• Journal du voyage en Amérique du Nord (19) : lundi vingt-sept août deux mille douze, New York City (9/11 Memorial, Chinatown)

    Après une matinée à Convent Avenue où heureusement le Mexicain gérant la colocation ne passe pas (s’il m’y trouvait il exigerait un supplément de loyer), je déjeune au Gramercy sur la Troisième Avenue d’un cheese burger Deluxe avec frites françaises suivi d’un café resservi.

    A la sortie, je suis surpris par une drache de fou, chaude et venue de je ne sais où. Je m’abrite au plus vite sous l’avancée d’une résidence dont le gardien cinq minutes plus tard déploie un tapis de sol à l’intérieur afin que s’essuient les pieds les résident(e)s. Ciel noir, tonnerre, cela dure un certain temps. Lorsque l’auvent est traversé, je suis obligé d’ouvrir mon parapluie. Le calme revenu, je prends le métro L, puis le E qui mène à l’emplacement du défunt World Trade Center.

    Il pleut encore un peu à la sortie. J’entre dans Saint Paul’s Chapel qu’entoure un vieux cimetière. En raison de sa proximité avec Ground Zero, cette petite église, la plus ancienne de la ville, où Washington célébra sa nomination comme premier Président des Etats-Unis, fut transformée en centre de repos pour les sauveteurs puis les ouvriers du déblaiement. On y voit une tenue de pompier momifiée par la cendre et un banc marqué des traces des sauveteurs qui venaient s’y reposer. Dans le cimetière est installée une big cloche offerte par la ville de Londres et qui sonne chaque onze septembre. La pluie cesse. Je fais des photos de tombes romantiques et moussues sur fond de tours en construction aux sommets disparaissant dans la brume.

    Il est temps d’aller retirer le ticket pour le 9/11 Memorial que m’a réservé par Internet ce matin même depuis son lieu de travail celle qui est venue là avant moi. J’entre mon code dans la machine et en obtiens le droit d’y pénétrer à 3 p.m. Comme le ciel bleu et le soleil sont revenus et dans la crainte d’une nouvelle averse, j’anticipe un peu sur l’horaire avec l’accord d’un garde et, précédé d’une famille musulmane, passe les contrôles.

    Me voici dans le jardin au bord d’un des deux bassins monumentaux à chutes d’eau de neuf mètres de haut situés à l’emplacement exact des Twin Towers. Ce Mémorial est l’œuvre de l’architecte Michael Arad et du paysagiste Peter Walker. Parmi les visiteurs, bien sûr des Français. « T’as vu cette piscine de ouf », entends-je malheureusement.

    Je fais des quantités de photos, notamment des noms des morts (« des disparus » ici serait correct) inscrits en lettre évidées dans le métal autour des deux bassins. L’orage récent y a déposé des larmes de pluie, des mains anonymes des roses parfois. Des gardes et des policiers veillent, aidés par des caméras. Ils invitent à se relever ceux qui s’allongent sur les cubes de pierre destinés à s’asseoir. L’endroit est paisible, la plupart des visiteurs restent agglutinés autour du premier bassin. Le chantier des deux nouvelles tours bat son plein juste à côté, ainsi que celui du futur Musée. Parfois on entend le bruit d’un avion dominant celui des cascades.

    Rhondelle Cherie Tankard, Kum-Kum Girolamo, Julie Lynne Zipper, John Jack Andreacchio, Takashi Kinoshita, Alexis Leduc, Emy De La Peña, Richard James Stadelberger, Ruth Sheila Lapin, Jacqueline Donovan, Shashikiran Lakshmikantha Kadaba, Bridget Ann Esposito, Loretta Ann Vero, Robert Clinton Kennedy, Alan Charles LaFrance, Sadie Ette, Victor Hugo Paz, Lionel Geronimo Morocho Morocho, Edward Joseph Papa, Geoffrey W. Cloud, André Bonheur Jr., que faisaient-elles, que faisaient-ils au World Trade Center le matin du onze septembre deux mille un ? Certain(e)s étaient peut-être dans les avions. Je me surprends à leur imaginer des personnalités attachantes alors que je ne supporte pas les vivant(e)s autour de moi.

    L’une des disparues avait le même prénom (rare) que ma fille. Je reste un long moment à l’ombre des chênes blancs, regardant celles et ceux qui se font photographier près du Suvivor Tree, un poirier qui s’en est sorti vivant.

    Vers cinq heures, le métro 1 me conduit à Canal Street. De là, à pied, je me dirige vers le quartier chinois, hélé en chemin par des blacks qui vendent des produits illicites. J’achète des cartes postales dans une boutique de souvenirs chinoise. Puis ne sachant où boire, je repasse la frontière de Chinatown et trouve une gargote latino où je  m’assois devant un Coca glacé en attendant l’heure de mon rendez-vous avec celle dont c’est la dernière semaine de travail à NYC.

    Quand elle arrive à l’habituel corner (Centre et Walker), nous allons dîner dans un bon restaurant chinois qu’elle connaît et où elle est connue. Le patron est heureux de parler français avec nous. Au moment de payer, pensant que le service avait été autoritairement inclus dans l’addition, je ne laisse rien. Le serveur s’en étrangle d’indignation. Ce que j’avais pris pour le tip était le prix du riz.

    *

    Aussi parmi les noms du 9/11 Memorial : Silvia San Pio Resta and her unborn child, Dianne T. Signer and her unborn child.

    Sur les panneaux: « Visitors are invited to touch the Memorial Name Panels».

    Partager via Gmail Yahoo!