• Installation des Trois Mousquetaires (quatre panneaux provenant de la façade de feu le Palais des Congrès de Rouen) et hommage à Jean-Pierre Duprey au Cimetière mondial de l’Art à Nolléval

    Celle qui est assise à côté de moi dans la voiture samedi matin est arrivée la veille au soir, plus tôt que les autres ouiquennedes, afin de ne pas manquer l’installation des Trois Mousquetaires au Cimetière mondial de l’Art à Nolléval, quelque part vers Vascœuil et Ry. En chemin, nous nous arrêtons à Darnétal où c’est vide grenier. Elle compte trouver des chaussures et moi des livres, espoirs déçus.

    Nous reprenons la route. Arrivés à Vascœuil, je demande à un garagiste où Nolléval. C’est tout de suite à gauche, puis Le Héron, puis à droite à la fourche. Jolie route, vieilles églises, somptueuse bâtisses, nous voici arrivés, reste à trouver la friche ferroviaire. J’entre À la petite vitesse, le café épicerie charcuterie tabac maison de la presse dépôt de pain du village (à vendre).

    -Le truc de l’art, me dit la dame, c’est là à gauche.

    Effectivement, j’aperçois celui que je connais sous le pseudonyme de marchalduchamp en plein débroussaillage.

    -Vous êtes en avance, nous dit-il.

    C’est exact. Nous retournons À la petite vitesse (elle photographie au passage un campigne-car AC/DC stationné sur le parquigne de l’ancienne gare). Pour elle un chocolat, pour moi un café verre d’eau, nous profitons de l’ambiance rurale, achetons une demi baguette puis allons voir l’église de briques rouges. Il est temps.

    Les Trois Mousquetaires sont quatre panneaux provenant de la façade de feu le Palais des Congrès de Rouen, trois d’entre eux sont couchés à l’entrée du cimetière. Nous marchons dessus et atteignons le bâtiment devant lequel se trouvent Patrice Quéréel, propriétaire des lieux et maître de cérémonie, ainsi que quelques invité(e)s. Bientôt, d’autres nous rejoignent ainsi que des journalistes.

    Patrice Quéréel, à la demande, fait une visite guidée des œuvres enterrées les années précédentes, narrant moult anecdotes. Nous voici devant « J’irai pisser sur ma tombe » le monument élevé sur la tombe de Pierre Pinoncelli, qui fut ici enterré vivant, puis la cérémonie peut commencer.

    Alain Elie, architecte, qui a travaillé avec Jean-Pierre Dussaux à l’élaboration du Palais des Congrès de Rouen dont la destruction est en voie d’achèvement, grimpe sur l’un des panneaux. Il nous raconte comment dès le début le projet fut dénaturé par les exigences de rentabilité avec l’adjonction de logements et de commerces empêchant l’entrée côté cathédrale comme il était prévu et les déboires successifs amenant à l’abandon du bâtiment puis à sa destruction. L’une des présentes dévoile la plaque en mémoire à ce palais décrié. Patrice Quéréel offre alors à Alain Elie l’épée d’Aramis. Un joueur de scie musicale s’installe sur le panneau pour une aubade, sortant avec son archet des sons étonnants (on ne scie attend pas, me murmure celle qui me tient la main).

    Nous avons apporté nos reliefs pour le pique-nique. Sous quelques gouttes, celle qui m’accompagne tranche son pain de thon et ouvre la bouteille de merlot que j’ai acheté la veille et qu’apprécie fort marchalduchamp, chips, petites tomates de différentes couleurs, gâteau offert par l’une des présentes, café, en digestif un concert de scie musicale dans le château d’eau qui servait à alimenter les locomotives il y a fort longtemps, pendant lequel tel un extraterrestre surgit un cycliste à casque.

    Beaucoup sont parti(e)s, nous ne sommes qu’une poignée pour l’enterrement des cendres d’un dessin signé par Dali dont Patrice Quéréel nous narre l’histoire. Dali, dans les années soixante-dix, a réuni à l’hôtel Meurice, moyennant finance, des admirateurs et admiratrices autour d’une table sur laquelle se trouvait un éphèbe nu. Chacun(e) a dessiné l’éphèbe. Dali est arrivé, a fait des oh et des ah et a signé les dessins. Une dame amie de Patrice Quéréel, dégoûtée, lui a offert son dessin signé Dali. Ce dessin servit plus tard de décor à un distributeur d’argent gratuit qu’avait installé notre hôte en bas de la rue de la République à Rouen, lequel fut victime d’un incendie volontaire. Le dessin brûla pour lequel l’assurance ne voulut rien savoir. Ses cendres dans un pot à confiture sont donc enterrées et l’emplacement marqué par une Vénus de Milo ayant retrouvé ses bras, l’un se terminant en tête de serpent et l’autre perdu entre ses cuisses.

    Derrière cette nouvelle tombe se trouve le quatrième Mousquetaire provenant du Palais des Congrès. Notre hôte nous lit un extrait empli de clichés insupportables du roman de Dumas puis d’un coup de pied bien ajusté envoie le livre sous le panneau qui en devient la pierre tombale. La voisine rappelle prudemment son chien qui aboie au grillage

    Le cycliste extraterrestre enterre alors un bouchon avec lequel il était lié pour une raison obscure (en quoi est-ce une œuvre d’art morte je ne sais) puis celle qui m’accompagne confie aux branches d’un arbre sa maquette du Muséum de Paléontologie et d’Anatomie comparée augmentée de son installation en toile de tente et carton trois millimètres, une œuvre traitée par le mépris par les dirigeants du Muséum parisien, comme toutes les idées des élèves de son école à qui on avait demandé de rénover l’architecture intérieure de la bâtisse poussiéreuse.

    Pour finir, en hommage à Jean-Pierre Duprey, le poète rouennais compisseur de flamme de soldat inconnu, enfermé puis suicidé, au pied de son Arc de Triomphe composé de panneaux provenant du centre commercial de la Grand Mare sous lequel se trouve une sorte de pot de chambre à utiliser par qui veut, Patrice Quéréel creuse d’un vigoureux coup de pioche et enterre La fin et la manière dans la belle édition sous coffret du Soleil Noir.

    Il est temps de se séparer après s’être donné rendez-vous pour de nouveaux enterrements d’œuvres mortes l’an prochain, parmi lesquelles seront des morceaux de la façade de l’Hôtel Romé.

    *

    Le Festival Normandie Impressionniste donne à fond dans le ridicule cette semaine. Vendredi, à l’Opéra de Rouen et en direct sur France Inter, l’émission Le Fou du roi de l’insupportable Stéphane Bern. Parmi les invités un certain Arno Queen. C’est Arne Quinze qui va être content. Samedi, sur une idée de Laurent Fabius, place de l’Hôtel de Ville, en un bel ensemble digne des démocraties populaires, mille deux cent cinquante personnes réaliseront une pseudo cathédrale impressionniste vue du ciel de six cent mètres carrés destinée à figurer dans le Livre des Records. Personne pour se demander ce que Monet aurait pensé de cela.

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