• Journal du voyage en Amérique du Nord (31) : samedi huit septembre deux mille douze, de Pittsburgh (Pennsylvania) à Columbus (Ohio)

    Il est temps de quitter Pittsburgh et la Pennsylvanie. Notre dernier petit-déjeuner à Wilkinsburg se déroule mi-dehors mi-dedans, bons bagels et melon vert. Celle que j’accompagne parle avec Suzanne, notre logeuse, de nos balades dans sa ville. On apprend qu’elle n’a jamais visité la Cathédrale du Savoir alors que son mari y a étudié.

    Les bagages faits, après une descente d’escalier pénible et périlleuse, nous croisons Glenn, le mari en question, occupé à mélanger des graines nourricières. Il est eco friendly et ce n’est pas facile de l’être aux Etats-Unis, nous explique-t-il. « It is not so popular ». Il votera pour Obama, trouve Romney « crazy » Ce gentil mari, masseur de son état, parle à deux à l’heure, en choisissant bien ses mots. Elle penche pour la timidité, moi pour l’accident. On chope le P1 to Downtown afin de prendre un bus pour Columbus, capitale de l’Ohio, où vient de mourir Neil Armstrong, le premier homme à avoir marché sur la Lune.

    Arrivés à Penn Station, une intense drache nous tombe dessus. Nous nous réfugions sous un immense dôme qui sert d’auvent de luxe à un restaurant hôtel de la meilleure catégorie. La dragonne patronne refuse que j’y aille aux toilettes. Je la maudis. L’averse vire à la tempête et renverse les tables installées sous le dôme dans un grand bruit de verre cassé et à mon grand contentement. Les serveurs se précipitent et rentrent en vitesse ce qui peut être sauvé.

    Quand ça se calme un peu, on traverse la rue jusqu’à la gare Greyhound où nous côtoyons des solitaires qui ont l’air à l’ouest (ou dans un état proche de l’Ohio), deux couples d’Amish à grands chapeaux de paille et plein d’obèses. Nous achetons à manger sur place et nous repaissons de sandwiches et crackers. Nous prenons enfin place dans un bus où certains étaient déjà, Pittsburgh n’étant qu’une ville étape de leur voyage.

    Le paysage est joli, vallonné et paisible, parsemé de petites fermes. De temps en temps surgissent d’effrayantes publicités pour Mc Do « your fries gauge is slow, next exit, right now ». On arrive à Wheeling, une cité avec de jolies maisons de l’autre côté de la rivière, où deux road guys attendent devant la pancarte Greyhound.

    Le chauffeur étant fumeur, une pause tabac est octroyée à tout le monde au contentement de celle qui en allume une. C’est pour nous l’occasion d’observer de plus près les autres voyageurs et voyageuses, dont pas mal de dingues avec de sacrées têtes : un gros roux barbu, des tatoués qui ont l’air de sortir de prison, une quinquagénaire baba cool qui distribue des clopes à tout le monde, une vieille folle en robe de soirée encombrée de sacs miteux.

    Monte là aussi une emmerdeuse qui passe son temps au téléphone. Je remarque que la Japonaise qui était là n’y est plus. Je ne suis pas sûr que le car ne soit pas parti sans elle, elle ne semblait pas avoir terminé son voyage.

    Le nôtre se poursuit. Un deuxième arrêt a lieu à Zanesville, petite ville à église et monuments divers, où attend un couple qui se sépare avec des larmes d’elle. Il va devoir grimper dans le car dès que tout le monde aura fini de fumer. La baba distributrice de cigarettes demande à la ronde si quelqu’un va à Chicago. C’est qu’elle a pris sous son aile un vieux Japonais parkinsonien ne parlant pas anglais et qui y va. Que va-t-il devenir ?

    Une bonne famille de Zanesville se promène à pied dans les rues, papa maman et les deux enfants, fille et garçon, tous portant le même tee-shirt jaune sponsorisé. Quand on repart le car grimpe brutalement sur le trottoir et en provenance des dingues du fond devenus amis on entend un « Oh shit. It was probably a dog… ».

    On arrive assez vite à Columbus. Personne ne nous attend devant la gare routière où traîne la faune habituelle à ce genre d’endroit. On attend cependant que les chauffeurs de taxi tentent de nous faire grimper dans leur véhicule et qu’un employé de Greyhound se dépatouille du vieux Japonais parkinsonien. Au bout d’une heure, on se rend au Holiday Inn voisin où la dame de l’accueil nous donne le code permettant d’accéder à Internet, pas de message de nos hôtes qui devaient venir nous chercher. La gentille réceptionniste nous prête le téléphone de l’hôtel mais nul ne répond.

    En désespoir et excédés, ne sachant par quel bus rejoindre notre hébergement, on demande à un taxi de nous y conduire. En chemin nous croisons de nombreux étudiants excités en maillot de foot rouge. Ils envahissent tous les bars de la longue avenue où se tiennent les bâtiments universitaires. Le taxi tourne à droite, s’engage dans un quartier résidentiel à maisons coquettes. Arrivés devant celle qui doit être la nôtre pour quelques nuits, nous découvrons le jeune couple censé venir nous chercher assis en terrasse, buvant un verre. Ils se lèvent, s’embrassent amoureusement comme dans une série télévisée, et viennent à notre rencontre.

    Pas un mot d’excuse, quand on leur demande ce qui s’est passé Tabitha et Danny nous disent qu’ils croyaient qu’on arrivait à un arrêt Greyhound où descendent les étudiants, qu’ils ne savaient pas qu’il y avait une gare routière à Columbus. Ne pas parler anglais m’empêche de leur dire le fond de ma pensée.

    On a au moins un toit sur la tête, une chambre correcte et une salle de bain à partager avec nos hôtes, mais pour l’instant c’est un bon repas qu’il nous faut. Nous marchons sur Blake Avenue jusqu’à Hight Street, l’artère étudiante, et optons pour le Taj Mahal, maison particulière transformée en très beau restaurant indien avec une grande terrasse à loupiotes où nous nous installons.

    Notre timide serveur allume la chandelle posée sur notre table. Je lui commande une bouteille de gewurztraminer de Californie. Il accompagne un excellent repas : samoussas en entrée, Lamb Keema et Chicken Vintaboo, tout cela bien spicy. C’est parfait pour se remettre de cette journée éprouvante. Sur le trottoir d’en face passent de temps en temps des filles ou des garçons en maillot rouge « on a big binge ».

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