arrange pas avec Varèse. On peut être spécialiste de l’art dit contemporain et ne rien connaître ou comprendre à la musique dite contemporaine et réciproquement. La proximité nouvelle y remédiera peut-être.

    Un jeune homme prénommé Alexandre, dit Alex, de la Piccola Familia, prend alors la parole pour raconter l’aventure que fut la réalisation matérielle de ce lieu qu’il veut « intelligent, fun, populaire et accessible » puis Marie-Andrée Malleville se charge des remerciements à la centaine de bénévoles qui a effectué les travaux pendant des semaines, au couvreur Verhaeghe qui vient de lui remettre un chèque, à la société R’Net qui a déblayé gratuitement des masses de gravas, à la Sénatrice Morin-Desailly qui a donné de sa réserve parlementaire, à son mari antiquaire pour le prêt des tables et sièges du bar, à la Matmut « qui ne met pas son argent que dans les projets mirobolants ». Elle en oublie et moi aussi.

    Fendant le monde qui continue à arriver, je me dirige vers la sortie, croisant en chemin une connaissance qui me félicite d’être de toutes les mondanités. Près de la porte sont deux jeunes filles auprès de qui il est loisible d’adhérer, moyennent cinq euros pour un an. Ma carte porte le numéro cent huit.

    *

    J’habite à Rouen depuis une quinzaine d’années et c’est la première fois qu’il s’y passe quelque chose de neuf. Peut-être trouverai-je ma place seul avec un livre ou mon ordinateur dans ce café associatif. Si du moins il ne devient pas repaire de bobos comme me le fait craindre l’invitation de Marie-Andrée Malleville à s’y retrouver ce dimanche midi pour un repas « retour du marché ».

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