• Joël Hubaut s’expose à la galerie Mam, c’est Lektric-Fiction rue Damiette à Rouen

    Je prends ma veste et constate qu’une chiure d’oiseau en décore la manche. J’ai dû ramasser ça en terminant la lecture des Entretiens de Cioran en terrasse au Son du Cor. Cela m’arrive plus souvent qu’à mon tour. Ne peut-on pas devant cet estaminet couper quelques arbres ?

    Je nettoie et suis tout à fait présentable peu après rue Damiette où Joël Hubaut, grossiste en art, s’expose chez Mam pour Lektric-Fiction : cathédrale de Rouen, cuirassé d’Al-Qaïdada, saucisses d’industrie et bien d’autres choses que je ne regarde pas vraiment, requis par les présent(e)s.

    Joël Hubaut est là et aussi en photo sur le mur, étrangement habillé. On le prend en photo près de sa photo. Je prends un verre de vin, goûte aux taustes colorés à sa manière en parlant avec une connaissance, puis un autre verre de vin que trinque l’artiste et que je bois doucement en parlant avec un de mes nouveaux amis Fesse Bouc qui me raconte qu’il est passé en voiture quand je faisais du stop vers Val-de-Reuil, m’ayant fait signe qu’il tournait à droite.

    Parfois, il me suffit de deux petits verres de vin pour être éméché, aussi ne suis-je pas en mesure de parler des œuvres exposées, ni même de leur créateur. Heureusement, il y a le communiqué de Mam Galerie (tu picoles donc tu copicolles), lui-même tiré de la présentation de l'ouvrage Joël Hubaut, Re-mix épidemik (Esthétique de la dispersion) paru aux Presses du réel : « né à Amiens en mil neuf cent quarante-sept, vit et travaille à Réville dans la Manche, épidémique en tout et partout, est une figure et une force excentrique dans le paysage de l'art contemporain en France : hors limite, irrégulier, à l'entrecroisement des domaines (dessinateur, peintre, vidéaste, chanteur, écrivain, organisateur d'événements, enseignant). C'est une entreprise proliférante qui zigzague en France depuis plus de trente ans. Si l'art est Action alors Hubaut est un actant qui construit des échanges et des interactions. Artiste trans-media, doué d'une énergie centripète et centrifuge, il est l'architecte mobile d'une chaotique trans-historique. Oeuvre vivante en gestation permanente, Hubaut est devenu une entreprise de projets collectifs, en utopien rebelle à toutes les soumissions. On the road, avec Kerouac et Pelieu, Satie et Duchamp, Picabia et Beuys, Malevitch et Filliou, Pierre Dac et Rabelais, Fourier, Brisset, Artaud et Luca. Vociférateur burlesque, tendance carnaval, Guignol et Pinocchio, terrien et vivant. »

    Le dommage là-dedans, c’est enseignant. Joël Hubaut est professeur à l’Ecole Supérieure d’Arts et Médias de Caen. Tout le monde ne peut pas être joueur d’échecs.

    Vient le meilleur moment des vernissages chez Mam : le passage de l’énorme camion poubelle dans l’étroite rue Damiette. Ce soir, le tableau de bord du mastodonte est garni de tulipes, peut-être est-ce l’anniversaire du chauffeur. Celui-ci offre quelques-unes de ses fleurs aux beauzarteux nécessiteux.

    Cette performance achevée, un homme m’aborde :

    -Vous êtes l’artiste ?

    -Ah non.

    Il prétend que je ressemble à la photo, que j’ai la même coupe de cheveux. Je lui montre où est le vrai, mais il ne va pas le voir.

    Joël Hubaut raconte que les saucisses sont fabriquées avec les yeux des animaux, à quoi une vernisseuse répond qu’elle pensait que c’était avec les couilles, ce que j’incline aussi à penser, puis il signe quelques ouvrages à ses admirateurs. Je termine mon deuxième verre.

    Un jeune homme s’approche, me sourit :

    -C’est vous sur la photo ?

    -Oui.

    *

    Michel Emil Cioran dans son entretien avec Michael Jacob en mil neuf cent quatre-vingt-quatorze : « Il fallait tout faire pour ne pas gagner sa vie. Pour être libre, il faut supporter n’importe quelle humiliation et c’était bien le programme de ma vie. A Paris j’avais très bien organisé ma vie, mais ça n’a pas marché comme je l’avais prévu. J’étais immatriculé à la Sorbonne et pendant des années, jusqu’à l’âge de quarante ans, j’ai mangé à l’université en tant qu’étudiant. Malheureusement quand j’ai eu quarante ans on m’a convoqué pour me dire : « Monsieur, maintenant c’est fini, il y a une limite d’âge, c’est fixé à vingt-sept ans. » Et d’un coup tous mes projets de liberté s’étaient effondrés. »

    *

    Deux vide greniers ce samedi matin avant de faire mes bagages : Le Houlme et Malaunay, où je trouve que couic.

    *

    Dernière sortie rouennaise à quinze heures sur le parvis de la Cathédrale, près du peu qu’il reste du Palais des Congrès, pour Ah ! Normal : performance monstrueuse des beauzarteuses et beauzarteux de première année, étonnamment à l’heure, défilant souverainement en musique et en des tenues hardies sur le chemin de plastique qu’utilisent ordinairement les camions d’évacuation des gravas.

    Les élèves :

    -Ah, y a ma mère là-bas.

    -Moi, c’est ma grand-mère.

    Les parents :

    -Y sont notés là-dessus ?

    La foule :

    -Elles sont drôlement top modèles les étudiantes !

    La professeure :

    -Mesdames et messieurs, les élèves de première année de l’Ecole des Beaux-Arts.

    Applaudissements et dispersion, je rentre à la maison pour attendre celle avec qui je pars en Bretagne.

    Partager via Gmail Yahoo!