• Inauguration de la bibliothèque de quartier Simone-de-Beauvoir dans le bâtiment de la Non Médiathèque de Rouen

    A Paris, la passerelle Simone-de-Beauvoir mène à la Très Grande Bibliothèque voulue par le Mythe Errant. A Rouen, c’est la petite bibliothèque de quartier nichée dans le bâtiment de la Non Médiathèque qui porte le nom de l’écrivaine féministe.

    Ce vendredi soir, c’est l’inauguration officielle et l’entrée est libre. Ce pourquoi, sous une pluie neigeuse, protégé plus mal que bien par mon parapluie, je me hâte vers le bâtiment que l’on doit à Rudy Ricciotti et qui aurait dû abriter une Médiathèque digne d’une ville qui se prétend Capitale. Laurent Fabius, ancien Premier Ministre du Mythe Errant, et Valérie Fourneyron, Députée Maire socialiste, en ont décidé autrement.

    Si la municipalité de Rouen a choisi le nom de Simone de Beauvoir pour la bibliothèque du quartier Grammont, c’est, explique Rouen Magazine (bulletin officiel), parce que cette « figure tutélaire de la lutte pour l’émancipation de la femme, (…/…) a enseigné la philosophie au lycée Jeanne-d’Arc de mil neuf cent trente-deux à mil neuf cent trente-six. »

    Cette vie de professeur, Simone de Beauvoir l’évoque dans sa correspondance avec Nelson Algren, son amant américain, dans une lettre datée du vendredi deux janvier mil neuf cent quarante-huit où elle lui raconte comment elle a fêté l’année nouvelle :

    Au réveillon du nouvel an, bien sympathique, la vieille dame et sa petite-fille se sont enivrées de champagne ; la petite, charmante, enfantine et garçonnière bien qu’elle ait près de quinze ans et soit fort jolie, a dansé et fait des sauts périlleux. C’est troublant, une fillette de cet âge, ça sait tant de choses et en ignore tant d’autres. Si j’étais née homme, peut-être aurais-je été un grand pervers, ça doit sûrement procurer de vifs plaisirs de coucher avec des filles très jeunes et d’être aimé d’elles, mais à la vérité je les aurais vite laissées tomber,car souvent elles sont trop sottes, trop puériles et deviennent vite assommantes. Quand j’étais professeur, elles tombaient fréquemment amoureuses de moi, ce qui ne m’a pas toujours déplu, trois ou quatre fois même je me suis laissé prendre au point d’en arriver à me conduire très mal…

    Dans cette même missive, tirée du recueil titré Lettres à Nelson Algren (Folio) que j’ai lu l’été de la clavicule cassée, Simone de Beauvoir parle de son goût pour les bibliothèques :

    J’aime l’idée de fréquenter les bibliothèques comme du temps où j’étais étudiante, pour m’instruire, et réfléchir sur ce que j’apprends.

    Ce goût des bibliothèques publiques, Simone de Beauvoir le doit à sa mère qui l’a inscrite petite fille dans l’une. Elle le raconte dans les Mémoires d’une jeune fille rangée, un point commun que l’on a, elle et moi.

    J’arrive tôt et en profite pour monter par l’escalator au deuxième étage du bâtiment de Rudy Ricciotti avant l’arrivée de la foule. La bibliothèque Simone-de-Beauvoir a tout d’une bibliothèque de quartier, petite et organisée comme les autres, mobilier laid et de médiocre qualité. Elle jouxte le vaste espace, pour l’instant vide, où aurait dû se trouver la salle de lecture de la Médiathèque, bientôt dévolu au stockage des archives de la Seine-Maritime. Y sont disponibles surtout des bédés, des mangas et des dévédés (on est dans un quartier de pauvres).

    J’en visite les toilettes, minuscules malgré l’espace disponible, trop peu nombreuses et mal conçues, puis redescends au premier par les escaliers (l’escalator n’est que montant). Accoudé au garde-corps, je regarde arriver le monde dont certain(e)s habitant(e)s du coin, intimidé(e)s. Une troupe de bouffons déguisés est chargée d’animer l’attente, saluant bruyamment les arrivant(e)s et les époussetant, ce qui en dit long sur l’époque.

    Arrivent Madame le Maire de Rouen, son adjoint aux bibliothèques, le Président du Conseil Général, le Président du Conseil Régional, Monsieur le Préfet et Monsieur l’Architecte. N’arrive pas mais presque, une jeune femme qui tombe entièrement dans le plan d’eau qui longe le bâtiment (je la vois repartir dégoulinante avec son compagnon). N’arrive pas du tout, Fabius, le chef d’agglo qui voulut détruire ce bâtiment.

    C’est la série des discours, ceux des politiques dont je ne retiens rien et celui de Ricciotti apparemment improvisé mais qui reprend mot pour mot les propos tenus par lui ici même lors de la visite de chantier le trente et un mars dernier : glorification de la loi Solidarité et Renouvellement Urbain votée à l’unanimité et des métiers du bâtiment non délocalisables et non piratables (il termine en tirant de sa poche le livre lu dans le train, un policier dont l’auteur, Max Obione, est rouennais et présent dans la salle et en lit une phrase qui parle d’un architecte). Bref, c’est du Rudy tout craché, charmeur et un brin démago.

    Reste à couper le ruban, ce qui se fait sans que je le voie, puis, suivis par les bouffons, les politiciens et l’architecte vont voir leur petite bibliothèque de quartier cependant que l’on se rue sur les buffets : champagne et petits fours de l’Institut National de la Boulangerie Pâtisserie. Près de moi, l’un des membres d’un trio dit qu’il ne désespère pas de voir un jour une Médiathèque dans ce lieu. Je n’en crois rien.

    Sans attendre le concert du groupe Quattrophage aux trois albums « dont un sur le label mythique Sordide Sentimental », je rentre chez moi. Ce soir, j’ai envie de lire.

    *

    Cette Non Médiathèque fonctionne, avec l’argent de la ville de Rouen et celui du département de Seine-Maritime, donc avec l’argent des mêmes et celui de l’agglo de Fabius, il aurait été possible de faire fonctionner une Médiathèque.

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